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La corruption en Palestine : un système devenu autonome

mardi 1er septembre 2015 - 06h:58

Tariq Dana

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Tariq Dana argumente que la corruption fait partie intégrante du corps politique palestinien et qu’elle est antérieure à l’instauration de l’Autorité palestinienne.

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Des Palestiniens participent à une manifestation de protestation devant le siège du Conseil des ministres à Ramallah, en Cisjordanie

D’après son analyse, il faut saisir le problème à la racine, il ne suffit pas de l’aborder avec les mesures conventionnelles utilisées dans d’autres pays, mais dans le contexte d’une colonisation et d’une occupation qui se prolongent et compte tenu de la manière dont Israël exploite et renforce à la fois cette corruption. (1)

Tariq Dana, conseiller politique à al-Shabaka, analyse le système et les acteurs impliqués, arguant que la corruption est un problème structurel qui est doté de racines politiques anciennes et ne peut être combattu par l’adoption de codes de bonne conduite ni par d’autres solutions techniques.

Selon une étude récente, pas moins de 81 % des Palestiniens vivant dans les Territoires palestiniens occupés croient que la corruption sévit dans les institutions de l’Autorité palestinienne, perception renforcée par le récent rapport annuel de la Coalition palestinienne pour la responsabilité et l’intégrité - Palestinian Coalition for Accountability and Integrity (AMAN), la section palestinienne de Transparency International.

Une perception qui persiste en dépit des efforts tant vantés de l’ancien premier ministre Salam Fayyad pour renforcer l’État et extirper la corruption – et qui ne coïncide pas avec certains rapports internationaux suggérant une amélioration de la bonne gouvernance.

Tariq Dana argumente que la corruption fait partie intégrante du corps politique palestinien et qu’elle est antérieure à l’instauration de l’Autorité palestinienne.

Disséquer la corruption et le système clientéliste

La corruption au sein de l’Autorité palestinienne (AP) ne doit pas être perçue comme un simple problème de malversations administratives et financières commises par des individus irresponsables dont la conduite est motivée par la cupidité et l’intérêt personnel (2). Les scandales régulièrement débattus par les Palestiniens – comme les détournements de fonds publics, l’appropriation illicite de ressources et le népotisme – ne sont que le résultat d’une corruption ancienne imbriquée dans la structure sous-jacente qui gouverne le système politique palestinien et ils sont enracinés dans l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) bien avant le processus d’Oslo.

Ces dernières années les efforts consentis pour combattre la corruption ont été de nature largement « technique », visant par exemple à élaborer des codes de bonne conduite, à améliorer les procédures de recrutement et à développer des mesures préventives à l’encontre de violations spécifiques. Même si elles sont nécessaires, de telles mesures ne peuvent en aucun cas suffire si les causes politiques à la racine de la corruption restent ignorées. Il faut comprendre la nature de la corruption spécifique à l’AP pour pouvoir l’affronter efficacement.

Car la corruption de l’AP en Palestine est un système qui est devenu autonome et qui s’auto-alimente. Peut-être le facteur premier dans la reproduction et le maintien de la nature corrompue de l’entité politique palestinienne est-il le clientélisme (3). En Palestine, le système clientéliste s’enracine dans les valeurs sociales de la parenté et de la famille, qui à leur tour sont façonnées par les factions politiques. Ces liens sociaux et politiques fournissent à l’oligarchie au pouvoir un outil stratégique pour contrôler les électeurs et étendre le réseau de soutiens en redistribuant les ressources publiques afin d’acheter des loyautés politiques, ce qui en retour aide l’élite dirigeante à préserver le statu quo et à maintenir sa mainmise sur les avoirs politiques et économiques.

Le clientélisme contribue lui aussi au climat de corruption en favorisant un électorat politiquement loyal mais incompétent, tout en excluant des personnes efficaces sur une base arbitraire. Cela suscite donc une émulation entre clients qui rivalisent pour démontrer leur loyauté à l’oligarchie régnante. La corruption en sera d’autant plus renforcée puisque l’une des façons qu’ont les caciques de récompenser les clients loyaux est de fermer les yeux sur leurs méfaits financiers (4).

