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Un an de califat : les sept guerres dans les pays musulmans où l’« Etat islamique » est puissant ou se renforce

mercredi 8 juillet 2015 - 06h:23

Patrick Cockburn

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Patrick Cockburn conclut son enquête avec un regard sur les deux composants cruciaux de l’expansion rapide du soi-disant califat : l’un étant la force de l’organisation elle-même et tout aussi important, les étonnantes faiblesses de ses adversaires.

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Régner sur un champ de ruines... - Photo : The Independent

Sept guerres font rage dans les pays musulmans situés entre les frontières du Pakistan à l’est et le Nigéria à l’ouest. Dans tous les sept –Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Libye, Somalie et le nord-ouest nigérian –des versions locales de l’EI sont déjà puissantes ou renforcent leur influence. La clé de sa brutale expansion en Irak et en Syrie depuis 2011 est sa capacité à faire la guerre, qui résulte d’un cumul de fanatisme religieux, d’expertise militaire et d’extrême violence. De plus, ses succès ont été possibles parce qu’il est opposé par des gouvernements et des armées faibles, corrompus ou non-existants.

L’amplitude de l’ « Etat islamique » a été hideusement démontrée par des attaques quasi-simultanées en Tunisie, France, Kuwaït et à Kobané en Syrie. Les trois premières atrocités ont bénéficié d’une couverture médiatique complète, mais la quatrième, qui fut de loin la plus grande tuerie prit place à Kobané, où au moins 220 civils kurdes, dont des femmes et des enfants, furent massacrés jeudi dernier par des combattants de l’EI.

Tristement, ce fut un événement qui eut peu d’échos dans le monde alentour, sans doute parce que les assassinats en masse de civils ne sont considérés que comme un épisode de plus, tragique mais inévitable dans la guerre en Syrie et en Irak.

Une telle insensibilité aux incessants massacres dans ce conflit n’est pas seulement moralement répréhensible, mais montre un sérieux aveuglement politique. Ce qui rend les assassinats dans une banlieue lyonnaise, une plage à Sousse ou la mosquée Imam al-Sadiq à Kuwait si différents –et dans certains cas plus menaçants que les attaques du 9/11 et du 7/7 - est qu’aujourd’hui, ces crimes sont encouragés par un gouvernement qui, sous la forme d’un califat auto-proclamé, possède une armée plus puissante et contrôle plus de monde que la plupart des membres de l’ONU.

Les gouvernements des Etats-Unis et de l’Europe de l’ouest font tout leur possible pour que leurs peuples ne concentrent pas leur attention sur cette dangereuse évolution car ils ne veulent pas insister sur leur propre culpabilité et leur échec à affaiblir ou même contenir l’EI.

Ses forces –aussi bien que les faiblesses de leurs adversaires- permettent d’expliquer sa rapide ascension et celle d’autres mouvements du type al-Qaida au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mais un autre ingrédient toxique propulse l’EI en avant : il s’agit de l’exacerbation et de l’exploitation des différences religieuses et des haines, surtout entre les Musulmans sunnites et chiites. A partir du moment qui suivit l’invasion US en 2003 et où Abou Musab al-Zarkawi créa le précurseur d’al-Qaeda en Irak ainsi que l’EI, ses cibles principales étaient les chiites irakiens. Des attentats-suicide massacrèrent des civils chiites à la prière, au marché ou attendant le bus.

La même situation prévaut dans les pays musulmans à travers le monde et plus particulièrement dans les sept, bouleversés par la guerre. Un exemple est le Yémen, où un tiers de la population de 25 millions appartient à la secte zaydie chiite et le reste est sunnite, mais où il n’y eut jadis que peu de conflits sectaires.

En avril de cette année, l’EI a annoncé sa présence au Yémen en affichant une vidéo montrant la décapitation de quatre soldats gouvernementaux et l’exécution par balles de dix autres.

Comparé à al-Qaeda dans la péninsule arabique (AQAP), l’EI est un retardataire au Yémen mais les deux groupes prospèrent pendant que l’hostilité sunnite-chiite augmente, de façon à se présenter comme les troupes de choc et les protecteurs de la communauté sunnite. Quand les victimes chiites sont absentes, comme en Libye, les groupes de l’EI ont alors rituellement assassiné des travailleurs chrétiens immigrés d’Egypte et d’Ethiopie.

Le meurtre des chiites n’est pas seulement l’expression de leur haine, mais est sous-tendue par un objectif moins visible et quasi- démoniaque. L’un des buts est de provoquer les chiites à riposter de la même façon par des massacres de sunnites à grande échelle à Bagdad en 2006 et 2007, les réduisant à quelques enclaves surtout à l’ouest de la ville. Le but de cette provocation des chiites est que les sunnites n’ont alors d’autre alternative que de se tourner vers l’EI ou al-Qaeda pour être défendus. Le même calcul est aujourd’hui appliqué au Yémen.

Parce que l’EI fait connaître et se vante de ses atrocités pour propager la peur, il occulte le fait que des affiliés officiels d’al-Qaeda tels que Jabhat al-Nusra en Syrie ou AQAP au Yémen, sont tout aussi dangereux.

