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Gaza après la guerre : mariages arrangés contre aides financières

mercredi 21 janvier 2015 - 11h:19

Asmaa al-Ghoul

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Ali Abd Rabbou a 19 ans mais il parait plus jeune. Il s’assied devant son ordinateur pour chater sur facebook, exactement comme le feraient des jeunes de son âge mais un évènement plus grand que son âge l’attend : il doit épouser deux femmes plus âgées que lui qui sont les veuves de ses deux frères morts dans les bombardements.

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Les destructions commises par Israël dans Gaza cet été, défient l’imagination... Et la reconstruction se fait avec une lenteur désespérante, suite aux nombreux obstacles imposés par l’occupant

C’est ça le visage de Gaza : des histoires de guerre qui engendrent d’autres histoires plus douloureuses.

Dans sa maison à Jabaliya au nord de la bande de Gaza, Jihad, âgée de 24 ans, assise sur son lit, regardait la photo de sa fille Rahaf et de son défunt mari ‘Alaa. Elle les pleurait d’un seul œil car elle avait perdu son œil gauche dans le bombardement qui a tué sa belle-mère, son mari, sa fille, son beau-frère Mohammed, Jamal, le fils de ce dernier, âgé de deux ans ainsi que deux autres frères : Ibrahim âgé de 22 ans et Abdullah âgé de 23 ans.

Les bombes se sont abattues sur eux alors qu’ils s’étaient réfugiés chez des parents. La maman fut tuée ainsi que quatre de ses enfants, une nièce et un neveu, il ne restait plus que Ali, revenu de Turquie où il avait soigné ses blessures et sa sœur Walaa âgée de 26 ans qui nous raconte cette histoire.

Elle dit : « J’ai vu leurs corps se désintégrer sous mes yeux. Je ne croyais pas ce qui nous arrivait. Nous étions au mois du Ramadan, nous nous apprêtions à rompre le jeûne. Cet hiver me les rappelle beaucoup, je ne les oublierai jamais. »

La grande maison constituée de deux étages paraissait vide et complètement froide avec son sol trop brillant. Ce furent ce vide, et le silence, qui ont été derrière l’idée de marier Ali aux veuves de ses deux frères morts dans les bombardements.

La sœur des deux martyrs et de Ali, Daliya âgée de 30 ans, était derrière l’initiative. Elle s’est confié : « Après la guerre et les soins apportés aux blessés, nous sommes retournés à la maison qui était vide. Il n’y avait plus que ma sœur Walaa, mon père et mon frère Ali. Tout dans la maison nous rappelait les martyrs. Selon les coutumes, mes deux belles sœurs étaient rentrées dans leurs familles, alors la seule solution était d’arranger le mariage de Ali avec elles pour qu’elles reviennent vivre à la maison. » Elle expliqua qu’elle avait réussi à convaincre tout le monde de l’idée.

Jihad se confia à Al_Monitor : « Je ne peux pas quitter ma maison, elle me rappelle mon mari adoré et ma fille. Je veux que le reste de mes enfants grandissent dans la maison de leur père. J’ai accepté d’épouser Ali pour cette seule raison. Il restera comme un frère pour moi. »

Islam, la veuve de Mohamed, âgée de 21 ans a dit : « Je sais que je suis encore jeune et que je pourrai me remarier mais après la perte de mon mari et de mon unique enfant, je suis le seul souvenir qui rappelle Mohammed à sa famille et ils sont tout ce qu’il me reste de lui. C’est pourquoi, je resterai ici pour ne pas revenir dans ma famille et épouser un étranger. »

Le mariage arrangé par les familles, dicté par les circonstances douloureuses de la guerre ainsi que par le sentiment de perte, n’est pas la seule forme de mariage qui existe. Il y a des associations qui arrangent le remariage des veufs et veuves de la guerre. L’évènement le plus notable fut l’organisation par le Fonds de Mariage Palestinien d’une cérémonie de mariage collective pour 30 veuves de la guerre de 2008-2009. Les mariés reçurent une aide financière.

