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Palestiniens d’Israël : le long combat

vendredi 6 mars 2015 - 15h:08

Dr Hatim Kanaaneh

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Parallèlement avec la création d’Israël en 1948, les forces armées sionistes ont systématiquement expulsé la population autochtone de la Palestine et ont rasé quelques 500 de leurs communautés dans le cadre de la plus grande et la plus parfaitement niée et masquée des campagnes de nettoyage ethnique des temps modernes

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Une jeune Palestinienne célèbre la journée de la Terre à Jaffa, devenue aujourd’hui Israël, mars 2014 (Keren Manor / ActiveStills)

Six décennies et demie après ce nettoyage ethnique, qui connait le village de Damoun, par exemple ? A l’exception des enfants de ses survivants réfugiés et leurs progénitures, qui se souvient encore de lui ?

Emprisonnés dans la plus grande prison à ciel ouvert qu’est Gaza ou alors dans les camps du Liban, ils sont quotidiennement terrorisés par les bangs soniques d’Israël ou par des raids aériens réels qui visent à leur imposer un autre récit de l’histoire. Pourtant, Damoun est bel et bien un village Palestinien dont la superficie est égale à Arrabeh, mon village natal.

A l’instar d’Arrabeh, Damoun n’ jamais été vidé de ses habitants depuis sa création par les Cananéens, il y a de cela plus de 4000 ans. Et à l’instar du reste de la Palestine, chacun s’était intégré dans les conquérants envahisseurs qui se sont succédés, s’est adapté à un modèle assoupli de leurs exigences, a pratiqué une version modifiée de leurs croyances et a survécu grâce aux dons et cadeaux de sa bonne terre et de ses cultures, olives, figues et blé à la fois robustes et résistants.

Mais Damoun n’existe plus aujourd’hui. Complètement rayée de la carte, elle a été remplacée par Yasur, une colonie fondée sur l’envie et la jalousie et destinée exclusivement aux Juifs, soit la révision de l’histoire la plus manifeste, la plus préméditée et la plus couronnée de succès de tous les temps.

Le destin de Damoun, ainsi que celui des centaines de villages Palestiniens effacés et largement oubliés doit nous servir de leçon, et quand je dis nous, je parle de la minorité Palestinienne d’Israël.

Personne à qui faire confiance ?

Le nettoyage ethnique se profile encore et toujours à l’horizon. A chaque fois que nous entendons des propos belliqueux ou des menaces de l’imminence d’une guerre contre la Syrie, le Liban ou l’Iran, la menace d’y être entraînés transparait et s’anime.

En qui pouvons-nous avoir confiance pour éviter que cela ne se produise ?

Certainement pas la « communauté internationale » dont les journalistes correspondants positionnés sur la Colline de la Honte au nord de Gaza et qui avaient pourtant assisté au jeu de lumières produit par le phosphore blanc qui avait ciblé le territoire assiégé durant la guerre de l’hiver 2008-2009, n’avaient rien à rapporter à leurs journaux télévisés du soir et aux téléspectateurs restés chez eux que le scoop de la nourriture qu’ils avaient reçue de la part de l’armée israélienne. Sans parler de son inaction continue face au carnage sanglant de l’été 2014.

Les citoyens Palestiniens d’Israël se trouvent à la croisée des chemins de l’espoir d’une paix réelle au Moyen-Orient, leurs réussites et leurs promesses sont passées sous silence et non honorées. En tant que membre de ce groupe indigène, j’essaie de mettre la lumière sur notre existence, de chanter notre plaisir et notre douleur, de faire écho à notre sentiment d’aliénation et de dépossession, de faire face au dilemme de notre identité, et de saluer nos succès occasionnels et notre confiance en l’avenir.

En 1948, au lendemain de la Nakba, le groupe qui était destiné à devenir les citoyens Palestiniens d’Israël venait de prendre conscience d’une nouvelle réalité troublante. Quelques 85% des résidents Palestiniens de ce qui deviendra Israël ont été forcés à prendre la direction des frontières, un passage qui les rendra réfugiés dans les pays voisins.

