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Des féministes palestiniennes dans l’ombre de Jérusalem

jeudi 12 mars 2015 - 14h:33

Lubna Ahmad

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Ce sont des héroïnes. Elles sont courageuses et loyales. Elles peuvent donner au monde entier une leçon de force et de vie.

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Malgré le harcèlement quotidien des autorités israéliennes, Oum Osama, 75 ans, travaille depuis une vingtaine d’années au marché de la Vieille Ville à Jérusalem pour soutenir sa famille - Photo : MEE/Lubna Ahmad

« Je m’appelle Oum Osama. Je ne connais pas mon âge exact, mais je pense que j’ai 75 ans. Je suis née avant 1948. J’avais 4 ans quand nous avons été déplacés de notre terre à Bersabée [actuellement Be’er Sheva]. Nous avons d’abord trouvé refuge au village de Khouza [à l’est de Khan Younès, Gaza]. Plus tard, quand la situation s’est aggravée et que l’armée israélienne a tué beaucoup de gens, nous sommes allés à Gaza en abandonnant tout derrière nous, même nos affaires personnelles. Nous avons laissé les champs de blé, les carré de pastèques et de légumes que mon père cultivait …

Pendant la guerre de 1948, mon père est retourné dans ses champs avec ses deux ânes, pour moissonner le blé. A ce moment-là, beaucoup de gens essayaient de retourner chez eux. Mon père a été abattu dans ses champs avec ses deux ânes. Il n’est jamais revenu… Pendant ses funérailles, ma mère a été obligée de dire qu’elle était enceinte, pour que les gens, plus tard, n’aillent pas croire qu’elle avait eu une aventure avec un autre homme ».

Quand le bébé est né, la famille d’Oum Osama l’a appelé Awad, ce qui veut dire ’compensation’ en arabe, parce qu’on ressentait qu’il était en quelque sorte une compensation pour la mort du père. « Nous étions cinq enfants. Deux sont morts et deux ont survécu à la guerre et ils vivent à Gaza ».

Depuis 20 ans, Oum Osama vend des marchandises sur la rue principale vers la mosquée al-Aqsa dans la Vieille Ville à Jérusalem. Elle a réussi à se trouver une place sur les marches de la maison qu’Ariel Sharon, ancien Premier ministre israélien, avait achetée au cœur de la partie palestinienne de la Vieille Ville. Un grand drapeau israélien flotte chaque jour au-dessus de sa tête.

Tous les jours Oum Osama est harcelée par la police, les soldats et les inspecteurs israéliens de la municipalité qui tentent de l’expulser de la Vieille Ville. Malgré toutes les difficultés qu’elle a rencontrées, elle tient bon depuis des lustres à sa place. Elle lutte à chaque fois et revient toujours avec ses marchandises, surtout des fringues de femme colorées, qu’elle étale sur le sol. Ses clients sont des femmes palestiniennes qui se rendent à la mosquée al-Aqsa.

Ceux qui s’avisent de marchander avec elle ne l’emportent jamais. Elle est forte et déterminée. « Si vous n’aimez pas mes prix, allez donc voir l’industrie chinoise … Depuis que les Chinois contrôlent le marché ici, c’est plus difficile pour nous. C’est de la mauvaise qualité, mais c’est moins cher pour les gens. J’ai dû baisser les prix. Vous voyez cette « dishdasha » [gandourah] ? Je vends les 12 pièces pour 100 shekels [24€]. Je ne fais pas de gros profits. Depuis que les routes sont fermées entre les villes palestiniennes, il est très difficile de faire venir la marchandise de l’extérieur, je dois donc acheter dans les magasins des environs et les revendre avec un gain de 1 ou 2 shekels [25 à 45 centimes d’€] ».

Quand Oum Osama est arrivée à Jérusalem en 1996, les routes entre la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem étaient plus accessibles. Elle est venue avec son mari, Salami, qui est décédé cette année-là. Depuis elle travaille seule : « Il me manque, c’était un homme bon, une belle âme ».

