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Chronique : la destruction d’une nation

samedi 5 mai 2007 - 06h:38

Robert Fisk

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Le Moyen-Orient est encore aujourd’hui à feu et à sang. Le désordre actuel est le résultat de la politique des grandes démocraties occidentales dans la région, États-Unis et Angleterre en tête.

Installé à Beyrouth et correspondant de guerre pour le quotidien The Independent, Robert Fisk est l’une des plumes les plus titrées de la presse britannique. Grand reporter, il parcourt le Moyen-Orient depuis plus de trente ans. Son nouveau livre, Liban, nation martyre, revient sur la tragédie de la guerre au Liban. Entretien.

25 avril 2007

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle au Moyen-Orient ?

Le Moyen-Orient est encore aujourd’hui à feu et à sang. Le désordre actuel est le résultat de la politique des grandes démocraties occidentales dans la région, États-Unis et Angleterre en tête. La politique du président Bush au Moyen-Orient est un véritable échec. La campagne d’Irak s’est transformée en désastre, le conflit israélo-palestinien fait du surplace et la dernière guerre au Liban a détruit le pays. Cette stratégie de « Grand Moyen-Orient », élaboré par les faucons néo-conservateurs de l’administration Bush, conduit la région dans une nouvelle tourmente. Elle consiste à diviser le monde arabe, entre chiites et sunnites, entre chrétiens et musulmans...

Bush parle de démocratie mais il ne fait que semer la division dans le monde arabe. Dans un de mes articles publié récemment dans The Independent, je me suis amusé à comparer la présence militaire occidentale dans le monde arabe aujourd’hui et au temps des croisades. D’après mes conclusions, nous avons aujourd’hui vingt-deux fois plus de soldats occidentaux qu’à l’époque des croisés ! Nous prétendons vouloir libérer le monde arabe avec ces soldats, alors qu’à mon avis, il faudrait plutôt retirer nos troupes afin de rendre la liberté aux peuples du Moyen-Orient.

Le Liban semble à nouveau plonger dans la tourmente. Comment expliquez-vous le destin tragique de ce pays ?

Le Liban est un État multiconfessionnel, c’est à la fois sa force et sa faiblesse. Le Liban compte environ 60 % de musulmans et 40 % de chrétiens. Dans la société libanaise cohabitent principalement douze communautés chrétiennes, cinq communautés musulmanes et une minorité juive. Le confessionnalisme est à la base de l’identité libanaise, c’est ce qui fait sa force, la spécificité de son modèle mais ce qui nourrit aussi la tragédie du Liban. En raison de son confessionnalisme, ce pays est toujours sous la menace de crises et de guerres. Les mouvements confessionnels peuvent être instrumentalisés par les puissances extérieures.

De plus, sa position géostratégique dans la région en fait un État soumis aux influences et aux ingérences de puissances extérieures (Syrie, Iran...). La présence des réfugiés palestiniens au Liban - environ 400 000, qui vivent dans des conditions très difficiles - est un facteur supplémentaire de tension, donnant au conflit israélo-palestinien une résonance quotidienne au Liban. Le Hezbollah est sorti sensiblement renforcé de l’épreuve de force de l’été 2006 et son influence dans le pays est grandissante. Cette guerre a creusé le fossé entre les chiites et les sunnites et divisé encore plus la société libanaise. La principale menace aujourd’hui, c’est le risque de voir des groupes sunnites, inspirés par Al-Qaïda, s’en prendre aux Casques bleus stationnés dans le sud du pays. Il y a maintenant au Liban des contingents français, espagnol, italien, turc et des forces navales allemandes.

Le Hezbollah a-t-il un vrai programme politique ? Est-ce un danger pour la démocratie au Liban ?

Le Hezbollah bénéficie d’une grande popularité dans le sud du Liban et la banlieue sud de Beyrouth, le quartier chiite. Il dispose d’une influence grandissante. Il est impossible pour le gouvernement libanais d’ignorer le Hezbollah dans le futur. En public comme en privé, le Hezbollah affirme ne pas vouloir instaurer de République islamique. Depuis sa naissance en 1982, et jusqu’à aujourd’hui, le Hezbollah a perdu beaucoup de combattants. C’est pourquoi il réclame maintenant une part du pouvoir. Le Hezbollah a une grande carte à jouer après cette crise. Il sera nécessaire au gouvernement d’ouvrir les portes du pouvoir aux chiites. Cependant, en appelant à la désobéissance civile, le Hezbollah joue avec le feu...

Qu’en est-il de la question des bombes à fragmentation dans le sud du Liban ? Selon les Nations unies, Israël en aurait lancé plus d’un million lors de la guerre contre le Hezbollah, entre le 12 juillet et le 14 août 2006...

Après l’annonce du cessez-le-feu, les Israéliens ont inondé les champs, les fermes, les petits villages dans le sud du Liban. Depuis le début du cessez-le-feu, il y a eu 32 morts en raison de ces bombes à fragmentation. Je pense que Tsahal a voulu punir la population. C’est un crime de guerre de la part d’Israël, au même titre que le Hezbollah est responsable de crimes de guerre en tirant des roquettes sur les populations civiles en Israël. La zone est totalement recouverte de petites bombes.

Beaucoup de démineurs sont à l’ ?uvre et, selon certains que j’ai rencontrés sur place, il faudra peut-être plus de quarante ans pour déminer la région du Sud-Liban. Avant le conflit entre le Hezbollah et Israël, les démineurs ont mis du temps à retirer les bombes perdues. Aujourd’hui, on repart à zéro. C’est un problème majeur pour l’avenir et la sécurité des populations civiles. Ce travail est aujourd’hui effectué par les Nations unies et les ONG de déminage.

Quelle a été votre démarche pour l’écriture de votre dernier livre Liban, nation martyre ?

Ce récit est le fruit de plus de trente ans de reportages au Liban et dans la région du Moyen-Orient. Ce n’est pas un essai mais un travail de reporter. Depuis que je couvre la guerre dans cette région en ébullition permanente, j’ai gardé des montagnes de carnets, de coupures de presse, de notes personnelles et de comptes rendus, parfois gribouillés sur des vieux papiers que j’ai conservés dans des sacs de linge et de duty-free à l’aéroport de Beyrouth.

La plupart d’entre eux portent sur le Liban, comme une chronique de la destruction d’une nation et d’un peuple sur plusieurs décennies. C’est donc un livre de témoignage, un regard personnel sur le Liban, ses espoirs, ses tragédies, ses épisodes sanglants. J’ai toujours pensé le journalisme comme un grand challenge contre les pouvoirs en place. C’est dans cet esprit que je réalise mes enquêtes de terrain, au plus près des acteurs du conflit et des victimes, pour dénoncer les massacres, les oppressions ou les injustices.

Propos recueillis par Julien Nessi et publiés sur Amnesty International - France (Mai 2007)


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