Les 15% restants, comme l’a souligné Dr Hunaida Ghanim qui est l’une de ses descendantes, avaient découvert qu’une « frontière brutale les traverse. » Indépendamment de leur volonté, ils sont devenus citoyens Israéliens. Ces Palestiniens, ainsi que les habitants de Jérusalem-Est et du Plateau du Golan constituent à présent plus d’un cinquième de l’ensemble de la population d’Israël.

Des tactiques de contrôle

En 1948, entre le quart et le tiers de notre groupe de citoyens avions été déplacés à l’intérieur du pays pour ensuite devenir ce qu’on appelle officiellement en Israël les « absents-présents. »

Les lois promulguées visaient essentiellement à priver les membres de ce sous-groupe de leurs maisons et de leurs propriétés privées, y compris leur terre et leurs comptes bancaires. Le reste d’entre nous commençaient progressivement à perdre la quasi-totalité de notre terre, confisquée par l’état qui s’était servi d’une dizaine de lois et ordonnances spécialement conçues et finement ajustées sous prétexte de servir « l’intérêt public » ou les besoins sécuritaires de l’état.

Les tacticiens du nouvel État étaient d’une inventivité sans bornes dans l’application de tous types de contrôle et de tactiques de dépossession à l’encontre du groupe des vaincus, des dispersés et des paysans orphelins. Ils ont adapté les mesures d’exception du Mandat Britannique qui avaient été à l’origine promulguées pour gérer les mouvements clandestins juifs, y compris un régime militaire draconien qui interdit la liberté de mouvement aux « Arabes d’Israël, » tel que l’État nous décrit, et leur a imposer un régime d’occupation pendant deux décennies complètes.

En 1967, tout le système a été déplacé en bloc vers la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, les territoires nouvellement occupés.

Simultanément, la population juive majoritaire définit l’Etat qu’elle dominait en cohérence avec elle-même, nous excluant, nous minorité Palestinienne, à toutes fins pratiques, de « l’intérêt public » naissant et des préoccupations sécuritaires de l’Etat.

Actuellement, nous ne possédons pas plus de 3% de la terre en Israël et sommes avant tout exclus de l’utilisation de la partie restante car elle appartient au Fond National Juif ou est alors désignée comme terres de l’État, l’essence même de l’entreprise sioniste.

Par contre, environ la moitié de la population juive d’Israël est constituée de personnes venues des différents pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord avec des attributs socio-économiques pas si différents de ceux des Palestiniens. La différence majeure était que l’État, soutenu par la communauté juive mondiale, avait investi d’énormes sommes d’argents et s’était investi pleinement dans des programmes bien coordonnés pour l’amélioration socio-économique d’un seul groupe.

Non seulement aucun programme similaire n’a jamais existé pour nous, les Palestiniens, mais aussi nos bases agraires communautaires ont été vendues moins cher en plus des confiscations massives des terres et les restrictions sur la sélection et la commercialisation des cultures, et sur les schémas d’irrigation au profit de la coopérative agricole juive.

Et comme les juifs de l’Est, les Séfarades ont été regroupés en Israël sous l’hégémonie culturelle des Ashkénazes, les membres de notre communauté étaient davantage marginalisés au point de devenir des journaliers dans les domaines de la construction et de l’agriculture dans les villes et les nouvelles colonies juives.

Isolement

Nous avons perdu notre autosuffisance agricole tout en échouant à avoir une base alternative pour le développement tel que le commerce ou l’industrie. Le fait de considérer nos villages comme des ennemis locaux périphériques a contribué à notre isolement.