Elle pense aux jours passés : « Nous prenions le bus depuis al-Musrara [près de la Porte de Damas] à l’entrée de la Vieille Ville et je pouvais me rendre à Gaza tous les mois pour aller voir ma famille … J’aimais bien les soirées d’avant l’Aïd [la Fête musulmane]. Les routes étaient ouvertes et nous pouvions passer au poste d’Erez juste en montrant nos cartes d’identité … La Vieille Ville était bondée de gens venus de toute la Palestine, le marché était très animé, les Palestiniens venaient de Naplouse, de Ramallah, d’Abou Dis et d’ailleurs. Les affaires marchaient bien. On venait à Jérusalem parce que les gens disaient que c’était le bon endroit pour le commerce. Aujourd’hui, Jérusalem est isolée à cause du Mur et plus personne ne peut y venir. Gaza aussi est sous blocus et même un moustique ne peut passer à Erez. Regardez autour de vous. Est-ce que vous voyez quelqu’un ici ? Que des soldats ou des colons ».

Quand Sharon est entré à la mosquée al-Aqsa en 2000 et que la deuxième Intifada a commencé, la situation politique s’est aggravée et la vie d’Oum Osama est redevenue difficile. Elle n’a pas pu retourner à Gaza depuis lors. Y aller impliquerait de ne pas pouvoir revenir à Jérusalem, où elle gagne sa vie. Elle est restée à Jérusalem pour aider ses huit enfants adultes, leurs familles et ses petits-enfants.

Pendant la dernière guerre contre Gaza, à l’été 2014, cinq de ses proches parents, y compris des femmes et des enfants, ont été tués par l’armée israélienne, et leurs familles ont perdu leur maison. Depuis, le cercle familial qu’elle soutient s’est encore élargi. « Il n’y a pas de travail à Gaza. Même ceux qui étudient à l’université n’ont pas de boulot. Mes fils et mes filles, leurs familles, tous comptent sur moi … De temps en temps je leur envoie des couvertures, de l’huile, des vêtements et des sucreries ».

Oum Osama n’a jamais rencontré ses petits-enfants.

En 2008, j’ai rendu visite à sa famille à Gaza et je lui ai rapporté des photos de chacun de ses enfants. Elle n’en a reconnu aucun. « Ils ont grandi très vite » dit-elle.
Je lui ai proposé d’envoyer quelqu’un avec un ordinateur dans sa famille, pour qu’elle puisse les voir par Skype, mais elle a refusé. « Ça me briserait le cœur – et je n’aime pas quand c’est trop émotif » a-t-elle dit.

Il a fallu 20 ans à Oum Osama pour établir sa vie dans la Vieille Ville, à lutter pour sa place au milieu des nombreuses échoppes du marché, avec les autorités israéliennes qui viennent tous les jours pour arrêter ceux qu’ils considèrent comme illégaux. Ils ont confisqué ses marchandises des centaines de fois. « J’ai perdu pas mal d’argent, ils viennent de la municipalité et prennent tout ce que j’ai ». Oum Osama ne renonce jamais, elle se relève à chaque fois et repart. Elle est devenue partie intégrante de la ville.

« Je pense que les Israéliens ont renoncé à me chasser. Ils ont tout essayé pour m’expulser de la ville. Ils ont pris mes biens. Ils m’ont emmenée au poste de police. L’armée est même venue la nuit pour chercher des ’Palestiniens illégaux’ et ils m’ont menacée. Mais ça ne leur a servi à rien. Je suis là, et je resterai jusqu’à ce que mes enfants et leurs familles puissent avoir un avenir meilleur à Gaza ».

Il y a d’autres femmes près d’Oum Osama. Elles viennent de la Cisjordanie, de Beit Lahm (Bethléhem) et de Naplouse. Elles aussi vendent leur marchandises dans les rues de la Vieille Ville, affrontent les mêmes risques d’arrestation et de confiscation. Chacune connaît l’histoire des autres et elles veillent les unes sur les autres tous les jours, leur confiant la marchandise si elles doivent s’absenter, prévenant les collègues si un fonctionnaire municipal arrive : dans ce cas, il faut qu’elles ramassent leur camelote en vitesse et prétendent être en visite.

