16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

Le prix de la liberté en Égypte, c’est la mort !

samedi 23 mai 2015 - 20h:49

Abdullah Al-Arian

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


Le régime ne cherche pas seulement à prendre la vie de ces accusés, il veut aussi tuer toute opposition citoyenne.

JPEG - 53.6 ko
Dans l’histoire de l’Egypte, Mohamed Morsi est le premier président a être élu de façon démocratique. A ce titre, il reste encore aujourd’hui le président légitime - Photo : EPA

Comme dans un film d’horreur kitsch des années 1940, les morts se relèvent en Égypte pour terroriser la population. Le système judiciaire égyptien vient de prendre la décision alarmante de condamner Mohamed Morsi pour avoir préparé avec le Hamas son audacieuse évasion de prison en 2011, ainsi que pour d’autres charges de conspiration avec des agents étrangers contre la nation, pendant sa courte présidence.

Selon un responsable palestinien de Gaza, cependant, trois des présumés co-conspirateurs de Morsi étaient morts depuis plusieurs années au moment où Morsi a commis les infractions pour lesquelles il a été condamné à la peine de mort, samedi.

Dans un cas de mort qui imite l’art*, la « légende de la momie »** semble avoir influencé des juges égyptiens dont les décisions sont de plus en plus indignes, à mesure que les jours passent.

Une fois de plus, le monde a assisté avec surprise et consternation à la massive condamnation à mort de plus de 100 personnes à l’issue d’un procès qui n’a jamais respecté les règles de base en matière de preuves ou de procédure .

Un procès politique

Comme on l’a vu avec les innombrables procès politisés contre des milliers d’Égyptiens depuis le coup d’état de juillet 2013 qui a fait de l’armée le seul arbitre du pouvoir, une notion différente de la « justice » est actuellement à l’œuvre en Égypte.

Cette « justice » poursuit toutes les personnes et tous les groupes considérés par le pouvoir comme complices des manifestations de masse de janvier 2011 qui ont détrôné Hosni Moubarak et de la tentative de passer à une forme plus représentative de gouvernement des deux années qui ont suivi son renversement.

Le régime militaire d’Abdel Fattah El-Sissi, qui veut remettre en place un système autoritaire pour gouverner l’Égypte, a jugé bon d’en finir avec l’idée que l’Égypte vit toujours une révolution populaire, ou même qu’elle en ait jamais vécu une. Malgré son apparence arbitraire, il s’agit en fait d’un processus délibéré tant dans le choix de ses cibles que de par la férocité avec laquelle il les poursuit.

Toutes les forces de la société qui ont la capacité d’influencer l’opinion publique ou de mobiliser le soutien populaire sont intégrées dans la narrative de la "guerre contre le terrorisme" tous azimut du régime. Pour neutraliser les opposants de cette manière le régime doit inventer d’immenses conspirations et fabriquer des connexions fictives.

Tout de suite après le coup d’état, l’État s’est dépêché d’interdire tous les médias indépendants considérés comme hostiles à la prise de contrôle de l’armée. Dans les mois qui ont suivi, non seulement Al Jazeera a été ciblé pour sa couverture critique, mais les autorités égyptiennes ont arrêté plusieurs de ses journalistes en les accusant d’avoir participé à un complot contre des dirigeants des Frères musulmans.
 
Si les procédures judiciaires ont démontré quelque chose, c’est que les connexions dont on les accusait étaient inventées de toutes pièces, mais l’affaire (qui continue à traîner en longueur devant les tribunaux) a réussi à limiter considérablement la capacité des médias à rendre compte de l’ampleur de la répression en Égypte ou à donner la parole à ceux qui continuent d’appeler à un changement révolutionnaire.

Les sources potentielles de problèmes

Les procédures contre Morsi ont aussi touché des notables religieux et des universitaires qui représentaient tous un obstacle potentiel à la dictature en herbe.

Sondos Asem était la seule femme et faisait partie des condamnés à mort les plus jeunes de l’audience de samedi. Elle a été un des porte-parole du Parti de la Justice et de la Liberté des Frères musulmans et elle s’occupait de leur site internet. Son travail était emblématique du moment révolutionnaire qu’a connu l’Égypte et de l’espoir qui a soulevé une jeunesse éloquente et passionnée. La majeure partie des 41.000 prisonniers politiques qui occupent actuellement les prisons du pays sont de jeunes militants que le régime a voulu affaiblir et faire taire par l’intimidation et la violence.

