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Souvenons-nous de Thomas Sankara

lundi 3 novembre 2014 - 17h:26

Kingsley Kobo

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Dans les semaines qui ont précédé de violentes manifestations, les pensées de beaucoup de Burkinabés se sont tournées, pour s’en inspirer, vers leur ancien dirigeant assassiné : Thomas Sankara.

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En s’attaquant au FMI, à la Banque Mondiale et surtout à la Françafrique,Thomas Sankara avait signé son arrêt de mort. De toute évidence, il été assassiné à l’instigation des services secrets français, et sur ordre direct du président français de l’époque : François Mitterrand

Dans les premières heures d’une nuit de 1987, l’un des plus jeunes dirigeants d’Afrique, Thomas Sankara, a été assassiné et puis rapidement enterré dans une fosse.

Aujourd’hui, l’homme largement considéré comme le responsable de l’assassinat, le président du Burkina Faso, a vu son parlement incendié par des manifestants furieux réclamant son départ.

Beaucoup de manifestants disent être inspirés par l’histoire de Thomas Sankara dans leur soulèvement contre Blaise Compaoré, qui a été au pouvoir pendant 27 ans et a voulu par un vote au parlement renouveler son mandat pour 5 années supplémentaires.

Bien que certains voient Sankara comme un autocrate qui a pris le pouvoir par la force des armes et a ignoré les droits de l’homme dans la poursuite de ses idéaux, il a été cité ces dernières années comme une source d’inspiration révolutionnaire non seulement au Burkina Faso mais aussi dans d’autres pays à travers l’Afrique.

Dans les semaines précédant le chaos actuel, Al Jazeera a interrogé un certain nombre de personnes dans la capitale, Ouagadougou, et nombreux étaient ceux qui prédisaient que la mémoire de Sankara et la tentative de Compaoré d’obtenir un autre mandat de cinq ans, allaient peut-être bientôt déclencher un soulèvement.

Au moment de son assassinat, Sankara venait d’avoir 37 ans, et il ne gouvernait que depuis quatre ans.

Mais se politique et sa vision sont encore vénérées à la fois par ses concitoyens qui ont connu l’époque où il était au pouvoir et, de manière significative, par de nombreux jeunes qui sont nés après sa mort.

Son assassinat a été le cinquième coup de force depuis que la nation avait obtenu son indépendance de la France, et le principal bénéficiaire en a été Compaoré qui a rapidement pris sa place.

Jusqu’à cette nuit-là, les deux avaient souvent été considérés comme les meilleurs amis.

Bien qu’il y ait moins de pauvreté maintenant qu’à cette époque, un nombre croissant de Burkinabés ont commencé à considérer au cours des dernières années, que les politiques de nationalisation de Sankara auraient peut-être transformé un pays perpétuellement aride en un endroit plus prospère et plus autonome qu’il ne l’est aujourd’hui.

« Sankara voulait un Burkina Faso prospère, s’appuyant sur ​​les ressources humaines et naturelles du pays, et non sur l’aide étrangère », a déclaré à Al-Jazeera le professeur d’économie à la retraite, Noël Nébié.

« Et en commençant par le secteur de l’agriculture, qui représente plus de 32% du PIB du pays et emploie 80% de la population active, il a brisé l’élite économique qui contrôlait la large majorité des terres arables et donné accès à la terre aux agriculteurs pauvres. Cette amélioration de la production avait rendu le pays presque auto-suffisant. »

Donner son nom à une nation

Initialement connu sous le nom de la République de Haute-Volta, d’après le nom du fleuve en amont, Sankara a changé en 1984 le nom du pays au profit de « Burkina Faso », ce qui signifie le peuple des terres du haut, et il fit bientôt de ce nom le symbole de sa croisade pour les nationalisations.

Certains disent que le fait qu’il ait rebaptisé le pays a aidé à ce que l’on se souvienne de lui.

« Quand vous vous réveillez le matin et que vous vous souvenez que vous êtes un Burkinabé, vous vous souvenez automatiquement de la personne qui a imaginé ce nom et nous a ainsi baptisés », déclare à Al-Jazeera Ismaël Kaboré, un avocat de 47 ans et de Ouagadougou .

« Au début, les gens considéraient le nom de Burkina Faso comme étrange, maladroit et loin des noms modernes et étrangers d’autres pays de l’Afrique. »

« Mais ils ont réalisé après sa mort que Sankara a voulu nous donner une identité unique et spéciale qui en même temps raconte notre histoire et affiche notre caractère. »

Sankara était un panafricaniste déterminé, dont la politique étrangère a été largement centrée sur l’anti-impérialisme. Son gouvernement a repoussé l’aide étrangère et a tenté d’éradiquer l’influence du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale dans le pays, en adoptant des politiques de réduction de la dette et de nationalisation de toutes les terres et richesses minérales.