Nos villes et villages sont devenus des villes dortoirs dans lesquels les hommes retournaient les nuits et les week-ends. C’était en fait l’actualisation des rêves bibliques des sionistes qui nous considéraient, nous les Palestiniens, comme des « bûcherons et des porteurs d’eau. »

Et pour comble d’insulte, nos cousins Arabes au-delà de la frontière malveillante nous décrivent comme un ensemble de larbins de l’État sioniste, qui ont choisi de rester et de fréquenter l’ennemi. C’est seulement en 1967, année de l’occupation de la Cisjordanie, y compris de Jérusalem-Est et de Gaza, que cette image déformée a commencé à sortir des esprits. Cette nouvelle approche nous a permis de renouer le contact avec nos concitoyens Palestiniens vaincus.

Nos politiciens sont intervenus, selon leurs moyens, pour nous accorder certaines faveurs, nos entrepreneurs ont assuré les rangs de sous-traitants et d’intermédiaires entre l’occupant et l’occupé, et nos figures de la littérature ont brillé sous les projecteurs de la loyauté nationale et littéraire qu’ils n’avaient jamais abandonnée, avec des noms comme Mahmoud Darwish,Samih al-Qasim, Taha Mohamed Ali, Tawfiq Zayyad et Emile Habibi.

Depuis la création de l’État, nous avons subi et enduré la dépossession et la ghettoïsation systématique. Dernièrement, le processus s’est transformé en un cercle vicieux : les fondamentalistes messianiques sionistes et les dirigeants des colons - la malédiction agressive de l’occupation - occupent des postes clé au sein du commandement politique et militaire d’Israël.

L’éducation : notre carte maîtresse

Avec cela, le processus de notre exclusion a reçu une impulsion et une légitimité, renforcé par des mesures législatives racistes et un climat public vindicatif frisant le consensus.

Face à l’actuelle vague de méfiance et d’hostilité aboutissant aux lynchages, je me bats pour puiser mon courage dans mon environnement. J’ai demandé à un voisin du village des nouvelles de sa famille et il m’a fièrement annoncé que son aîné poursuit des études en génie biochimique aux États-Unis. Je l’ai interrogé sur les dépenses qui devaient être très élevées, alors il a levé la scie électrique qu’il tenait avec la main droite, très haut, et s’est contenté d’une expression de fierté en guise de réponse, son front en sueur brillant sous la lumière du couchant.

J’ai rendu visite à un collègue plus jeune que moi afin qu’il me rassure sur certaines de mes fonctions corporelles affaiblies. Il a commencé à me raconter les souvenirs de son propre père, un réfugié qui avait tenu à ce que ses trois garçons entrent à l’université. Ils sont aujourd’hui médecin, architecte et physiothérapeute et pourtant, leur père ne pouvait compter que sur la puissance de ses biceps de plâtrier.

Mon collègue fléchit son bras pour montrer fièrement le signe de sumud, la détermination. Une demi-douzaine de médecins et d’infirmiers, tous des petits-neveux et nièces, se sont joints à moi pour prendre une photo commune lors du mariage d’un parent, et j’ai été très fier au-delà de la fidélité et la solidarité que cela implique : oui, dans « l’Etat des Juifs, » l’éducation est la carte maîtresse des Palestiniens ; nous sommes des obsédés et des acharnés de sumud et d’éducation.

Des familles entières économisent sur leurs salaires afin de permettre à leurs enfants d’arriver jusqu’à l’université. Des jeunes professionnels travaillent durement pour construire un avenir à leur communauté et sont à la hauteur des immenses attentes des artisans laborieux que sont leurs parents, les descendants des agriculteurs dépouillés de leurs terres. La pratique et la tradition devraient nous être suffisantes pour nous soutenir dans l’affrontement de la tempête.

* Dr. Hatim Kanaaneh est l’auteur de Chief Complaint et de A Doctor in Galilee : The Life and Struggle of a Palestinian in Israel (Pluto Press, 2008). Cet essai est extrait de son nouveau livre Chief Complaint.

20 février 2015 – Electronic Intifada – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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