Historiquement, le clientélisme a caractérisé les relations internes entre l’exécutif de l’OLP et les institutions nationales et l’électorat politique (5). Le cercle des proches dirigeant l’OLP a systématiquement instrumentalisé les réseaux patrons-clients avec plusieurs objectifs : étendre son influence sur l’électorat politique, exclure d’autres forces politiques et appliquer son agenda politique sans opposition.

Par exemple, pendant les années ’80, la direction de l’OLP s’est servie du Fonds Soumoud (« constante fermeté ») [« The Steadfastness Aid Fund of the Jordanian-Palestinian Joint Committee », créé par le Sommet de la Ligue arabe à Bagdad en 1978] dans les Territoires palestiniens occupés (TPO) pour récompenser ses partisans et exclure les autres (6). Cette approche a encouragé manipulations et monopoles et introduit des pratiques de corruption et de duplication de projets de développement.

Elle a aussi contribué à étendre les réseaux clientélistes pour servir les projets politiques du Fatah et des dirigeants jordaniens. Alors que l’objectif déclaré du Fonds Soumoud était de soutenir les secteurs de l’éducation, de l’agriculture, de la santé et du logement, dans la réalité les principaux bénéficiaires ont été « les gros propriétaires fonciers de la Vallée du Jourdain, les industriels, le service civil jordanien (en Cisjordanie) ainsi que des catégories professionnelles qui ont reçu de généreux prêts au logement » (7).

Après les Accords d’Oslo, le régime patron-client a évidemment été légué à l’AP et a constitué l’épine dorsale de sa base institutionnelle. Au lieu d’implémenter un processus créant une institution fondée sur le mérite, le clientélisme est devenu un attribut caractéristique de la structure institutionnelle de l’AP et un puissant outil d’exclusion-inclusion. Il est devenu indissociable du style de gouvernance personnalisée et non responsable de feu le président de l’OLP Yasser Arafat et de la direction politique palestinienne (8).

L’AP s’est assuré des loyautés nombreuses parmi les électeurs en leur donnant accès à des ressources de survie économique au lieu de les convaincre par ses programmes politiques, économiques et sociaux. C’est en particulier le vaste secteur public qui a été un instrument vital pour créer des dépendances et assurer des loyautés, ce qui a contribué à institutionnaliser la corruption dans le secteur public de l’AP. En fait cela faisait le jeu du gouvernement israélien dont l’intention, en signant les Accords d’Oslo, était de créer un Etat client qu’il pourrait continuer de contrôler via les revenus distribués à l’AP par les donateurs internationaux, en y associant une stratégie de fragmentation territoriale et d’endiguement (9).

Le secteur public de l’AP emploie actuellement 165 000 fonctionnaires qui sont entièrement dépendants des salaires garantis par l’aide internationale à l’Autorité. Le secteur de la sécurité est le plus important, avec 44 % du personnel total de l’AP, et il absorbe entre 30 et 35 % du budget annuel de l’AP. Il dépasse donc d’autres secteurs vitaux comme l’éducation (16%), la santé (9%) et l’agriculture (1%).

Le dysfonctionnement du Conseil Législatif Palestinien (CLP) et l’absence totale de surveillance législative du budget gouvernemental ont libéré la Présidence et l’exécutif de tout mécanisme de contrôle institutionnel et de toute responsabilité publique. Tout cela a renforcé le contrôle de l’exécutif sur les dépenses publiques ainsi que le pouvoir de l’exécutif pour contrôler les électeurs en utilisant la stratégie de la carotte et du bâton. En retour, cela n’a fait qu’accroître les irrégularités et les violations en matière de droit du travail.

De fait, un emploi dans le secteur public de l’AP n’implique pas nécessairement la sécurité de l’emploi. Si des fonctionnaires expriment des critiques à l’encontre de la politique de l’Autorité, ils peuvent être contraints à la mise à la retraite anticipée, se voir refuser le paiement de leur salaire ou être limogés de leur poste. Ils risquent également une série de mesures punitives, y compris le blocage de toute promotion ou le transfert dans des zones reculées.

