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Et si l’État islamique n’existait pas ?...

samedi 4 octobre 2014 - 08h:59

Ramzy Baroud

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Chaque membre de la coalition contre l’État Islamique [EI] a ses propres raisons pour y participer, et si le soi-disant État Islamique n’existait pas, nombreux sont ceux ans la région qui voudraient l’inventer.

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John Kerry entouré des dictateurs arabes. Chaque membre de la coalition contre l’État Islamique a ses propres raisons pour expliquer sa participation à la guerre, et si le soi-disant État Islamique n’existait pas, beaucoup dans la région seraient désireux de le créer

Et si le soi-disant État Islamique n’existait pas ? Afin de répondre à cette question, il faut replacer le débat dans ses contextes géopolitiques et idéologiques.

Flexibilité du vocabulaire

Beaucoup dans les médias (occidentaux, arabes, etc.) emploient la référence « islamiste » pour stigmatiser n’importe quel mouvement, qu’il soit politique, militant ou même dédié au caritatif. S’il s’y trouve des hommes portant la barbe ou des femmes avec des foulards et s’inspirant du saint Coran et de l’Islam pour faire valoir leurs idées, leurs actions parfois violentes ou simplement leurs racines, alors le mot « islamiste » est celui qui revient le plus.

Selon cette logique implacable, une organisation caritative basée en Malaisie peut être vue comme islamiste au même titre que le groupe militant Boko Haram au Nigéria. Quand le terme « islamiste » a été mis pour la première fois en avant dans le débat sur l’Islam et la politique, il avait surtout une connotation intellectuelle. Même quelques « islamistes » s’en sont servis pour faire référence à leur pensée politique. Mais aujourd’hui, ce qualificatif peut servir à de multiples usages.

Ce n’est pas le seul terme commode à être lancé à tous vents dans le discours concernant l’Islam et la politique. Beaucoup sont déjà familiarisés avec la façon dont le terme « terrorisme » s’est propagé d’une myriade de manières pour se conformer à n’importe quel ordre du jour de n’importe quel pays - des États-Unis de George W. Bush à la Russie de Vladimir Poutine. En fait, certains de ces dirigeants en ont accusé d’autres de pratiquer, d’encourager ou d’engendrer le terrorisme, tout en se donnant la posture de croisés contre la terreur. La version américaine de la « la guerre contre le terrorisme » a capté beaucoup d’attention en même temps qu’une mauvaise réputation parce qu’elle est fortement destructrice. Mais beaucoup d’autres gouvernements ont lancé leurs propres guerres avec des résultats à divers degrés violents.

La flexibilité de l’utilisation de ce vocabulaire est au cœur de cette histoire, y compris celle de l’EI. Nous nous sommes vus expliquer que ce groupe est en grande partie composé de jihadistes étrangers. Ceci peut être en partie vrai, mais cette notion nécessite une sérieuse discussion.

Menace étrangère

Pourquoi le gouvernement du Président Syrien Bashar al-Assad parle-t-il tant « de jihadistes étrangers » et cela depuis le tout début de la guerre civile qui infeste son pays, alors que l’on oscillait encore entre un soulèvement populaire et une insurrection armée ? C’est la même raison pour laquelle Israël ne cesse de dénoncer la supposée menace iranienne et ses intentions supposées « génocidaires » à l’égard d’Israël, dès qu’il est question de la résistance dirigée par la Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban. Naturellement, il y a une relation Hamas-Iran, bien qu’elle ait été affaiblie ces dernières années par le contexte régional. Mais pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’Iran doit être au coeur du discours.

Il y a pléthore d’exemples où les gouvernements du Moyen-Orient exploitent l’argument « de la menace étrangère ». La logique qui sous-tend leur discours est simple : si la guerre civile syrienne est alimentée par les fanatiques étrangers, alors al-Assad peut retourner sa violence au nom du combat contre les étrangers/jihadistes/terroristes, contre les Syriens qui se rebellent. Dans cette logique, Bashar se donne des allures de héros national et non de dictateur despotique.

