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Sept points qui excluent toute célébration des médias du monde arabe

mardi 27 octobre 2015 - 06h:16

Ramzy Baroud

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On a récemment annoncé que des « experts » en matière de médias arabes se préparent à fêter la journée de l’information arabe le 21 avril 2016.

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Il ne peut y avoir de presse libre dans des sociétés non-démocratiques

Le thème abordé le premier jour de ce qui est censé être un événement annuel sera : « Le rôle des médias arabes dans le combat contre le terrorisme ».

Il s’agit là d’une mascarade à plusieurs facettes, dont l’une est le choix clairement politique du thème de l’événement proposé. Le mot « terrorisme » est un terme politique que l’on emploie trop rarement pour désigner les actes de violence commis par les gouvernements des pays arabes. On ne l’applique quasiment qu’à leurs détracteurs. Une autre est la nomination du comité « d’experts » par le Conseil des Ministres des Affaires Étrangères des pays arabes lors de leur rencontre au Caire en mai dernier. Ce Conseil agit sous l’égide de l’inefficace et quasi-symbolique Ligue Arabe.

Bien sûr, plusieurs pays arabes ont annoncé leur participation aux « festivités » avec enthousiasme, nombre d’entre eux, insistant sans aucun scrupule sur l’importance du choix du thème du « combat contre le terrorisme ». Et cela pour des raisons évidentes : se positionner en tant que victimes du terrorisme et non comme pourvoyeurs des actes de violence.

Cet événement - comme beaucoup de sujets couverts par les médias arabes - présentera les gouvernants comme sauveurs de leurs pays et leurs détracteurs comme des terroristes, des sympathisants de terroristes ou encore des terroristes potentiels.

En réalité, les professionnels des médias arabes ont peu de raisons de se réjouir. Bien au contraire, les peuples arabes devraient s’inquiéter du « malaise éthique » dont souffrent leurs médias, qu’ils soient officiels, semi-officiels, indépendants ou d’opposition, sans parler des centaines d’inutiles magazines et revues qui objectivisent les femmes, minimisent les enjeux sociaux qu’affrontent les populations arabes et célèbrent la mondialisation occidentale, comme si les Arabes n’existaient que pour consommer, et non pas pour réfléchir de façon indépendante ou critique.

Si le 21 avril sert à une chose, ce sera d’être l’occasion de discuter franchement des démarches urgentes et pratiques à mettre en oeuvre pour éviter l’effondrement complet de la crédibilité sous laquelle ces médias opèrent depuis le soi-disant Printemps Arabe, soit bientôt 5 ans.

Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans le domaine des médias, arabes et internationaux, que j’écris sur le Moyen-Orient de façon générale et que j’étudie des problématiques du monde arabe en particulier. C’est à cet égard que je souhaite proposer un certain nombre de propositions à soumettre aux membres du comité d’experts :

Violence et non terrorisme

Des mots comme al-irhab (terrorisme) et al-ta’asub (extrémisme) sont souvent lancés à torts et à travers par les médias arabes sur toutes leurs plateformes à une fin politique bien précise : diaboliser « l’autre ». C’est plutôt le mot al-’unf (violence) que l’on devrait employer, peu importe de quels responsables de cette violence il s’agit.

Donc bien que l’État détienne généralement le monopole de la violence au travers de lois judicieusement promulguées, ce monopole ne devrait pas être utilisé de façon si nonchalante, sans la moindre responsabilité, comme c’est actuellement le cas.

Intéresser, provoquer – Sans faire la morale

Les médias arabes en général et les commentateurs en particulier ont tendance à faire preuve de condescendance envers leurs lecteurs, comme si les médias étaient détenteurs d’un niveau de sagesse particulièrement élevé, et à l’origine de tout savoir. Si cela était vraiment le cas, le monde médiatique arabe ne se serait pas retrouvé dans un état si lamentable.

Les propriétaires et responsables de plateformes médiatiques devraient bien au contraire encourager un réel échange avec le grand public. Ils devraient écouter les gens ordinaires et s’enquérir auprès d’eux des problèmes qui les touchent. Ils devraient accepter et comprendre qu’il existe, en dehors de la sphère sanctifiée des médias, des intellectuels et des personnes ordinaires qui possèdent plus de sagesse et de perspicacité.

Les médias ne sont pas là pour fêter les vertus sans fin du régime au pouvoir, ni pour être applaudis pour leurs propres prétendues vertus. Il s’agit plutôt d’un perpétuel podium à idées, souvent difficiles, compromettantes, qui remettent en cause le statu quo et qui sont rarement réjouissantes.