En outre, comme la société palestinienne est largement fondée sur les relations tribales, claniques et familiales, l’AP a cherché à répondre aux besoins de vastes familles pour s’assurer leur loyauté. Lorsque l’Autorité a créé son Ministère du Gouvernement Local , celui-ci comportait un département spécial traitant les affaires tribales et claniques. Le Ministre reconnaît les muktars (chefs de tribus/clans) et les autorise à parler au nom de leur famille. Alors que le tribalisme a été marginalisé par la montée du mouvement national, pendant les années ’90 l’AP a nommé les représentants de grandes familles à des postes ministériels, sur la base de considérations tribalistes. Ces ministères ont donc été largement pourvus de personnel apparenté ou lié aux ministres. Après les réformes de ces dernières années pour l’édification d’un appareil d’État, il y a eu moins de postes attribués sur des motivations familiales. En revanche certains ministres se sont entourés de copains (10).

Le système patron-client a aussi servi à coopter et à neutraliser l’opposition politique

Plusieurs dirigeants politiques – indépendants, de gauche ou islamistes – ont été intégrés au projet de l’AP qu’ils avaient initialement prétendu rejeter. On leur a offert des privilèges, des avantages et l’accès à des postes publics de prestige en échange de leur loyauté politique. En fait, certaines de ces personnalités cooptées sont devenues des acteurs-clé de la politique de l’AP.

L’argent et le pouvoir des oligarchies

La corruption enracinée dans le système politique palestinien s’expose le mieux dans les interactions entre pouvoir et argent au plus haut niveau de l’autorité politique. C’est la forme la plus courante de corruption et pourtant c’est la plus difficile à suivre à la trace, parce que les élites bénéficient souvent d’une immunité sociale, politique voire légale. En outre, la complexité des manières dont l’argent change de mains et son caractère transnational, qui peut impliquer le marché noir, le blanchiment et les comptes bancaires à l’étranger … tout cela complique particulièrement la traçabilité de cette forme de corruption.

Ce que nous savons de la corruption de l’oligarchie remonte généralement à la lumière à l’occasion de conflits politiques internes au sein du cercle des intimes, quand les accusations mutuelles de détournements à large échelle font la une des actualités. Par exemple, Mohammed Dahlan, l’ancien homme fort de la sécurité à Gaza, a accumulé la plus grosse part de sa fortune grâce à des monopoles sur les importations-clé à Gaza pendant les années 1990. Après son expulsion du Comité central du Fatah sur l’accusation de vouloir renverser le Président Mahmoud Abbas, une quantité d’autres accusations de pratiques de corruption se sont accumulées contre lui, notamment l’écrémage des revenus fiscaux dans le cadre de ses affaires à Londres et à Dubaï.

De même Mohammad Rashid, l’ancien conseiller économique d’Arafat et allié-clé de Dahlan, a été jugé par contumace pour avoir transféré des millions de dollars du Fonds d’Investissement Palestinien et pour avoir créé des sociétés-écran. En guise de réponse, Rashid a révélé que le Fatah avait un compte en banque secret en Jordanie, géré par le Président et deux de ses associés. Dans chaque cas, les révélations de corruption sont le résultat d’une lutte de pouvoir et non le fruit d’efforts sérieux pour démanteler la corruption.

L’abus de positions officielles pour l’enrichissement personnel est une autre facette de la corruption des élites. Les cas qui ont été mis en lumière comprennent l’usage personnel illicite de ressources publiques, les marchés publics illégaux et les collectes par l’AP de fonds locaux ou internationaux à impact négatif. Selon le premier audit palestinien mené en 1997, près de 40 % du budget de l’AP – soit environ 326 millions de dollars – ont été détournés.

Malgré les tentatives de réformer l’AP ces dernières années, il ne semble pas y avoir eu d’amélioration substantielle dans la lutte contre ce phénomène. Selon le rapport AMAN 2008, l’abus d’une position sociale pour détourner et gaspiller des biens publics ressort clairement de l’attribution de terrains publics à des individus ou à des entreprises. Le rapport AMAN 2011 révèle que la même tendance se poursuivait, la dilapidation de fonds publics demeurant la forme la plus visible de corruption.