Oum Muhammed, 67 ans, fait partie de la sororité. Tout comme Oum Osama, elle est seule et soutien de famille. Son mari est parti il y a 20 ans pour prendre une deuxième épouse, l’abandonnant avec huit jeunes enfants. « Je n’ai nul besoin de lui dans ma vie » dit-elle. « J’ai réussi à envoyer mes deux filles étudier à l’université. Mon fils n’a pas poursuivi ses études parce que je n’avais pas les moyens ». Oum Muhammed entame sa journée à 4h30 alors qu’il fait encore noir. Elle prend un taxi au village de Yatta jusqu’à Hébron, puis jusqu’à Bethléhem, et de là, elle prend le bus pour Jérusalem.

« A présent que j’ai 67 ans les soldats ne font plus guère attention à moi. Pendant des années nous avons dû entrer furtivement par des petites routes dans les collines et trouver des chemins pour éviter les soldats aux postes de contrôle. Quelquefois nous démarrions à 2h30 du matin. Les soldats nous arrêtaient et nous renvoyaient, il fallait refaire tout le chemin, mais nous ne rentrions pas chez nous. Nous connaissions des chemins de traverse. Le Mur n’était pas encore achevé à cette époque et nous pouvions le contourner pour éviter le poste de contrôle. C’était long et pénible. Parfois nous arrivions seulement à 14h30 l’après-midi. On passait 12 heures sur les petits chemins juste pour venir travailler ici » se souvient-elle.

« Ils ne comprennent pas. Les Israéliens ne comprennent pas que j’ai huit enfants et qu’il faut bien les nourrir et leur acheter des vêtement et du matériel scolaire. Je n’accepterai jamais aucune aumône. Je veux juste qu’on me permette de nourrir mes enfants et de leur donner une bonne éducation … Je travaille ici depuis 20 ans. Certains de mes enfants sont mariés maintenant et celles qui ont un diplôme universitaire n’ont pas de travail … Quand les soldats au poste de contrôle me demandent où je vais, je dis que je vais prier à al-Aqsa ». Enveloppée dans sa longue robe palestinienne, elle cache le fromage et le lait qu’elle va vendre et se fraie un chemin dans la Vieille Ville.

Après la prière du soir, Oum Muhammad rassemble ses affaires et entame le chemin du retour à Yatta. Les jours fastes, vers 20 heures elle aura gagné 10 €.

Près de Oum Muhammad et de Oum Osama se tient Maria, du village d’Artas, près de Bethléhem. Elle vend de la sauge, de la menthe et des feuilles de vigne dans la Vieille Ville depuis 1989. Elle n’a pas toujours fait ce travail. « Nous avions notre terre et nous en vivions, mais les Israéliens l’ont confisquée et il ne nous restait rien » dit-elle. Artas se trouve près de la colonie israélienne d’Effrata et subit depuis de nombreuses années des confiscations de terres. Bien que certaines terres restent aux mains des propriétaires d’origine, avec leurs vergers, beaucoup de propriétés ont été saccagées les arbres arrachés, la culture interdite – au profit du développement de la colonie voisine.

Maria poursuit : « Nous étions auto-suffisants en travaillant la terre. Nous n’avions pas besoin de privilèges. Nous voulions qu’on nous laisse tranquilles ». Comme Oum Muhammad, Maria quitte sa maison vers 3 ou 4 heures du matin avec d’autres Palestiniennes, pour aller gagner leur vie. Celles qui sont stoppées par les soldats passent à travers les collines.

« Ils savent bien qu’on va se débrouiller pour entrer, mais ils ne veulent pas qu’on entre à Jérusalem de façon digne. Ils veulent qu’on se sente comme des voleurs ».

Les fonctionnaires israéliens considèrent les Palestiniennes venant de Cisjordanie comme des travailleuses illégales ; elles doivent donc vivre en risquant constamment d’être arrêtées et en craignant de voir leur marchandise confisquée. Quand je demande à Maria ce qu’elle pense de ces Palestiniennes, elle dit : « Ce sont des héroïnes. Elles sont courageuses et loyales. Elles peuvent donner au monde entier une leçon de force et de vie ».

9 mars 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/p...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert


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