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Proche-Orient et élection présidentielle 2007

mardi 15 mai 2007 - 06h:15

Pascal Boniface - Confluences Méditerranée

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Sur le plan international, le Proche-Orient est un sujet essentiel, c’est la zone stratégique majeure, l’épicentre d’un éventuel choc des civilisations. Sur le plan national, c’est le conflit qui divise le plus la société française, au delà des clivages politiques traditionnels.

Du parti socialiste à l’UMP, en passant sur l’UDF et les Verts, les sensibilités sur le sujet sont diverses au sein de chaque parti. Les non-dits y sont nombreux. Seules des grandes formations représentées au Parlement, le Parti communiste n’est pas divisé. C’est un thème sur lequel il est confortable de se réfugier derrière des slogans. Tout le monde va se déclarer pour la paix. La belle affaire ! Aucun responsable ne se prononcera pour la poursuite du conflit israélopalestinien. Au-delà de cette pétition de principe, l’accord est relativement global pour se déclarer en faveur des deux Etats, un Etat d’Israël reconnu par les pays arabes dans des frontières sûres et un Etat palestinien viable. De façon moins affirmée mais néanmoins toujours majoritaire, il existe un consensus pour estimer que cet Etat Palestinien devrait peu ou prou recouvrer les frontières de 1967, avoir Jérusalem pour capitale, et pour que d’éventuelles modifications frontalières soient mutuellement agréées entre Israéliens et Palestiniens.

A partir de là, ambiguïtés, contorsions et langue de bois sont de mise. Les candidats à l’élection présidentielle semblent ne pas vouloir prendre le risque de s’exprimer sur le statut final, sur les frontières et surtout les responsabilités qui empêchent de parvenir à ce règlement ! Ce dernier, unanimement souhaité en théorie, reste impossible à réaliser en pratique depuis tant d’années. Et la perpétuation de ce conflit a des répercussions directes et malsaines. Il a contribué à une très forte dégradation du climat intellectuel et au développement d’un communautarisme de repli et de crispations communautaires à un niveau rarement atteint. Des Juifs ont été victimes d’agressions en résonance avec les événements du Proche-Orient. Une fraction radicalisée de la communauté juive cède à la tentation de stigmatiser les Arabes en référence aux combats proche-orientaux. Et certains intellectuels, autrefois universalistes, ont cédé aux sirènes d’un communautarisme d’autant plus agressif qu’il est nié.

La France a la plus grande minorité juive ainsi que la plus grande minorité musulmane d’Europe. Cela devrait constituer d’indiscutables atouts pour son rayonnement extérieur. Ce n’est pas le cas. Notre pays qui devrait être fort de la richesse et de la diversité de ses communautés ne peut en profiter. Il subit au contraire une montée de tensions, sur le plan intérieur. Il est doublement perdant. Les préoccupations d’ordre intérieur viennent régulièrement empiéter sur la détermination de notre politique étrangère. La France est régulièrement accusée d’avoir une politique arabe en fonction de l’importance des musulmans dans le corps électoral. C’est historiquement faux. Lorsque le général De Gaulle a fait prendre à la diplomatie française un virage historique en 1967, en rompant l’Alliance stratégique avec Israël, parmi les Arabes vivant dans notre pays et qui en avaient la citoyenneté, très peu étaient des électeurs.

Il est vrai néanmoins qu’aujourd’hui pour nombre de jeunes Arabes, la question palestinienne est une question d’identité qui les touche profondément. Ils expriment une solidarité à l’égard des Palestiniens. Mais le sort de ces derniers mobilise également, même de façon diffuse de nombreuses personnes sensibles au droit des peuples à disposer d’euxmêmes. Plusieurs responsables estiment également que critiquer Israël revient à prendre le risque de se couper des Juifs de France, dont une majorité ont une relation forte et, pour certains, passionnelle avec Israël. Une relation en tous les cas plus forte que celle qui peut attacher d’autres fractions de la population aux Palestiniens. De là plusieurs erreurs possibles.

La première consisterait à ne plus s’occuper activement de ce dossier, trop sensible sur le plan intérieur et sur lequel il n’y a que des coups à prendre. Le nouveau Président pourrait se contenter de rappeler solennellement son attachement à la paix, sa condamnation des extrémistes des deux camps, mais sans essayer de se mêler directement de l’affaire. Si Israéliens et Palestiniens étaient dans une phase de négociations bilatérales, établies sur la confiance mutuelle et avec un objectif partagé, cela pourrait se concevoir. Si ce n’était pas le cas, la France ne peut être inactive sur le dossier sauf à renoncer à toute ambition internationale.

La seconde erreur consiste à déterminer notre politique étrangère selon les critères de calcul électoral intérieur. Qu’est-ce qui rapporte le plus ? Quelle est la minorité dont le vote est le plus orientée en fonction de l’approche du traitement du conflit du Proche-Orient ? Certains peuvent estimer que si la minorité juive est moins nombreuse, elle est plus influente et surtout que, pour son vote, le conflit est un aspect plus déterminant. Si les Arabes sont plus nombreux, leurs choix électoraux peuvent être plus orientés par d’autres aspects comme la facilitation de leurs pratiques culturelles ou leur intégration sociale et la fin de discriminations qui les frappent. Certains estiment qu’ils n’ont pas un lien fusionnel avec la Palestine, et qu’on ne peut pas faire un parallèle avec l’attachement de la majorité des Juifs de France pour Israël.

