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La question palestinienne est une question mondiale et pas uniquement occidentale

vendredi 11 septembre 2015 - 08h:51

Ilan Pappe

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Il y a quelques semaines, une conférence très importante a eu lieu à Londres, organisée par l’ONG Middle East Monitor, concentrée sur l’engagement de l’Amérique Latine avec la cause de la Palestine.

La caractéristique la plus saisissante de la conférence était la facilité avec laquelle plusieurs orateurs, qui venaient de ce continent, ont parlé de la Palestine, totalement libérés des inhibitions qui obscurcissent le discours sur la question en Occident.

L’inhibition la plus notable et absente de leur soutien des plus clairs aux droits humains et civiques des Palestiniens, était la crainte d’être accusé d’antisémitisme. Nous avons entendu dans cette réunion des hommes politiques et des professeurs d’Amérique centrale et du Sud, soutenir ces droits comme une position évidente pour quiconque possède une parcelle de décence et d’humanité. En condamnant les politiques criminelles d’Israël sur le terrain, ils ne marchaient pas sur des coquilles d’oeuf comme le font leurs homologues occidentaux.

Cette ouverture et cette transparence dans le discours illustrent à quel point il est urgent de développer le mouvement de solidarité avec les Palestiniens au delà des frontières de l’Occident. Cette aisance à parler de la Palestine sans que cela soit entaché de la moindre culpabilité, peut se trouver également en Afrique du Sud et en Asie du Sud-Est. On ne peut pas y étouffer ou faire cesser une discussion sur Israël par des accusations d’antisémitisme.

La nécessité d’élargir les frontières de la solidarité est important dans deux aspects de plus. Elle peut créer une alternative à la notion en échec et destructrice de la Pax Americana - une alternative qui conviendrait non seulement à la Palestine mais également au reste du monde arabe. À l’écart de Washington, la discussion sur la paix ira au delà du programme imposé par cette Pax Americana aux peuples qui vivent en Israël et en Palestine et à ceux engagés à leurs côtés.

Plusieurs présupposés alimentent le discours nord-américain sur la Palestine mais aucun d’entre eux ne se rapporte à la justice et à la réconciliation. Au contraire, les puissances en place considèrent ces deux concepts comme l’antithèse d’un processus de paix réussi.

Tout d’abord le premier présupposé est que le conflit en Palestine a commencé en 1967 quand Israël a occupé la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Par conséquent, la paix serait une discussion limitée l’avenir de ces deux secteurs (à l’exclusion de toute autre question comme le droit au retour des réfugiés).

La deuxième hypothèse est que ces territoires ont dû être divisés afin de calmer les craintes sécuritaires d’Israël. Cette hypothèse est associée à l’idée forte que si vous souhaitez régler un conflit, il faut uniquement prendre en compte les intérêts du côté le plus fort, et que les forces de médiation ont pour rôle de forcer le plus faible à accepter les ordres de celui qui domine (ce qui, comme admis récemment par les médiateurs norvégiens d’Oslo, était la logique qui les avait guidés).

La dernière hypothèse est une manipulation. Si les Palestiniens rejettent une offre israélienne « généreuse », la prochaine offre sera d’une façon alors prétendument justifiée moins généreuse. La raison d’offrir moins à chaque étape de ce voyage qui mène nulle part est non seulement vindicative, mais chaque année qui passe, Israël crée des faits irréversibles sur le terrain, forçant les dits médiateurs à réduire encore plus l’espace et les ressources d’un futur Etat palestinien.

Les propositions faites humilient et offensent même les dirigeants palestiniens les plus enclins à la collaboration et pourtant disposés à aller très loin dans les concessions pour en finir avec l’occupation israélienne. Par conséquent - et même l’Autorité Palestinienne finira par l’admettre – la Palestine pour laquelle elle sollicite une reconnaissance internationale ne sera dans la pratique qu’un petit bantoustan sur quelques secteurs de la Cisjordanie.