Au mois de Décembre 2014, l’association islamique Al-Salah, association proche du Hamas, avait organisé une cérémonie similaire pour marier des veufs contre une aide financière.

La correspondante de Al-Monitor a essayé vainement de parler au président de l’association. Elle a essayé de contacter l’association plusieurs fois mais cette dernière avait refusé d’échanger avec Al-monitor prétextant qu’il s’agissait d’un média étranger qui parlerait de l’association en mauvais termes car c’est une association islamique.

Cependant, Al-Monitor a réussi à parler à un participant à la cérémonie, M. Mohammed Abou Jazar, âgé de 27 ans, qui avait perdu sa femme Amanii et sa fille Maryam âgée d’un an et demi et son fils Firaas âgé de 3 ans dans la dernière guerre contre la bande de Gaza, dans un bombardement de leur maison dans la ville de Rafah le 3 aôut.

M. Abou Jazar ressent de la souffrance à l’évocation de la perte des membres de sa famille dont les visages ne le quittent jamais. Il dit : « je ne pourrai jamais oublier mon fils, ma fille et ma femme. Nous avons partagé plus de sept années de souvenirs »

M. Abou Jazar dit qu’il avait pensé que la sœur de sa femme décédée était la plus proche de sa fille rescapée Maysam, âgée de 4 ans et demi, alors il lui a demandé sa main. Il ajouta : « Au début, ma fille refusa car elle ne voulait pas qu’on remplace sa maman, mais elle a fini par accepter car il s’agissait de sa tante. »

Mohammed, qui a perdu ses deux jambes dans le bombardement a affirmé à Al-Monitor que l’association Al-Salah lui avait promis ainsi qu’à dix autres veufs une aide financière dès que le mariage serait conclu.

Mme Zahiyya Al-Qarra, une psychologue s’oppose à ce genre d’union, organisé par des associations qui, selon ses dires, interfèrent dans la structure sociale de la famille, et parce que le mariage devient motivé non pas par le besoin de stabilité mais par l’aide financière promise.

Elle déclara à Al-Monitor : « La plupart de ces associations ont des objectifs politiques. En aidant les familles, ces associations garantissent la loyauté de ces dernières dans des élections futures pour les partis auxquels elles sont affiliées. Cela est une forme indirecte de contrôle des relations sociales. »

Mme Al-Qarra, qui a travaillé avec des veuves de martyrs de trois guerres, dit que ces femmes souffrent terriblement car leur entourage les considèrent comme un héritage économique à cause de l’aide financière qu’elles reçoivent à la mort de leurs époux, ainsi, elles deviennent une propriété publique appartenant soit à la famille du défunt mari, soit à leurs propres familles.

Et d’y ajouter : « La société a souvent un sentiment hostile vis-à-vis de cette femme qui a un revenu financier. La famille la contraint sous une forme ou une autre, sous prétexte de réunir la famille et les enfants, à épouser le frère de son défunt mari. Si elle souhaite en épouser un autre, la famille la prive de ses enfants et elle subit le harcèlement. »

Mme Al-Qarra affirme que celui qui épouse une veuve dans ces conditions ne la considère pas comme une vraie épouse, alors soit il en épouse une autre soit il l’humilie et la rabaisse.

Elle ajoute : « Une veuve âgée de 27 ans s’est plainte de son mari, frère de son défunt mari âgé de 19 ans. Elle dit qu’il reste dehors toute la journée et quand il rentre, il la traite durement et lui répète souvent : « on m’a obligé à t’épouser. »

Mme Al-Qarra explique que derrière ce genre d’unions se cachent des hommes politiques influents et des propriétaires d’associations qui exploitent la misère des victimes de la guerre pour obtenir des aides de l’étranger sous le couvert de la religion.

Il n’y aura pas de cérémonie de mariage pour Ali et ses épouses Jihad et Islam mais leur vie commencera par une cérémonie funèbre pour leurs sept parents tués dans la guerre. La mort semble omniprésente même dans ces nouveaux départs dans la vie.

* Asma al-Ghoul est journaliste et écrivain, du camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

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15 janvier 2015 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - FJ


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