Netanyahu reste le maître de la manipulation politique. Il passe alternativement des entretiens pour la paix à la dénonciation comme « terroristes » des groupes palestiniens soutenus par l’Iran, selon son intérêt du moment. Le souhait est qu’Israël puisse encore et toujours jouer à la victime et se donner le rôle du croisé qui combat le terrorisme inspiré par l’étranger. Quelques jours seulement après qu’Israël se soit rendu coupable de ce que beaucoup voient comme un génocide dans Gaza - massacrant plus de 2200 personnes et en blessant plus de 11000 – Netanyahu a une fois de plus voulu monopoliser l’attention internationale en prétendant que le ainsi-nommé État Islamique était à la frontière israélienne.

« Les hordes étrangères à la frontière » sont aussi exploitées, bien que jusqu’ici sans grande efficacité, par le dictateur égyptien Abdul-Fatah al-Sisi. Très désireux d’exploiter à son profit ce discours bien pratique, il a prétendu à plusieurs reprises devoir faire face à des étrangers massés à la frontière de la Libye, du Soudan et du Sinai. Peut de monde y a prêté attention, hormis les médias égyptiens sous contrôle de l’État. Cependant, il ne faut pas négliger les événements qui se sont produits en Égypte après qu’al-Sissi ait l’année dernière renversé le gouvernement élu démocratiquement de Mohamed Morsi, de la Confrérie musulmane.

Quand le Président des États-Unis Barack Obama a décidé de lancer sa guerre contre l’EI, al-Sisi s’est tout de suite aligné en enrôlant son pays dans le combat contre les « Islamistes ». La guerre d’Obama fait pour lui partie intégrante de sa propre guerre contre les partisans de la Confrérie Musulmane. Après tout, les deux sont « islamistes ».

Les motivations de l’Occident

Pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, la logique derrière la guerre est à peine différente de celle exposée dans les discours guerriers des gouvernements US précédents, spécialement ceux de George W. Bush et son père. C’est un autre chapitre des guerres interrompues que les États-Unis ont déclenché en Irak au cours des 25 dernières années. D’une certaine façon, l’EI, avec ses pratiques brutales, est un des pire sous-produits de l’interventionnisme américain.

Dans la première guerre d’Irak (1990-91), la coalition menée par les États-Unis semblait conduite par le but clair de chasser l’armée irakienne hors du Kowéit, et de s’en servir comme point de départ pour imposer une domination nord-américaine sur tout le Moyen-Orient. À l’époque, George Bush (père) avait craint que la poursuite de ce but ne puisse avoir de conséquences qui renforceraient l’Iran aux dépens des alliés arabes. Au lieu d’imposer immédiatement un changement de régime en Irak, les États-Unis ont choisi de soumettre l’Irak à une décennie de supplice économique - un blocus littéralement suffocant qui a eu comme conséquence la mort de centaines de milliers de civils irakiens. C’était l’âge d’or de la politique de « retenue » de l’Amérique dans la région.

Cependant, la politique US au Moyen-Orient, sous le fils de Bush, George W. Bush, a été revigorée par de nouveaux éléments qui ont changé le paysage politique et mené à la deuxième guerre d’Irak en 2003. Premièrement, les attaques du 11 septembre 2001 ont été dûment exploitées pour tromper le public américain et l’engager dans une autre guerre, en liant le Président Irakien Saddam Hussein à al-Qaïda. Et deuxièmement, l’idéologie politique néo-conservatrice tenait alors le haut du pavé à Washington. Les ainsi-nommés néo-cons croyaient fortement en la doctrine du changement de régime, qui s’est depuis lors avérée être un échec complet.

Ce n’est pas simplement un échec, mais plutôt une véritable calamité. La monté en puissance aujourd’hui de l’EI est en fait un simple gros point noir dans une série de faits et d’évènements tragiques en Irak, qui a commencé au moment où W. Bush a commencé sa campagne « de choc et d’effroi ». Ceci a été suivi de la chute de Bagdad, le démantèlement des institutions du pays (la dite débaathification de l’Irak) et du discours sur « la mission accomplie ». Depuis lors, les catastrophes se sont succédées. La stratégie des États-Unis en Irak avait pour volonté de détruire le nationalisme irakien et de le remplacer par une forme dangereuse de sectarisme basé sur la doctrine proverbiale du « diviser pour régner ». Mais les Chiites ne sont pas restés unis et les Sunnites ont refusé leur nouveau statut inférieur, tandis que les Kurdes ne s’estiment plus obligés de faire partie de l’Irak.

