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Solidarité, oui... Mais en présence des Palestiniens !

dimanche 12 octobre 2014 - 22h:05

Ramzy Baroud

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Les espaces intellectuels occidentaux ont trop souvent tendance à exclure les Palestiniens de leur propre histoire ou à construire leur propre discours. Les Palestiniens en sont alors réduits à faire de la figuration.

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Eté 2014, Paris - Manifestation de soutien à la population de Gaza sous les bombardements israéliens

Je me souviens, avec une gêne particulière, de mon premier entretien avec des étudiants socialistes dans un rassemblement à l’Université de Washington à Seattle, il y a presque deux décennies. Quand j’ai essayé de présenter une vue réelle de la situation en Palestine, du point de vue d’un réfugié, mes hôtes, clairement, n’étaient pas sur la même longueur d’onde.

Toutefois, le responsable à lunettes du groupe d’étudiants, mal rasé, des jeans délavés et portant une vieille chemise sortie du pantalon et une grande ceinture démodée qui lui remontait au-dessus du nombril, avait su mobiliser et impressionner la foule. Il avait parlé des prolétariats palestinien et israélien, qui, selon lui, luttaient finalement contre le même ennemi, les élites néo-libérales et capitalistes sans scrupule opprimant les classes ouvrières en Palestine et en Israël. Mais ce que l’assistance avait semblé préférer, c’étaient ses courtes déclarations au sujet des classes ouvrières en Algérie, au Congo et en Amérique du Sud, qui étaient d’une certaine manière toutes comme par magie rattachées à la Palestine. Chaque fois que l’audience manifestait son approbation, l’orateur criait alors aussi fort qu’il le pouvait, brandissant le poing, et tous d’applaudir et de l’encourager avec le même enthousiasme.

Un récit qui dérange

Mes commentaires expliquant que le Histadrut (Organisation Générale des Travailleurs sur la Terre d’Israël) était en réalité un syndicat construit sur un modèle raciste - n’ont manifestement guère plu à la foule. Depuis sa création en 1920, le Histadrut a défendu les droits des travailleurs juifs et a fait de son mieux pour exclure leurs supposés camarades palestiniens. D’un syndicat puissant, il est par la suite devenu le berceau du travaillisme sioniste, responsable de la purification ethnique des Palestiniens - les travailleurs comme les autres - et de l’installation d’Israël sur les ruines de la Palestine.

Je n’ai plus jamais été invité à m’exprimer devant ce groupe socialiste, mais avec le temps, j’ai commencé à me rendre compte que la question était bien plus complexe. Elle a peu à voir avec le socialisme et les droits du travail, et est plutôt reliée avec mon propre récit centré sur la Palestine. Avec le temps, je me suis rendu compte qu’en tant que Palestinien, indépendamment du genre de plate-forme dont je pouvais bénéficier, je ne pouvais m’exprimer que dans un espace aux dimensions préalablement fixées.

Né dans une classe de travailleurs et réfugiés palestiniens de Gaza attachés à une autre sorte de socialisme - plus contextualisé et avec moins de slogans - je me sentais étrangement étranger à la scène de Seattle, mais, plus important encore, étranger à l’ensemble d’un discours dont, en tant que Palestinien, j’étais censé être le centre.

Par la suite, j’ai découvert que la question était importante et pleine d’implications. J’ai appris que la plupart des votes au Congrès des États-Unis concernant la Palestine et Israël avaient lieu après de longues investigations dans lesquelles les Palestiniens étaient rarement conviés. Ceux qui témoignent le plus souvent lors des audiences des comités du Congrès sont des Israéliens, des experts en politique étrangère des États-Unis et des lobbyistes pro-israéliens, défendant tous à différents niveaux les intérêts d’Israël. L’espace autorisé dans les médias dominants est incroyablement restreint, particulièrement pour les véritables voix palestiniennes, et même lors des conférences et réunions de solidarité avec la Palestine, les Palestiniens sont rarement représentés, tandis qu’est exposée une version imaginée des priorités palestiniennes, en fonction du programme politique des organisateurs.

Les Palestiniens pour les médias

Dans cet espace public limité, tous les Palestiniens ne sont pas autorisés à participer. Et ceux à qui l’accès est permis doivent répondre à des critères précis. Dans les médias américains, par exemple, deux types de Palestiniens sont tolérés : Le Palestinien du statu quo et le Palestinien antagoniste.

Le premier, souvent affilié avec l’Autorité Palestinienne et/ou à un groupe de réflexion de Washington DC, est exhibé dans un étalage trompeur d’équilibre et d’objectivité. Le fait qu’il représente des intérêts politiques spécifiques qui unissent Washington, Tel Aviv et l’autorité de Ramallah [AP], lui interdit de représenter un point de vue qui soit celui de la majorité des Palestiniens, quelle que soit la question.

Le second, le Palestinien « antagoniste » est invité dans les médias uniquement pour être fustigé publiquement. La qualité et le niveau de ses arguments importent peu, car ce Palestinien est placé d’emblée en tant qu’ennemi, devenant la cible des journalistes en colère. Quand le directeur exécutif du Jerusalem Fund, l’éloquent Yousef Munayyer, a tenté de tracer un certain cadre à la guerre d’Israël sur Gaza, Sean Hannity de Fox News a trouvé inacceptable que quelqu’un soit en désaccord de façon argumentée avec le point de vue Israélien.

