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« L’homme ne vivra pas que de pain »

mardi 28 juillet 2015 - 07h:16

Samah Jabr

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Les élections palestiniennes de 2006 ont déplu aux puissances occidentales. Suite au boycott économique de la Palestine qui en a résulté, notre président nous a déclaré que « s’il nous faut choisir entre le pain et la démocratie, nous choisissons le pain ».

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Des Palestiniens accomplissent leurs prières dans les rues de Jérusalem alors que les forces d’occupation leur refusent le passage, durant le Ramadan en 2014 - Photo : MEO

Pourtant, le boulanger Khader Adnan pense et se comporte autrement, illustrant le principe que « l’homme ne vivra pas que de pain ». Adnan a enduré deux longues et périlleuses grèves de la faim en détention israélienne depuis 2013.

La première a été déclenchée par la torture et des sévices humiliants ; ses interrogateurs lançaient des insinuations sexuelles à propos de son épouse, se moquaient de sa foi et de son physique, arrachaient sa barbe, et souillaient sa moustache des saletés de leurs chaussures. Adnan a dominé durant les deux grèves de la faim, ce qui entraîna sa libération de la prison et attira l’attention du monde sur la situation désespérée des prisonniers politiques palestiniens mis en détention administrative israélienne, détenus sans inculpation ni procès par période de six mois renouvelable indéfiniment.

Israël n’a pas triomphé et Gaza n’a pas été brisée

En dépit du siège et de son abandon, la bande de Gaza reste un centre d’innovations ; récemment, la farine sans gluten pour les malades souffrant de maladie cœliaque – une matière qui n’est pas disponible à Gaza en raison du siège – a été développée et mise à disposition ici par deux chercheurs de l’université d’Al Israa. Des jeunes gens ont construit des machines pour aider les personnes qui sont devenues paralysées, tout comme ils ont conçu des moteurs et des outils pour la détection des mines terrestres.

Les nombreuses années de fermeture et les niveaux croissants de la violence portée contre la population lors des trois dernières guerres n’ont pas réussi à briser la volonté de la population ici. Aujourd’hui, un an après la guerre destructive de 51 jours qui laissa plus de 100 000 personnes sans-abri, Gaza attend toujours, patiemment, sa reconstruction ; mais Gaza attend dans une ténacité inébranlable.

Les jérusalémites : citoyens de nulle part

Bien vivre à Jérusalem est un défi, étant donné que l’occupation non seulement nous refuse la citoyenneté, nous assigne un statut fragile de résidents temporaires, et impose des règles qui menacent notre droit à résidence, à nos maisons et à nos ressources, mais elle nous impose encore des amendes et des taxes avec l’objectif de nous chasser de notre ville natale. Les lois prennent le mariage avec un(e) « non-jérusalémite » comme prétexte pour éventuellement retirer le droit à résidence.

Néanmoins, durant le mois du Ramadan et la fête de l’Aïd, quand de nombreux Palestiniens viennent à Jérusalem, ceux de Cisjordanie et ceux qui ont la citoyenneté israélienne, alors nous pouvons profiter de moments de joie et célébrations qui font valoir l’essence palestinienne de cette ville qui nous a été prise par la force.

Les médias sociaux ont débordé d’autoportraits de personnes ayant réussi à arriver jusqu’à Jérusalem, certaines en empruntant des tunnels cachés et en passant avec des échelles par-dessus le mur de séparation. Des gens ont posé avec des banderoles portant les noms d’amis et membres de leur famille à qui il fut refusé l’accès à la ville.

Ces photos transcendent le caractère superficiel à la mode des égoportraits typiques et symbolisent notre sens de l’enracinement et de l’appartenance. Bien que les jérusalémites soient des citoyens de nulle part, peu d’entre nous échangeraient notre ville natale contre un quelque part ailleurs dans le monde.