Tant que les initiatives pour la paix seront conduites par l’Occident sous la férule des Etats-Unis, ce sont les principes de base sur lesquels chacun fonctionnera : le camp israélien pour la paix, l’Autorité Palestinienne, le gouvernement israélien etc... Ces hypothèses et le processus qui en découle alimentent des carrières politiques et enrichissent un grand nombre de personnes localement et à l’étranger. Les dividendes sont si importants que même lorsqu’il était clair que le processus n’accoucherait pas d’une réalité pacifique, celui-ci a été maintenu en vie par tous ceux qui en tirent un profit.

La réalité sur le terrain en 2015 a clairement illustré les résultats de ces hypothèses. Israël a annexé lentement mais sûrement près de la moitié de la Cisjordanie, assiège toujours mortellement Gaza (qui sera devenue inhabitable dans quelques années selon un nouveau rapport des Nations Unies) et étrangle la minorité palestinienne en Israël par l’expropriation de terres, les démolitions de maisons et les lois ségrégationnistes.

L’inertie des politiques, la timidité des élites politiques occidentales et les événements terrifiants en Syrie et en Irak (et leur impact sur l’Europe) ont pour conséquence que cela prendra un moment avant que l’Occident n’adopte une nouvelle attitude concernant la Palestine. Sans un tel changement, il y a un grave danger existentiel pour les Palestiniens partout où ils sont.

Ailleurs qu’en Occident, il n’y a pas une telle inertie ni un tel héritage qui devraient aveugler des hommes politiques face à la nécessité que des valeurs telles que la justice et la réconciliation soient partie intégrante d’un processus de paix. Une scène internationale en plein évolution devrait nous permettre d’obtenir un appui en dehors de l’Occident, pour une nouvelle façon de penser la question de la Palestine.

Nous devrions pouvoir discuter librement en Amérique du Sud et en Afrique du Sud du sionisme comme force colonialiste et de la résistance palestinienne comme force anti-colonialiste, sans immédiatement être stigmatisés comme antisémites.

D’ailleurs, qualifier le politique israélienne comme une politique d’Apartheid à l’intérieur, de purification ethnique en Cisjordanie et de génocide dans la Bande de Gaza, sera correctement compris en dehors de l’Occident comme le produit d’une forte préoccupation pour les droits de l’homme, et non pas d’un sinistre stratagème antisémite. L’exceptionnalisme ne pourra plus servir de bouclier pour l’impunité israélienne sur le terrain.

Il y a un avantage supplémentaire à développer la solidarité avec la Palestine au delà de l’Occident. La principale leçon des aspects moins attrayants de l’Afrique du Sud post-apartheid est la nécessité de lier des réformes socio-économiques à un changement politique. Il est impossible de dissocier la Pax Americana en Palestine de la culture néo-libérale de l’Occident.

Depuis 1993, les donateurs occidentaux ont attribué 23 milliards de dollars US pour soutenir ce faux processus de paix. L’argent a créé une réalité économique et sociale pire que celle qui prévalait avant 1993. S’ils avaient associé la justice sociale avec les droits de l’homme en Israël et en Palestine, ils auraient mis en place avec seulement un dixième de cette somme un Etat démocratique aujourd’hui en plein essor, à la place du régime d’apartheid actuellement installé.

Les leçons tirées de l’Afrique du Sud et le débat animé et tout à fait fondamental en Amérique centrale et du Sud sur la justice sociale et sur un programme d’action lié aux droits humains et sociaux, sont des angles nouveaux et nécessaires pour s’engager aux côtés de la Palestine.

Le sionisme ne peut être vaincu par la seule notion du nationalisme, et l’Occident n’est pas la clé pour un changement. Nous avons besoin d’une nouvelle et plus large alliance géographique, conceptuelle et idéologique. Il est temps de chercher de nouveaux alliés et d’agir en étroite collaboration avec eux pour une Palestine libre.

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* Ilan Pappe est directeur du Centre Européen d’Études Palestiniennes à l’Université d’Exeter. Son dernier livre s’intitule : The idea of Israel : a history of power and knowledge

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9 septembre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/p...
Traduction : Info-Palestine.eu


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