Un autre moyen d’enrichissement de l’oligarchie politique aux dépens du reste de la population se révèle dans l’inégalité excessive des revenus en Palestine. L’indice de Gini montre en 2013 une inégalité considérable des niveaux de revenus entre les hauts fonctionnaires et le reste du personnel de l’AP. Selon des rapports récents, certains cadres du secteur public ont un salaire mensuel de plus de 10 000$ et ils bénéficient d’autres privilèges. En revanche, deux tiers des employés du secteur public de l’AP gagnent entre 515 et 640$ par mois.

La corruption de l’occupant

Israël n’a cessé de conforter et d’exploiter la corruption au sein de l’AP. Son objectif est de faire porter le blâme sur les Palestiniens pour leurs maux économiques et de détourner l’attention de l’impact dévastateur qu’a sa politique coloniale sur le développement social et économique palestinien. Même si la corruption de l’AP est indubitablement néfaste économiquement, il faut toutefois souligner que ses effets sont loin d’être aussi nuisibles que la destruction systématique de l’économie palestinienne par Israël.

A bien des égards Israël est un acteur-clé qui favorise la corruption et protège les prévaricateurs. Les monopoles public-privé contrôlés par des personnalités haut-placées dans la bureaucratie de l’Autorité et par leurs partenaires du secteur privé n’auraient pas été possibles sans la complicité et la collaboration des entreprises israéliennes moyennant le consentement des milieux politiques et sécuritaires d’Israël.

Autre exemple : l’implication directe d’Israël dans les fameux « comptes secrets » créés dans les années 1990 par certains responsables palestiniens partout dans le monde, notamment à la banque israélienne Leumi. L’essentiel de l’argent provenait des taxes qu’Israël collecte sur les importations palestiniennes, directement transférées sur ces comptes. Rien qu’en 1997, Israël aurait transféré 400 millions de dollars sur des comptes palestiniens dans des banques israéliennes (11).

Si le rôle d’Israël est devenu moins visible ces dernières années, il n’en offre pas moins un refuge sûr pour les corrompus dont il assure sa protection. En même temps, les propagandistes israéliens exploitent la corruption de l’AP. Israël se sert des accusations de corruption palestinienne pour en tirer un avantage politique. Pendant la deuxième intifada, qui commença en septembre 2000, Israël a joué cette carte de la corruption dans le contexte d’une stratégie plus large visant à se débarrasser d’Arafat pour imposer un processus de « réformes » piloté de l’extérieur et conforme à son propre ordre du jour.

Israël a particulièrement utilisé la crainte internationale du « terrorisme », en accusant Arafat de se servir des ressources de l’Autorité pour financer le terrorisme. C’est ce qui suscita la restructuration des institutions de l’AP sous parrainage international, affaiblissant Arafat par la création du nouveau poste de Premier ministre et par le remaniement du Ministère des Finances.

Comment les Palestiniens réagissent à la corruption

Un sondage réalisé en 2014 montre que pour 25 % des Palestiniens vivant sous l’occupation israélienne, la corruption est l’un des problèmes les plus sérieux qu’ils ont à affronter, juste après celui de l’occupation elle-même et les colonies pour 29 % de l’échantillon. Un tel pourcentage ne surprend guère puisque la corruption siphonne les maigres ressources des Palestiniens et engendre toute une série de problèmes sociaux, contribue aux inégalités et endommage le tissu social, sans parler de sa nuisance pour la lutte de libération nationale et la poursuite des droits palestiniens.

Le premier défi à la corruption de l’AP fut lancé en 1997 quand le CLP publia un rapport dans la foulée du premier audit cité ci-dessus. Le rapport révélait l’étendue de la corruption des institutions de l’AP et contenait une condamnation accablante de tous les ministères. Ce rapport fut crucial et il ouvrit les yeux au public palestinien sur l’existence de réseaux de corruption systématique au sein de l’Autorité autonome.

