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Comment sortir d’Irak

samedi 5 mai 2007 - 06h:42

Juan Cole - The Nation

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Juan Cole propose un plan de sortie de crise en Irak. S’inspirant de la démarche des accords Taef qui avaient mis fin à la guerre civile au Liban, il suggère une négociation impliquant à la fois les acteurs irakiens et les pays de la région, ainsi que des organisations internationales garantissant le processus. Mais le point clé reste le retrait des troupes US, qui loin de permettre la sécurisation du pays, provoquent l’affrontement par leur seule présence.

Les deux Chambres du Congrès soutiennent désormais un calendrier de retrait des troupes américaines de l’Irak en 2008, auquel George W. Bush s’est promis d’opposer un veto. Il avance pour s’opposer à ce retrait deux justifications majeures. Il déjà par le passé averti que l’Irak pourrait devenir un bastion d’Al Qaeda et, en une autre occasion, que « la violence pourrait s’étendre à travers tout le pays-et à terme, la région entière pourrait sombrer dans la guerre. »

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Bagdad

Voila les épouvantails avec lesquels Bush a essayé d’effrayer l’opinion.

En ce qui Concerne le premier point, la Turquie, la Jordanie et l’Iran ne vont pas accepter un bastion d’Al Qaeda à leurs frontières ; ni les Irakiens chiites et kurdes. La plupart des Irakiens sunnites sont relativement laïques, et il y a seulement environ 1.000 djihadistes étrangers en Irak, qui seraient forcés de retourner chez eux si les Américains partaient.

L’incompétence de Bush a rendu réellement possible l’éventualité d’une guerre régionale par « procuration », et la question est donc : comment l’éviter ? Un officiel saoudien a reconnu que si les Etats-Unis se retiraient et que les sunnites d’Irak semblaient menacés, Riyad interviendrait alors probablement. Le ministre des affaires étrangères Turc Abdullah Gul a également menacé d’intervenir en Irak si les Kurdes d’Irak déclaraient leur indépendance. Et l’Iran essayerait sûrement de secourir les chiites irakiens s’ils risquaient d’être massacrés.

Mais Bush se trompe profondément en pensant qu’une occupation militaire américaine permanente peut empêcher l’extension de la guerre. Les Arabes sunnites voient les américains comme ceux qui les ont torturé, ont détruit plusieurs de leurs villes et les ont maintenu sous un siège à la demande du gouvernement chiito-kurde du premier ministre Nouri Kamal Al-Maliki. Les mauvais calculs américains ont constamment conduit de plus en plus de sunnites à adopter et à approuver la violence. Les sondages menés par le Pentagone prouvent qu’entre 2003 et 2006 le pourcentage d’arabes sunnites qui considèrent justifiées les attaques contre les troupes américaines est passé de 14% à plus de 70%.

La répression américaine contre les sunnites a permis aux chiites et aux Kurdes d’éviter la recherche de compromis. Les sunnites au Parlement ont exigé que les excès de la dé-baasification soient abandonnés (des milliers de sunnites ont été renvoyé de leur travail juste parce qu’ils ont appartenu au parti Baas). Mais ils ont essuyé un refus. Les sunnites ne voulaient pas de la création d’une "super province" chiite dans le Sud. Les chiites l’ont néanmoins appuyé au Parlement. Les dirigeants kurdes ont également écarté les objections sunnites à leurs plans d’annexion de la province de Kirkuk, riche en pétrole et qui abrite une importante population arabe.

L’élément clef pour empêcher l’intensification de la guerre civile, c’est le retrait des USA, et ceci afin d’obliger les parties à élaborer un compromis. Par conséquent, les Etats-Unis devraient annoncer leur intention de retirer leurs forces militaires d’Irak, ce qui amènera les Sunnites à la table de négociation et fera pression sur les Kurdes et les Chiites afin qu’ils cherchent un compromis avec eux. Mais un simple départ des USA ne suffira pas ; la guerre civile doit faire l’objet d’une négociation en vue d’un règlement, sur le modèle des conflits en Irlande du Nord et au Liban.