Et al-Qaïda ?

Les États-Unis ont en effet réussi à diviser l’Irak, peut-être pas territorialement, mais certainement de toutes les autres manière. De plus, la guerre a propulsé al-Qaïda en Irak. Le groupe a su exploiter les atrocités infligées par la guerre et l’invasion américaines pour recruter des combattants en Irak et dans l’ensemble du Moyen-Orient. Et comme un taureau dans un magasin de porcelaine, les États-Unis ont encore commis plus de ravages en Irak, manipulant et amplifiant les divisions sectaires et tribales pour contrecarrer la résistance et pousser les Irakiens dans des combats fratricides.

Quand les troupes américaines ont partiellement quitté l’Irak, elles laissaient un pays en ruine, des millions de réfugiés sur les routes, de profonds clivages sectaires, un gouvernement brutal et une armée peu homogène faite en grande partie de milices chiites aux mains tâchées de sang.

Al-Qaïda était censé avoir été affaibli en Irak... En réalité, alors qu’al-Qaïda n’existait pas dans ce pays avant l’invasion américaine, à la veille du retrait des États-Unis, al-Qaïda s’était largement développé. Ses combattants pouvaient se déplacer avec une plus grande agilité dans toute la région, et quand le soulèvement syrien s’est transformé en affrontement armé avec le soutien de puissances régionales et internationales, al-Qaïda a connu un nouvel essor, manifestant une puissance incroyable et combattant avec une force et une influence inégalées. En dépit des informations fantaisistes sur les racines de l’EI, l’État islamique et al-Qaïda sont issus du même chaudron. Ces deux organisations partagent la même idéologie et elles s’étaient uniquement attachées à des organisations concurrentes en Syrie. Leurs différents restent une question interne alors que leurs objectifs sont en définitive identiques.

La raison de ces faits ci-dessus est souvent ignorée, car en parler reviendrait à une claire accusation que la guerre en Irak a créé l’EI, et que les manipulations irresponsables du conflit en Syrie ont permis à ce groupe de former réellement un embryon d’État [nomme califat] sur des bases sectaires et qui s’étend du nord-est de la Syrie au cœur de l’Irak.

Si l’EI n’existait pas...

Les motivations occidentales et arabes dans la guerre contre l’EI diffèrent, mais les deux côtés ont un grand intérêt à participer à cette guerre et un intérêt encore plus évident à refuser de reconnaître qu’une telle violence ne s’est pas créée dans un vide. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux refusent d’avouer le lien évident entre l’EI, al-Qaïda et les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan. Les dirigeants arabes prétendent de leur côté que leurs pays sont également des victimes d’une certaine terreur « islamiste », produite non pas de leurs propres politiques antidémocratiques et oppressives, mais par des Tchéchènes et autres combattants étrangers qui importent une violence venue d’un autre âge dans des paysages politiques prétendument pacifiques et stables.

Le mensonge est encore cimenté par la plupart des médias quand ceux-ci servent d’amplificateurs à l’horreur des actions de l’EI mais refusent de parler des autres horreurs qui ont précédé et accompagné l’avènement du groupe. Ils persistent à parler de l’EI comme d’un phénomène indépendant et détaché de tout contexte.

Pour la coalition menée par les États-Unis, l’existence de l’EI est une nécessité, bien que chaque membre de la coalition ait ses propres raisons pour expliquer sa participation. Et comme l’EI est censé être composé en grande partie de « jihadistes étrangers » venues de terres lointaines, parlant des langues que peu d’Arabes et d’Occidentaux comprennent, d’une certaine manière personne n’est déclaré responsable des bouleversements actuels au Moyen-Orient. Par conséquent, il n’y a aucun besoin de parler des massacres de Syriens ou des massacres d’Égyptiens, ni des guerres en Irak et de leurs massacres, parce que le problème serait évidemment étranger...

Si l’ainsi-nommé État Islamique n’existait pas, beaucoup dans la région seraient désireux de l’inventer.

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* Ramzy Baroud est doctorant à l’université de Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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29 septembre 2014 – Middle East Monitor – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.middleeasteye.net/column...
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar


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