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Aux États-Unis, la vie des musulmans ne compte pas

dimanche 15 février 2015 - 08h:29

Nadia El-Zein Tonova & Khaled A Beydoun

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Dans les fusillades de Chapel Hill, le fait que les trois victimes sont musulmanes a éclipsé leur nationalité américaine.

Indépendamment de ce que proclament les appels à la mobilisation et les hashtags, les vies musulmanes en Amérique n’ont pas d’importance. Le lendemain de l’assassinat des trois étudiants américains à Chapel Hill, les réactions suscitées confirment cette vérité brute.

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Yusor Mohammad (à d.), âgée de 21 ans, et sa jeune sœur de 19 ans Razan Mohammad Abu-Salha, toutes deux assassinées

Les trois victimes - Deah Barakat, 23 ans, son épouse Yusor Mohammad, 21 ans, et sa sœur Razan Mohammad Abu-Salha, 19 ans, ont été assassinées vers 17 heures mardi. L’identité du tueur, Craig Stephen Hicks, âgé de 46 ans, a été révélée environ sept heures plus tard.

Malgré l’annonce de ces faits et la preuve probante que les meurtres ont très probablement pour motif la haine raciste, les médias nationaux sont restés silencieux.

Par expérience, nous savons qu’une inversion des identités raciales et religieuses - un coupable arabe et musulman et des victimes blanches - aurait suscité l’attention immédiate des médias à l’échelle nationale et mondiale. Mais étant donné que Barakat et les sœurs Abu Salha étaient arabes et musulmanes, les médias se sont bien gardés d’assurer une couverture des faits.

En plus de la dévaluation par les médias des vies musulmanes, les politiques gouvernementales soutenues par l’État et ciblant les Américains musulmans illustrent la confusion entretenue entre l’identité musulmane et une menace terroriste. La politique institutionnelle, sous la forme de la surveillance étatique, du profilage et des programmes anti-radicalisation, provoquent de la suspicion vis-à-vis de l’identité musulmane et l’assimile à de la subversion, ce qui enhardit une violence nourrie par la haine des individus comme Hicks.

Entre les fausses déclarations des médias et leur négligence, et la surveillance systématique de l’État à l’égard des musulmans, les faits aux États-Unis mènent à la conclusion indéniable que les vies musulmanes n’ont pas d’importance.

« Les musulmans sont le mal »

C’est peut-être irréaliste d’attendre des mêmes médias qui ont à plusieurs reprises dénaturé les musulmans qu’ils se précipitent pour couvrir les faits. L’attaque contre le tabloïd Charlie Hebdo au début de janvier, et l’enchainement des évènements dramatiques impliquant des coupables musulmans, montrent bien que « les musulmans ne sont dignes d’intérêt que quand ils sont derrière un pistolet. Et pas en face ».

Cependant, les « trois victimes étaient des citoyens américains » disent leurs proches et tous ceux qui les pleurent. Ou, que c’étaient « des étudiants méritants à l’avenir prometteur, et aux dossiers sans tache ». Deux d’entre eux, Deah et Yusor, étaient mariés depuis à peine quatre semaines. Une vie à deux, avec des enfants et une clôture blanche, étaient dans leur horizon.

Ni leur nationalité ni le rêve américain conventionnel n’ont protégé les victimes de la haine. Ils étaient musulmans. Cette marque était celle qui importait le plus. L’identité musulmane a pris le pas - et très probablement pour Hicks - sur le fait que les trois victimes soit américaines.

Leur religion est ce qui a le plus compté pour les médias américains qui ont bien voulu couvrir l’évènement.

CNN, Fox Nouvelles, et MSNBC ont fini par faire le récit des meurtres mercredi matin, soit plus de 12 heures après l’assassinat des trois jeunes adultes, amenant les musulmans à se demander : « Si les victimes étaient blanches et non-musulmanes, et le coupable musulman, est-ce que les principaux médias auraient été aussi lents à réagir et à couvrir les évènements ? »

Non. Il n’est question des musulmans que quand ils ont le mauvais rôle. Pas celui de victimes. C’est ce qui est démontré par les bruits répandus les uns à la suite des autres, et cette histoire « de différent pour une place de parking » au lieu de dire que la haine était le principal motif de l’assassinat.