Leur programme de base est très semblable à celui de l’auto-proclamé califat, pendant qu’al-Nusra exécute la conversion forcée des Druzes et massacre ceux qui résistent. Cet essai pour re-nommer des djihadistes sunnites extrêmistes et non-EI est opportuniste et son but est de les rendre plus acceptables pour des Etats sunnites comme la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.

Depuis longtemps existe un désaccord concernant la véritable force de l’EI et sa capacité d’expansion. Dans l’ensemble, l’argument selon lequel l’EI est plus puissant qu’il n’en a l’air est confirmé par des événements tels que la prise de Mossoul le 10 juin 2014 et celle de Ramadi le 17 mai cette année. Ces victoires de l’EI ont pris le monde par surprise et l’ont aidé à revendiquer son succès comme divinement inspiré.

En fait, il y a deux composantes cruciales à l’expansion de l’EI, l’une étant la force de l’organisation elle-même, mais tout aussi importantes sont les spectaculaires faiblesses de ses adversaires.

C’est cette faiblesse qui a sans cesse dépassé les attentes et non seulement conduit à la déroute de l’armée irakienne à Mossoul et Ramadi, mais aussi en août dernier à la désintégration toute aussi rapide des Peshmergas kurdes irakiens, censés être une force plus coriace. Bien que les militants excellent à dissimuler l’endroit et l’horaire de leur assaut principal, c’est la faiblesse de la résistance qui décide de son issue.

Le même schéma se répète à travers le monde musulman et offre à l’EI et ses équivalents de type al-Qaeda, de nombreuses possibilités.

Certains pays, comme la Somalie, n’ont eu aucun gouvernement véritable depuis le renversement de Siad Barre en 1991 ; mais après une spectaculairement désastreuse intervention américaine dans les années 90, les puissances étrangères ont essayé de circonscrire plutôt que d’éliminer la menace. La Somalie a été considérée comme perdue et comme un refuge pour les bandits et les pirates d’al-Qaeda mais, au moins, il y avait peu d’endroits au monde comme celui-là.

Mais les « Etats en perdition » sont plus dangereux qu’ils n’en ont l’air parce que quand les gouvernements centraux s’écroulent, ils créent un vide facilement comblé par des regroupements comme l’EI. L’intervention militaire étrangère a régulièrement été l’une des causes de ces conditions – en Irak en 2003, mais aussi en Libye en 2011 et au Yémen cette année, où une offensive aérienne sous contrôle saoudien a ciblé l’armée yéménite, la seule institution qui rassemblait le pays.

Ce que l’on pourrait appeler la « somalisation » de divers pays devient fréquente et les peuples dans le reste du monde apprennent qu’un « Etat en perdition » doit susciter la crainte plutôt que la pitié.

Les croyances de l’EI sont vraiment une ramification du wahhabisme saoudien, les deux idéologies dégradant la condition des femmes, imposant des normes islamiques fondamentales et considérant les chiites et les chrétiens comme des hérétiques ou des païens. Mais bien qu’ayant des aspects en commun, elles ne sont pas identiques. Ce que l’Etat islamique croit et applique est une sorte de néo-wahhabisme, distinct de cette variante de l’islam qui prévaut en Arabie saoudite. En pratique, l’Etat saoudien n’essaie pas, contrairement à l’EI, d’assassiner sa minorité chiite de deux millions de personnes, bien qu’il exerce une discrimination à leur égard.

Un chef d’accusation plus précis envers l’Arabie saoudite est que depuis un demi-siècle, ce pays a réussi à utiliser ses importantes ressources financières pour mettre l’islam sunnite dominant sous l’intolérante influence du wahhabisme, renforçant ainsi les antagonismes religieux.

Sa violence et sa détermination pour augmenter son pouvoir, ont produit de nombreux ennemis à l’EI. Mais la désunion de ceux-ci, leurs rivalités et méfiances mutuelles sont grandes. Les USA et l’Iran combattent tous deux l’EI en Irak et en Syrie, mais ils ne veulent pas que l’autre devienne la puissance étrangère dominante.

En attendant, les USA sont freinés dans leur lutte contre l’EI, Jabhat al-Nusra et autres groupes par leur détermination à la mener sans s’aliéner les Etats sunnites auxquels ils sont alliés, et leur soutien dont dépend la puissance américaine au Moyen-Orient.

C’est la méthode utilisée depuis 9/11, quand Washington voulait punir les coupables, mais en évitant soigneusement de relier l’attaque à l’Arabie saoudite, la patrie d’Oussama ben Laden, de 15 sur 19 des pirates et des donateurs privés qui financèrent l’opération. L’EI est sous pression, mais pas suffisamment pour l’écraser ou empêcher sa future expansion.

* Patrick Cockburn est l’auteur de Muqtada : Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq

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Lire également :

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Juillet 205 – The Independent – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/news/w...
Traduction : Info-Palestine.eu - Jean Cartier


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