En réponse, les Palestiniens commencèrent à se mobiliser et à exiger des réformes et de la transparence. En 1999, 20 personnalités de premier plan, universitaires, intellectuels et membres du CLP signaient le manifeste intitulé « La Nation nous appelle », accusant Arafat « d’ouvrir les portes aux opportunistes pour répandre la corruption dans les rues palestiniennes ». Les forces de sécurité de l’AP ont arrêté beaucoup de signataires en les accusant de menacer l’unité nationale.

Vers 2004 le mécontentement populaire devant la corruption de l’AP éclata en manifestations de rue contre les traitements de certaines personnalités corrompues membres du gouvernement. Sous la pression interne et externe, Arafat reconnut l’existence de la corruption et il promit que les coupables d’actes répréhensibles seraient poursuivis.

Par ailleurs la colère populaire fut un facteur important dans la victoire électorale écrasante du Hamas aux élections parlementaires de 2006. Pour beaucoup de gens, le Hamas offrait une alternative et avait gagné le respect pour ses services efficaces au public, en particulier aux couches défavorisées de la population. Mais après la formation en 2006 du gouvernement mené par le Hamas, celui-ci commença à apposer son propre sceau de clientélisme en nommant et favorisant ses partisans à divers postes gouvernementaux. Cela contribua à la lutte de pouvoir et à la rivalité politique entre Hamas et Fatah. A ce jour, la concurrence Hamas-Fatah en matière de salaires constitue une obstacle important au processus de réconciliation entre les deux factions. Et entre-temps les années de pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza ont amené le public à assimiler les allégations de corruption contre le Hamas à celles contre le Fatah, en particulier depuis que le Hamas s’est mis à engranger d’énormes bénéfices grâce à l’économie des tunnels entre 2007 et 2014, conjointement avec un manque de transparence en matière de recettes.

Répondant partiellement au mécontentement public, l’AP a créé la Commission palestinienne anti-corruption (PACC) en 2010. Elle est chargée de recevoir les plaintes des citoyens et d’assurer que les cas de corruption sont traités rapidement et efficacement. Bien que la PACC soit décrite comme une commission indépendante tant financièrement qu’administrativement, son président a été nommé par décret présidentiel et beaucoup de membres du conseil d’administration sont d’anciens ministres, diplomates et conseillers du Président. Certains cas de corruption auraient été jugés mais les comptes-rendus dans la presse aussi bien que les interviews de l’auteur indiquent que les enquêtes sont menées sélectivement. En outre, les sondages d’opinion montrent une défiance publique croissante vis à vis de la PACC : on perçoit dans son travail une interférence systématique de la présidence, des services de sécurité et des partis politiques.

Les campagnes populaires anti-corruption ont beaucoup diminué ces dernières années en raison de l’autoritarisme croissant de l’AP et d’une répression accrue par ses services de sécurité.

Comment démanteler la corruption

La présente analyse politique avance que la corruption des institutions palestiniennes est structurelle et enracinée dans le système politique palestinien dès avant l’ère d’Oslo. Affronter la corruption par des mesures techniques et bureaucratiques ne peut suffire. En effet, de telles mesures pourraient être contre-productives en créant un écran de fumée qui dissimule les causes politiques à la racine du mal et qui perpétue les incitants et les occasions de corruption.

Mettre réellement fin à la corruption demanderait une réponse structurelle impliquant le système politique dans son entier. Elle comprendrait un contrôle législatif efficace, un contre-pouvoir de contrôle institutionnel et une justice indépendante et opérationnelle.

L’immunité serait retirée à toute personne, indépendamment de sa position, qui abuserait directement ou indirectement du pouvoir politique et des ressources publiques. Des représentants de la société civile joueraient un rôle effectif dans le contrôle des institutions et des ressources publiques.

En outre, l’industrie de l’aide internationale procure un champ fertile à la corruption sans obligation de rendre des comptes. Le système d’aide existant devrait être réformé afin qu’il ne contribue pas à favoriser la corruption.

Toutefois dans un avenir proche il est difficile de voir une situation où ces mesures soient acceptées de commun accord et appliquées. La Palestine est un Etat qui n’a pas de souveraineté et où les gens peinent à survivre sous une occupation qui se prolonge depuis près d’un demi-siècle et sous un blocus qui dure depuis près d’une décennie. La majorité des Palestiniens vivent hors de Palestine, exilés ou réfugiés dans des conditions extrêmement difficiles, ou en citoyens de seconde classe en Israël.