Les autorités françaises ont pris la décision stratégique, pour améliorer l’atmosphère, de découpler les relations bilatérales de la question du conflit du Proche-Orient. Les relations franco-israéliennes sur le plan économique, culturel, politique doivent être saines et sereines quelles que soient nos divergences sur le conflit. La prochaine étape devra-t-elle être de n’avoir plus de divergences sur le conflit lui-même en acceptant la vision israélienne ?

En 2005, l’ambassadeur de France en Israël dans une note stratégique expliquait que si on voulait se réconcilier avec les Israéliens, il y avait une chose à faire : ne plus leur parler des Palestiniens. Il est vrai que notre pays était majoritairement vu en Israël comme étant trop favorable aux Arabes, partisan en faveur des Palestiniens et systématiquement hostile à Israël. Nos compatriotes ayant la double nationalité franco-israélienne, ou tout simplement établis en Israël sont souvent plus virulents à l’égard de Paris que la moyenne des Israéliens ! Cruel paradoxe de constater que ceux qui pourraient être un pont estiment que le fossé s’élargit et est devenu difficilement franchissable. Lorsqu’ils plaident pour un rapprochement des positions entre Paris et Tel Aviv, ils attendent généralement que la France fasse l’essentiel du chemin.

La tradition développée tant par le Général de Gaulle que par François Mitterrand était d’agir en fonction de principes universels. Ils espéraient, de ce fait, que les différentes communautés les privilégieraient également, chacune réalisant que c’était là leur intérêt commun. De Gaulle passait pour hostile à Israël dans la mesure où c’était lui qui avait rompu les accords stratégiques qui liaient nos deux pays. On lui reproche toujours cette phrase sur le « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». On oublie au passage la façon très clairvoyante dont il avait après la guerre de 1967 mis en garde Israël contre les risques potentiels de l’occupation militaire d’un autre peuple. Mitterrand était considéré comme un ami d’Israël et certainement comme le plus judéophile des Présidents. Cela n’a pas empêché qu’il soit traité d’antisémite par une partie de l’extrême droite juive, pour son opposition à la guerre du Liban de 1982.

Il n’a pourtant jamais failli dans sa lutte contre l’antisémitisme même si certains lui reprochent de ne pas avoir reconnu la responsabilité de l’Etat français pour les exactions commises par Vichy. Mais pour Mitterrand, Vichy, ce n’était pas la France. Toujours est-il que dans son discours devant la Knesset en 1982 (où il s’était par ailleurs clairement engagé en faveur de la sécurité d’Israël : n’avait-il pas levé la loi sur l’embargo qui frappait le pays), il se prononçait pour la reconnaissance du droit des Palestiniens à avoir leur Etat. Jacques Chirac est passé par toutes les phases dans les relations franco- israélienne, la France ayant vécu une campagne d’accusation d’antisémitisme jamais vue, jusqu’à l’ultime réconciliation avec Ariel Sharon en juillet 2005.

La campagne lancée contre la France sur son antisémitisme supposé et sur l’augmentation des actes antisémites, a eu un impact véritable. Désormais, la plupart des ministres qui vont aux Etats-Unis viennent présenter aux organisations juives américaines les progrès faits dans la lutte contre l’antisémitisme. Ils ne vont pas voir d’autres organisations communautaires pour les rassurer sur la lutte contre les autres formes de racisme ! Et on imagine mal des ministres américains venir expliquer au Conseil représentatif des associations noires de France les progrès dans la lutte contre la discrimination des Noirs... Un président français peut-il agir sur le Proche-Orient sans être pris sous le feu croisé des différentes communautés ? N’est-il pas dangereux pour lui de vouloir agir sur ce dossier ? Le prix en termes de politique intérieure ne risque-t-il pas d’être trop lourd ?

Certes agir sans risque n’existe pas. Mais la politique du laisser aller serait pire. Du Proche-Orient à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, notre position ne doit pas être déterminée par le poids relatif des communautés, juive ou arabe, arménienne ou turque, mais par la définition d’une politique claire, établie sur des principes universels et qui soit conforme à nos intérêts. Le camp de la paix existe en Israël. Il a certes été très affaibli par le contrecoup de l’échec du processus d’Oslo et la multiplication des attentats-suicides. Du côté français, peu d’initiatives sont prises vers ce camp de la paix, comme si on craignait les foudres du gouvernement israélien.

Pourtant les partis politiques, les élus, les fondations pourraient assez largement développer les contacts existants, ce qui de plus mettrait en valeur les efforts de ces militants courageux. Il y a un choix à faire pour le prochain Président. Soit il joue la carte d’une France ambitieuse et privilégie nos intérêts à long terme. Soit il privilégie l’avantage à court terme et la tranquillité sur le plan intérieur. S’il choisit la seconde option, il se désintéressera du règlement du conflit ou adoptera une politique du fil de l’eau. Si les protagonistes font la paix, on s’en félicitera, mais on ne fera rien pour peser en faveur d’un accord par peur de prendre des coups. Il pourra également se contenter, dans le même esprit, de se mettre à la remorque de la diplomatie américaine, à supposer que cette dernière se mette à nouveau en route après l’élection présidentielle de 2008.










Pascal Boniface vient de publier Lettre ouverte à notre futur(e) président(e) de la République sur le rôle de la France dans le monde, éditions Armand Colin.

Pascal Boniface - Confluences Méditerranée, N°61, Printemps 2007


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