Lorsque la politique de l’État incite à la violence individuelle

La politique de l’État ciblant les musulmans marque les membres de cette communauté démographique comme suspects présumés. La surveillance de la NSA, les programmes de contre-extrémisme (PATRIOT) et les stratégies de Suspicious Activity Reporting, sont mises au point derrière les murs de l’État. Mais ces politiques déterminent également les stéréotypes et stimulent la violence bien au-delà.

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Deah Shaddy Barakat, âgé de 23 ans, et sa jeune épouse Yusor

Ce programme complet qui est à la fois synchronisé et en expansion, est construit sur la perception que les musulmans sont des « combattants ennemis », « des risques de sécurité nationale » et qu’ils sont « inassimilables ».

Les lois dans le passé pour limiter la naturalisation des musulmans ont été construites sur des préjugés racistes et orientalistes. Cependant, les politiques de l’État qui profilent et persécutent aujourd’hui les musulmans sont encore basées sur ces mêmes prémisses.

En plus de favoriser les pratiques discriminatoires de l’État, les lois anti-musulmanes ont largement répandu les stéréotypes selon lesquels les musulmans sont violents et indisciplinés, menaçants et anti-américains. En s’appuyant sur ces stéréotypes, ce réseau de lois et de programmes anti-musulmans enhardit les individus comme Hicks à exercer leur propre violence.

Il serait trompeur d’isoler les lois et politiques anti-musulmanes dans la diffusion de la culture islamophobe et anti-arabe. Elles renforcent plutôt cette psychose déjà existante, également amplifiée par la couverture biaisée des informations et de fausses présentations comme au cinéma, illustrées de façon éclatante dans des films comme American Sniper.

Cependant, ces lois et programmes ne sont pas les produits d’un studio de Hollywood. Ils ne sont pas livrés par des CNN ou Fox News. Ils sont formés et promulgués par État dans les allées discrètes du gouvernement. L’apposition du sceau de l’État sur le label péjoratif de « Américain musulman » cultive l’islamophobie sur le terrain, et stimule une violence indicible.

Du point de vue de l’État, la vie des musulmans importe quand ils sont des sujets des programmes de surveillance, ou des objectifs de la lutte contre l’extrémisme. Elle est sans valeur lorsqu’elle est la victime directe ou indirecte de ces mêmes politiques.

Stopper la haine

Les retards affichés par les médias, et les lois étatiques, révèlent on ne peut mieux que les vies des musulmans ne comptent pas. Cependant, les Américains musulmans ne peuvent pas se permettre de rester les bras croisés.

La campagne Take on hate, dirigée par le Réseau national pour la communauté arabe américaine, agit avec les communautés à travers le pays pour organiser des veillées de prière, animer des ateliers éducatifs, et travailler au sein des communautés où les Américains arabes et musulmans sont les plus soumis à risque.

De la Californie à New York, du Michigan à la Floride, les citoyens se rassemblent avec leurs communautés locales non seulement pour pleurer les vies tragiquement perdues mardi, mais pour coordonner les plans de lutte contre la politique de profilage du gouvernement, la discrimination et la violence des individus, et leur conjonction néfaste.

Si dans les centres de décision de la puissance américaine, il est affirmé maintes et maintes fois que les vies musulmanes n’ont pas d’importance, la réfutation la plus forte doit provenir des Américains musulmans eux-mêmes. Il faut une réplique qui va au-delà de cris de ralliement, des signes et des hashtags, qui soit appuyée par une action soutenue et une mobilisation de masse contre ce pouvoir qui dénie systématiquement toute valeur à la vie des musulmans.

12 février 2015 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu


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