Des politiques d’autosuffisance et une réforme agraire ont été conçues pour lutter contre la famine, une campagne d’alphabétisation nationale a été lancée et les familles ont reçu ordre de faire vacciner leurs enfants.

« Certaines familles avaient l’habitude de cacher leurs enfants à l’arrivée des médecins faisant les vaccins, pour des raisons religieuses ou rituelles, et cette habitude contrariait nos efforts », raconte à Al-Jazeera Fatoumata Koulibaly, directrice adjointe de la campagne de vaccinations au ministère de la Santé à l’époque de Sankara.

« Mais quand Sankara est arrivé au pouvoir, il a pris une position ferme contre ces pratiques, ce qui a permis la vaccination de près de trois millions d’enfants contre la méningite, la fièvre jaune la rougeole, et d’autres maladies. »

La vaccination est depuis lors une pratique courante au Burkina Faso, dit-elle.

Une colère qui bouillonne

Sankara a été souvent désigné comme « le Che Guevara de l’Afrique » parce qu’il le citait régulièrement et disait s’être inspiré du célèbre dirigeant révolutionnaire. Sankara était aussi très ami avec l’ancien président ghanéen - et compagnon révolutionnaire - Jerry Rawlings.

Même pour le plus ardent de ses partisans, il est impossible de savoir, en imaginant que Sankara n’ait pas été assassiné, si la vie aurait été meilleure, et certains disent que non.

Mais beaucoup des personnes interrogées par Al-Jazeera pensaient que les choses iraient mieux qu’aujourd’hui s’il était encore vivant, et ce sentiment est en partie responsable des événements de jeudi.

« Les jeunes qui n’ont pas connu l’administration de Sankara commencent à prendre en considération cette époque parce que quelque chose ne va pas dans le pays aujourd’hui, » a déclaré Ibrahim Sanogo, étudiant âgé de 23 ans et de l’Université de Ouagadougou.

« Sankara ne faisait pas que combattre l’impérialisme. Il voulait aussi que les Burkinabè développent eux-mêmes leur pays et comptent essentiellement sur ​​eux-mêmes et non l’Occident.

« Aujourd’hui, tous les jeunes diplômés rêvent de partir à l’étranger, même pour y faire de petits boulots car ici, il n’y a pas de possibilités d’emploi. »

Compaoré, cependant, a eu un certain succès. L’industrie minière a connu une augmentation au cours des dernières années grâce aux fortes augmentations des prix sur les marchés du cuivre, du fer et du manganèse. La production d’or a grimpé de 32% en 2011 sur six sites d’exploitation [propriété d’IAMGOLD à 90 %, et du gouvernement du Burkina Faso à 10 %... NdT], selon les chiffres du ministère des mines, ce qui fait du Burkina Faso le quatrième plus grand producteur d’or en Afrique.

La croissance est de 7%, mais le revenu par habitant se situe à seulement 790 dollars US par an et les populations locales disent que le niveau de vie est très bas pour la grande majorité. La corruption et l’élitisme sont un problème, disent-ils, toute la richesse étant concentrée dans les mains de quelques-uns.

« Ces chiffres de la Banque mondiale et du FMI ne se voient que sur le papier et non dans les poches des Burkinabés, » dit à Al-Jazeera Seydou Yabré, un expert indépendant en développement rural.

« Très peu de gens bénéficient de la richesse du pays. Si vous visitez des maisons, ou voyager à l’intérieur des terres, vous ferez l’expérience d’un niveau effroyable de pauvreté. »

Funeste prédiction

Peut-être que la campagne anti-corruption de Sankara et son style exemplaire de vie modeste auraient permis à la richesse d’être redistribuée s’il avait pu vivre plus longtemps, pensait Yabré.

« Sankara était alors le président d’Afrique le plus au fait des réalités sur le terrain. Il vivait dans une petite maison modeste, circulait en vélo et disposait de 350 dollars sur son compte au moment de sa mort », a déclaré Yabré.

« Il a également été contesté au sein dans son propre milieu parce qu’il n’a jamais voulu que ses collègues de l’armée détournent des fonds publics et mènent une vie dispendieuse. »

Un fait connu - et étrange - est survenu juste une semaine avant sa mort. Pressentant peut-être ce qui allait arriver, Sankara avait déclaré : « Bien que les révolutionnaires comme tout un chacun peuvent être assassinés, il est impossible de tuer leurs idées. »

Les progrès réalisés au Burkina Faso au cours des 20 dernières années sont dus en grande partie à la stabilité, selon de nombreux observateurs. Mais, comme cela s’est clairement vu lorsque la foule s’est rassemblée avec l’intention de détruire le Parlement, une colère trop longtemps ignorée peut tout volatiliser en un instant.

« Sankara avait beaucoup d’ennemis parce qu’il a aboli les privilèges des voleurs, et en faveur des pauvres », a déclaré Yabré. « Peut-être l’avait-il fait de façon trop radicale et dans un temps trop court. »

31 octobre 2014 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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