Des règles universelles sur la déformation et l’invention des faits

Bien qu’un nombre de gouvernements arabes aient récemment promulgué des lois qui punissent les journalistes qui selon eux soutiennent des propos mensongers et des idées fausses, les journalistes pro-gouvernementaux ne sont jamais victimes de telles accusations.

Les gouvernements n’ont ni le droit, ni la responsabilité de définir ce qui est vrai, et donc permis, et ce qui est faux, et donc puni de peines de prison ou de lourdes amendes.

Les syndicats de journalistes devraient porter conseil à leurs membres en terme d’éthique et de morale, pousser à se remettre en cause ceux qui se laissent utiliser comme portes-paroles pour tel ou tel régime ou parti politique, et protéger ceux qui s’engagent à maintenir l’intégrité au sein de leur profession.

Créer un espace de réflexion libre et indépendante

Les médias ne doivent pas être réduits à de simples plateformes pour combats d’opinions. Bien que ceci soit nécessaire pour un réel échange démocratique au sein de toute société, on ne peut pas dire que les sociétés arabes soient particulièrement démocratiques, et ce combat d’opinions se résume la plupart du temps à un déferlement de haine entre les divers régimes et leurs ennemis.

Quand il leur est possible de le faire, les médias arabes devraient créer un espace d’échange ouvert à ceux qui souhaitent discuter, à l’écart des idéologies intéressées.

L’intellect arabe ne doit pas être réduit à ceux qui sont simplement « pro » ou « anti » tel ou tel gouvernement ou parti. Il existe toujours d’autres façon de raisonner, qui finiront bien par se concrétiser en réelles alternatives au statu quo et aux idées reçues.

Se montrer solidaires, toute politique mise à part

Les médias arabes devraient s’accorder pour défendre certains principes, dont le soutien et la défense de ceux que les régimes arabes persécutent pour avoir exprimé des opinions, aussi critiques soient-elles. Quand un journaliste souffre, est emprisonné, pénalisé ou ostracisé, c’est toute la communauté médiatique qui perd la bataille.

La solidarité entre journalistes, quelles que soient leurs tendances politiques et idéologiques, devrait faire partie intégrante du code de conduite de toute communautés journalistique.

Comprendre que les femmes ne sont pas des « citoyennes d’honneur »

Le groupe MENA Media Monitoring a récemment dénoncé la marginalisation des femmes dans les médias algériens. Selon leur rapport, ils n’accordent aux femmes que 29 pour cent d’espace médiatique disponible, laissant les hommes profiter des 69 pour cent restants.

Les femmes se voient imposer des restrictions non seulement en termes d’espace mais aussi en termes de contenus auxquels elles sont censées contribuer. Leurs contributions sont réduites aux domaines de la famille, des recettes culinaires et de la mode.

En réalité, les médias algériens s’en sortent mieux que ceux des autres pays arabes qui laissent encore moins de marge de manœuvre aux femmes, qui se retrouvent souvent incluses que « pour la forme », et non en tant que participantes à part entière aux débats qui ont un réel impact sur la société.

La participation des femmes dans les médias n’est pas une faveur que leur accordent les hommes ; elle est un droit – par ailleurs, essentiel – dans toute société qui se respecte.

Fixer des objectifs sérieux, ne pas se complaire dans l’échec

On sait bien évidemment que la démocratie dans les médias ne peut réellement exister dans une société non-démocratique. Et pourtant, c’est l’échec des démocraties arabes qui devraient susciter un sens des responsabilités de la part des médias et journalistes.

Les médias arabes doivent se fixer des objectifs réalistes mais sérieux, à réexaminer régulièrement en toute franchise et transparence, peu importe les limites et restrictions.

Nombreux sont les combats à mener et à gagner, ainsi que bien sûr, les prix à payer, mais on ne peut les entreprendre sous l’égide de ministres des affaires étrangères ou de la Ligue Arabe.

En écrivant cela, je n’entends pas porter de jugement sur le journalisme dans les pays arabes ; le monde arabe ne manque pas de journalistes de talent, souvent trop peu sollicités.

Il s’agit là d’un compte-rendu franc de la triste réalité dans laquelle opèrent les médias arabes. Tant que les journalistes et autres professionnels des médias, au travers d’un mouvement collectif et avec de rudes efforts, n’auront pas imposé respect et dignité pour leurs diverses plateformes si strictement contrôlées, nous avons peu de raisons de nous réjouir.

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* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com->http://www.palestinechronicle.com/]. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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30 septembre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/s...
Traduction : Info-Palestine.eu - Abla Kandalaft


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