La corruption a été un facteur majeur contribuant à l’incapacité du mouvement national palestinien à atteindre ses objectifs et elle sert à présent les objectifs de l’occupant israélien.

Mais la corruption restera endémique au sein de l’Autorité palestinienne aussi longtemps que les Palestiniens eux-mêmes ne commencent pas à restructurer leurs institutions nationales selon des principes démocratiques et des normes de responsabilisation, dans le cadre d’une stratégie plus large poursuivant l’auto-détermination et les droits nationaux palestiniens, y compris celui d’être libérés de l’occupation.

Notes :
(1) L’auteur remercie Alaa Tartir, directeur de programme de al-Shabaka, pour ses conseils et son soutien, de même que le Bureau Palestine-Jordanie de la Fondation Heinrich-Böll pour sa collaboration avec al-Shabaka en Palestine. Les vues exprimées dans l’article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la Fondation Heinrich-Böll.
(2) Ni le secteur privé ni le non-gouvernemental ne sont immunisés contre la corruption, ce n’est pas le sujet de la présente analyse – laquelle ne couvre pas Gaza et le Hamas. Ce sera l’objet d’une étude ultérieure.
(3) La relation patron-client repose sur l’inégalité, le patron monopolisant pouvoir et ressources pour maintenir le client dans sa sphère d’influence. Cf Eisenstadt, Shmuel N., & Roniger, Luis. (1984). "Patrons, clients and friends. Interpersonal relations and the structures of trust in society". Cambridge, MA : Cambridge University Press.
Sociologie du clientélisme, Hélène Combes, Gabriel Vommaro, La Découverte.
(4) Rex ‪Brynen, "The Neopatrimonial Dimension of Palestinian Politics". Journal of Palestine Studies, Vol. 25, No. 1 (1995), pp. 23-36.
(5) As’ad Ghanem, "Palestinian Politics After Arafat : A Failed National Movement." (Indiana University Press, 2010).
(6) The Sumud Fund est différent du Samed, l’institution économique de l’OLP créée en 1970.
(7) Salim Tamari, "The Palestinian Movement in Transition : Historical Reversals and the Uprising". Journal of Palestine Studies, Vol. 20, No. 2 (1991), p. 63. Voir aussi : Khalil Nakhleh, "The Myth of Palestinian Development : Political Aid and Sustainable Deceit." (Jerusalem : Passia, 2004).
(8) Ghanem, op. cit.
(9) Mushtaq Husain Khan, George Giacaman and Inge Amundsen (eds.) "State Formation in Palestine : Viability and Governance during a Social Transformation", (Routledge Political Economy of the Middle East and North Africa, 2004).
(10) Informations collectées en 2015 lors d’interviews par l’auteur en Palestine.
(11) Cf Cheryl A. Rubenberg, "The Palestinians : In Search of a Just Peace". (Boulder & London : Lynne Rienner Publishers, 2003), p. 256. Voir aussi : Jamil Hilal and Mushtaq Khan, “State Formation under the PNA : Potential Outcomes and their Viability” in Khan, Mushtaq and Amundsen, Inge and Giacaman, George, (eds.), "State Formation in Palestine : Viability and Governance during a Social Transformation". (London : Routledge, 2004) pp. 64-119.

* Tariq Dana est un Palestinien, chercheur à l’Université Birzeit où il travaille sur l’économie politique, la société civile, les mouvement sociaux et les relations Etat-société civile. Il a collaboré avec plusieurs ONG et agences onusiennes en TPO, Afrique et Europe. Il est membre de al-Shabaka, le think-tank palestinien de débat et d’éducation permanente pour les droits de l’homme et l’auto-détermination, dans le cadre du droit international.

Du même auteur :

- Ces capitalistes palestiniens qui sont allés trop loin - 23 janvier 2014

18 août 2015 - al-Shabaka - Vous pouvez consulter cet article à :
https://al-shabaka.org/briefs/corru...
Traduction : Info-Palestine.eu->/spip.php?art... - Marie Meert


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