« Le Hamas n’est-il pas une organisation de terroristes ? ! Cela ne peut entrer dans votre tête épaisse, » a crié Hannity avec rage. Étant la cible en direct du dérapage verbal à la télévision, Munayyer a demandé : « Ais-je oui ou non la possibilité de dire quelque chose dans cette conversation ? »

Naturellement non.

Le Palestinien qui dérange

Quand le Professeur arabo-américain Steven Salaita a été démis de son nouveau poste à l’Université de l’Illinois à cause de ses messages motivés par la guerre sanglante d’Israël sur Gaza, peu de gens ont été vraiment surpris. L’espace pour la dissidence dans le milieu universitaire américain peut être tout à fait large, mais pour les Palestiniens, il y a une exception. Tandis qu’une grande partie de la propagande pro-israélienne aux États-Unis est diffusée par des professeurs ouvertement affiliés avec des universités respectées, la situation est très différente pour les Palestiniens et ceux qui les défendent.

Mettre en accusation des professeurs palestiniens et non-palestiniens pour leur refus de se conformer à ce qui est et n’est pas permis dans le discours sur la Palestine et Israël, n’est rien de neuf. Campus Watch a en fait a été fondé dans même le but pour isoler et intimider les professeurs qui osent présenter des vues non conformistes sur Israël et ses « relations spéciales » avec les États-Unis.

Les étudiants sont encouragés à enregistrer et signaler les professeurs dont les conférences peuvent être interprétées comme critiques d’Israël. Un cours sur le conflit israélo-arabe enseigné par le Professeur de l’Université Columbia, Iymen Chehade a été annulé, en dépit de sa popularité parmi les étudiants. Ce cours était une plate-forme pour différentes voix impliquées dans le conflit, mais il a été signalé à l’administration par un étudiant comme « décentré » , ce qui a conduit à son annulation. Ce type de censure, visant exclusivement ce qui se dit sur la Palestine et Israël, ne s’exerce pas sur d’autres sujets académiques.

Le Palestinien de rechange

Puis il y a le Palestinien de rechange. Cela peut être le Palestinien (auto proclamé) dont le discours est particulièrement utile et s’adapte parfaitement bien à l’ordre du jour des médias. L’exhibition « de terroristes Palestiniens repentants » est devenue plus commune après les attaques du 11 septembre 2001, quand les pro-israéliens dans le gouvernement et les médias cherchaient désespérément à lier des Palestiniens à la soi-disant « guerre des États-Unis contre le terrorisme. » Des individus tels que « l’ex-terroriste » Walid Shoebat aux histoires fantastiques mais totalement fausses, ont été régulièrement présentés par les médias au public américain, comme des experts en matière d’anti-terrorisme.

Le « Palestinien » alternatif est un escroc avide d’argent, faisant partie d’un mouvement plus vaste où des Arabes et des Musulmans fabriquent habilement des récits personnels s’inspirant de discours racistes et stéréotypés.

Le Palestinien de service

Le récit Palestinien peut être mis en forme de façon commode pour s’adapter à divers ordres du jour, même contradictoires. Le Palestinien « non violent » est habituellement présenté pour contre-balancer le combattant palestinien masqué, dont le récit est simplement trop expressif pour qu’une assistance occidentale le saisisse ou l’accepte.

Un Palestinien peut également être invité à toutes sortes de rassemblements qui prétendent discuter de la Palestine. J’ai participé à des conférences tout au long des années, pour découvrir seulement que lors de diverses réunions, ma présence et celle de mes pairs étaient de remplir exactement ce rôle : une présence symbolique. On s’attend à ce que le Palestinien soit docile et en rien impliqué dans la définition de l’ordre du jour. Le symbole doit simplement être là et admettre que ceux qui se trouvent derrière le rassemblement exploitent sa présence de toutes les manières considérées comme appropriées, que ce soit pour la collecte de fonds ou pour un gain politique.

Le Palestinien qui témoigne

Après la dernière guerre d’Israël sur Gaza qui a massacré presque 2200 personnes et en a blessé plus de 11000 qui étaient en grande partie des civils, des conférences se sont tenues à travers le monde en signe de solidarité avec la Palestine. Tandis que certaines de ces conférences étaient organisées en s’appuyant sur un ensemble clair de priorités palestiniennes dans un but d’action et de mobilisation, d’autres tendaient à être en grande partie symboliques, avec une présence palestinienne également symbolique.

Dans ces rassemblements, quelques Palestiniens sont exhibés pour parler des événements violents durant la guerre. Mais une fois des larmes versées, c’est l’occidental qui sait tout qui prend souvent la responsabilité d’articuler le discours dans ses aspects intellectuels, juridiques, politiques ou autres, définissant de ce fait les paramètres de la discussion et prescrivant la solution.

Dans le paysage intellectuel palestinien qui a succédé à Edward Saïd, il est indéniable que les Palestiniens sont en grande partie bridés dans la construction de leur propre discours ou sont exploités en tant qu’alibi bien pratique au profit de quelqu’un d’autre.

Ce n’est pas une question exclusivement palestinienne. Loin de là. Mais plutôt le rôle que les espaces intellectuels occidentaux continuent à s’octroyer par rapport à d’autres nations. Dans le cas des Palestiniens, cependant, le problème est compliqué du fait que l’exclusion d’un vrai récit palestinien est tout aussi bien cimentée par ceux qui se veulent bienveillants envers la cause palestinienne. Cependant, leurs sympathies s’expriment de telle manière - bien que parfois par distraction - qu’elles excluent le Palestinien de sa propre histoire.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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6 octobre 2014 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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