Sur le sens du sumoud

Telles sont les expériences liées au concept palestinien du « sumoud ». Bien qu’il soit difficile de donner une définition exhaustive, globale de ce terme, il en existe d’innombrables exemples caractéristiques, en tant qu’attitude individuelle et collective, dans des situations extrêmes comme dans la vie quotidienne. Si des termes comme « détermination » et « développement d’une adversité avancée » sont actuellement appréciés en une psychologie positive, les Palestiniens utilisent le terme depuis le temps de leur mépris pour le mandat britannique.

Le terme a pris des significations variées à différents moments de la lutte palestinienne et en réponse à des évènements complexes : déplacement massif, vie sous occupation, vie comme Palestinien de citoyenneté israélienne, emprisonnement, et exil. Alors qu’une détermination est un concept orienté vers un état d’esprit, le sumoud, lui, exprime à la fois un état d’esprit et une orientation pour l’action.

Le sumoud alors, ce n’est pas simplement être capable de survivre ou en mesure de faire un retour en force pour s’en sortir et s’adapter au stress et à l’adversité. Le sumoud accomplit cela, mais en plus il maintient un mépris résolu pour l’assujettissement et l’occupation.

Le sumoud n’est pas un attribut inné, ni la conséquence d’un évènement vécu ponctuellement, mais un système d’aptitudes et d’habitudes qui sont apprises, et qui peuvent être développées. Il forme la base d’un mode de vie de résistance ; s’ancrant dans le sol comme un olivier aux racines profondes, préservant son identité, poursuivant l’autonomie et un rôle actif, préservant le récit des Palestiniens et leur culture face à l’élimination.

Il est l’autosuffisance des agriculteurs qui subsistent sur leur propre production limitée, tout en évitant de consommer les produits israéliens ; il se reflète dans le travail des ouvriers de la construction qui rejettent la tentation de construire les colonies israéliennes et acceptent des revenus inférieurs en construisant pour les Palestiniens ; on le voit dans la capacité génératrice des parents dont l’engagement commence avec la naissance d’un enfant, mais se poursuit en aimant et en apprenant à l’enfant comment être un Palestinien comme il faut devant un anéantissement qui menace la nation palestinienne.

Quand l’occupation déracine nos oliviers, nous en plantons d’autres nombreux ; quand ils démolissent nos maisons, nous en reconstruisons de nouvelles ; quand ils ferment nos écoles, nous créons des écoles improvisées ; quand ils obscurcissent notre histoire, nous nous engageons dans le témoignage, le souvenir et la documentation.

Quand ils nous morcellent en stratifiant les couleurs des papiers d’identité, des plaques d’immatriculation, et par des conflits entre les partis politiques, nous œuvrons à la construction de liens de solidarité par une action collective qui maintient la cohérence de la communauté.

Le sumoud n’accepte pas le statu quo, ne tolère pas la corruption, et n’apprécie pas l’aumône. Pendant de nombreuses années, officiellement pour soutenir le sumoud des Palestiniens vivant sur la terre occupée, 5 % des salaires de centaines de milliers de travailleurs palestiniens dans le Golfe leur ont été déduits, chaque mois, par le Fond d’aide à l’Organisation de libération de la Palestine ; une partie de cet argent a été mal utilisée comme une subvention sans programme de développement et distribuée avec l’objectif de promouvoir une polarisation politique. Beaucoup de cet argent a été gaspillé dans la corruption.

Quand le vent politique s’est tourné contre les Palestiniens dans le Golfe, beaucoup ont perdu leur travail et leurs maisons. Les travailleurs ont souffert à cause de la mauvaise conduite de la direction palestinienne et il n’y a eu aucun argent du sumoud pour les soutenir dans cette situation difficile pour eux.