Le nom de Yusuf al-Qaradawi, sans doute l’autorité religieuse la plus importante du monde musulman sunnite, a été également été cité dans la liste des condamnés à mort. Bien qu’il ait vécu en exil pendant des décennies, Qaradawi a gardé une énorme influence sur le discours religieux en Égypte et il s’est de plus en plus politisé pendant les soulèvements arabes. Il a prononcé un sermon du vendredi passionné sur la place Tahrir, quelques jours après le départ de Moubarak et il est devenu un des critiques les plus virulents de Sissi après le renversement de Morsi.

Il est à noter que Sissi qui accuse les Frères musulmans et leurs partisans d’utiliser cyniquement la religion pour atteindre leurs objectifs politiques, a lui-même fréquemment employé des images religieuses pour justifier son accession au pouvoir. Depuis, il a utilisé ce pouvoir pour promouvoir une interprétation particulière de l’Islam et s’est efforcé de mettre l’establishment religieux du pays plus directement sous la coupe de l’État. Peut-être à juste titre, la décision d’appliquer la peine de mort contre Morsi revient à la plus grande figure religieuse de l’Égypte, le grand mufti.

Au cours de sa répression généralisée de la société civile égyptienne, le régime a particulièrement ciblé le milieu universitaire qui représente un centre important d’organisation civique et de mobilisation populaire. Après le renversement de Morsi, les universités de l’Égypte sont devenues le lieu principal des protestations anti-putschistes. Le régime a rapidement réagi en mettant en place une police universitaire pour la première fois depuis des décennies et en adoptant de lois draconiennes permettant l’expulsion des professeurs et des étudiants pour leurs opinions ou leurs activités politiques.

Les attaques contre la liberté universitaire

La condamnation d’Emad Shahin est le reflet de ces attaques contre la liberté académique. Cet éminent professeur de science politique a enseigné à l’Université américaine du Caire et à l’Université de Georgetown. Bien qu’il vive actuellement à l’étranger, il a néanmoins été également reconnu coupable et condamné à mort dans l’affaire d’espionnage. Pour ceux qui le connaissent ou suivent son travail, Shahin a toujours fait preuve d’un engagement indéfectible à ses principes et de la rigueur intellectuelle nécessaire à leur défense.

Dans un communiqué publié à la suite de la décision du tribunal, il a écrit : « Depuis plus de deux ans, les agences de l’armée et de la sécurité ont organisé une contre-révolution contre tous ceux qui sont associés à la révolution du 25 janvier et elles luttent contre le désir des Égyptiens de construire une société libre et démocratique. Les organes censés être au service du peuple, sont les premiers à l’opprimer. En tant que chercheur universitaire indépendant, je vais continuer à soutenir et défendre les valeurs démocratiques, les droits de l’homme et la réconciliation nationale. Ce sont les valeurs précises dont l’Égypte a besoin aujourd’hui pour se tracer un chemin de paix dans l’avenir ».

Les dernières sentences de mort qui ont été prononcées montrent clairement que le régime ne cherche pas seulement à prendre la vie de ces accusés-là, mais aussi à tuer dans l’œuf toute forme de dissidence.

Notes :

*Allusion à une célèbre citation d’Oscar Wilde : « La Vie imite l’Art bien plus que l’Art n’imite la vie ». http://www.etudier.com/dissertation...
** La légende de la momie est un film américain réalisé par Jeffrey Obrow en 1997. Margaret Trelawny, fille d’un égyptologue, se met en tête de résoudre une série de meurtres qui auraient été commis par une momie (Wikipedia).

JPEG - 2.7 ko

* Abdullah Al-Arian est maître de conférences à Georgetown University, School of Foreign Service au Qatar et auteur de Answering the Call : Popular Islamic Activism in Sadat’s Egypt

Du même auteur :

- Élections en Égypte : une farce tragique - 28 mai 2014

17 mai 2015 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.