Un gouvernement du sumoud : au-delà de l’antagonisme de la résistance armée et de la coordination de la sécurité

Au cours des derniers mois, les forces de sécurité palestiniennes ont arrêté des centaines d’étudiants d’universités, de syndicalistes et de journalistes des partis d’opposition – tous, pour des « raisons de sécurité ». Pendant que Khader Adnan s’imposait dans sa grève de la faim contre les autorités israéliennes, dans les prisons palestiniennes Islam Hammad n’avait pas encore gagné sa grève de la faim de 100 jours.

Le gouvernement palestinien crée de véritables obstacles pour les gens dans leur réalisation du sumoud et perturbe leur capacité à se tenir concentrés sur l’occupation israélienne.

Si les Accords d’Oslo ont instauré un plafond limite à ne pas franchir pour la résistance palestinienne, il reste encore de l’espace pour que le gouvernement palestinien devienne un gouvernement de sumoud, au lieu d’être un gouvernement de sous-traitants qui épargne à l’occupation d’avoir à affronter ses responsabilités et qui remplit sa sale besogne pour un moindre coût.

Il est notoire qu’un gouvernement d’unité n’a aucun sens sans re-conceptualisation et réforme du rôle du gouvernement en un rôle véritablement transformateur – procédant selon un programme national complet pour la libération, sans favoritisme, népotisme ni corruption.

Il est de la responsabilité d’un gouvernement d’unité nationale de promouvoir le sumoud du peuple face à l’occupation, la polarisation, la corruption et la déchéance morale. Il est du devoir de ce gouvernement d’améliorer la survie des Palestiniens sur leurs terres occupées et de préserver l’identité palestinienne de l’exilé ; il doit faire progresser les droits humains et les objectifs nationaux du peuple palestinien ; il doit promouvoir la survie économique pour tous, face à la régression, au consumérisme et au fossé économique grandissant entre une élite minuscule et une majorité appauvrie.

Un gouvernement de sumoud peut préserver notre dignité nationale en dépit des efforts délibérés pour amener la dégradation et l’humiliation sur les Palestiniens ; il peut avoir un impact sur la solidarité internationale avec la Palestine, parce que sumoud et solidarité sont des valeurs synergiques grâce auxquelles se développent mutuellement leurs dynamiques et impacts.

Le choix du sumoud n’est pas aisé ni sans douleur, et il ne signifie pas l’absence d’émotions négatives face à la perte. En revanche, le sumoud signifie la conservation de l’optimisme, de la solidarité morale et sociale, tout en traitant des réalités sinistres et des structures oppressives. Il est, dans le fond, ce qu’ont vécu Khader, Islam et bien d’autres ; cette position douloureuse où l’on recherche notre liberté perdue avec l’espoir que nous la retrouverons un jour.

*Samah Jabr est jérusalémite. Elle est psychiatre et psychothérapeute et exerce en Palestine occupée.

De la même auteure :

- Un vol sur El Al - 2 juillet 2015
- Humanitarisme à la sauce israélienne - 31 mai 2015
- Promouvoir la résilience dans les écoles palestiniennes - 20 mai 2015
- Samah Jabr : les « traumatismes cachés » de la vie sous occupation - 24 décembre 2014
- Une oppression intériorisée ? - 17 avril 2014
- La politique discriminatoire d’Israël à Jérusalem-Est n’a aucune base légale - 11 décembre 2013
- L’apartheid a un visage - 25 février 2012
- Un Etat policier en construction - 10 décembre 2010
- La vie des femmes palestiniennes sous occupation - 26 mars 2009
- Le goût de l’amertume - 22 février 2009
- Palestine... Paix factice et vraie guerre - 2 janvier 2009
- Témoigner de la vérité et en payer le prix - 20 décembre 2008
- A la recherche de l’insaisissable partenaire israélien pour la paix - 30 octobre 2008
- « Terrorisme » au bulldozer ? Tout dépend de qui est dessus et qui est dessous - 9 août 2008

20 juillet 2015 - Middle East Monitor - Vous pouvez consulter cet article à
https://www.middleeastmonitor.com/a...
Traduction : Les Amis de Jayyous - JPP


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