Mais pour dialoguer, il faut des partenaires. La première étape en Irak doit donc être de tenir des élections provinciales. Lors de la première et unique élection de ce genre, qui a eu lieu en janvier 2005, les partis arabes sunnites ont refusé d’y participer. Tous les gouvernements provinciaux dans les provinces a majorité Sunnite sont de ce fait peu représentatifs, et parfois même entre les mains de fondamentalistes chiites, comme c’est le cas à Diyala. Une classe politique nouvellement élue dans les provinces arabes sunnites pourrait représenter les groupes de la résistance lors des négociations, tout comme le Sinn Fein, l’aile politique de l’armée républicaine irlandaise, l’a fait en Irlande du Nord.

Les Etats-Unis ont fait un pas dans la bonne direction en assistant au Sommet Régional de Bagdad rassemblants les pays frontaliers de l’Irak du mois de mars et en parlant directement avec l’Iran et la Syrie sur le sujet de la sécurité irakienne. Maintenant les Etats-Unis et la Grande-Bretagne devraient travailler avec les Nations Unies ou l’organisation de la conférence islamique (OCI) pour appeler a une rencontre six-plus-deux sur le modèle de la conférence de Bonn, globalement réussie, de décembre 2001 sur l’Afghanistan. Le gouvernement irakien, y compris le président et les deux vice-présidents, se réunirait directement avec les ministres des affaires étrangères de l’Iran, de la Turquie, de la Syrie, de la Jordanie, de l’Arabie Saoudite et du Koweit pour discuter de la manière dont les acteurs régionaux pourraient aider à mettre fin à la guerre pendant que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se préparent à partir. À la différence du sommet de Bagdad, cette conférence devrait formaliser les plans et les engagements des parties. Les récentes consultations saoudiennes avec les leaders iraniens devront se poursuivre.

Le gouvernement saoudien devrait alors être invité à reprendre le rôle qu’il a joué en sponsorisant la fin de la guerre civile libanaise à Taef en 1989, où les chefs communautaires ont conclu un nouveau contrat national, qui a impliqué le partage du pouvoir politique et la démobilisation de la plupart des milices. A Taef II, les gouverneurs provinciaux élus de l’Irak et les leaders des principaux blocs parlementaires doivent être rassemblés. Les observateurs des six voisins de l’Irak doivent également être présents en même temps que les ambassadeurs américains et britanniques à Bagdad et les représentants de l’ONU et de l’OCI.

Le Roi Abdallah de l’Arabie Saoudite a la confiance des Sunnites d’Irak, particulièrement depuis qu’il a dénoncé l’occupation américaine comme étant illégitime. Ils pourraient faire confiance à ses représentations en sol irakien, comme par exemple une institution d’aide saoudienne au développement qui pourrait s’installer dans des régions telles que la province d’Anbar. Puisque les sunnites sont les principaux acteurs de la violence en Irak, c’est eux qui doivent être l’objet à la fois de toutes les attentions mais aussi de mises en gardes, afin de parvenir à un règlement. Les chiites devront désarmer aussi bien l’armée du Mahdi que l’organisation Badr, et l’Iran devra s’engager à travailler avec le gouvernement de Maliki à cette fin. Une force de maintien de la paix de l’ONU, peut-être avec l’OCI, ferait partie de la solution.

Sur la base d’un règlement à Taef II, les militaires américains devraient alors engager des pourparlers avec les autorités provinciales en vue d’un retrait échelonné des provinces arabes sunnites. Les sunnites devront comprendre que ce départ est une arme à double tranchant, dans la mesure ou s’ils continuent leur guérilla, les Etats-Unis ne pourraient pas les protéger contre des représailles kurdes ou chiites. Toute présence de l’ONU ou de l’OCI se ferait pour le maintien de la paix et non pas dans le but de parvenir a cette paix. Les aides financières qui seront promises par les voisins à Taef II doivent être échelonnées et dépendre de la bonne foi des leaders irakiens.

Par ce processus, les arabes sunnites obtiendraient la fin de l’occupation américaine - qui fait partie de leurs principales exigences - ainsi que la fin de la dé-Baasification et de leur marginalisation politique. Ils obtiendraient ainsi une place importante dans les nouvelles institutions et seraient garantis d’accèder à une part équitable de la richesse nationale. Les chiites et les Kurdes obtiendraient quant-à eux la fin d’une guerre civile meurtrière, même s’ils devraient abandonner certaines de leurs exigences maximalistes. Les voisins éviteraient une reprise de la guerre destructive Iran-Irak des années 80, qui a tué près d’un million de personnes et a profondément porté préjudice aux économies régionales. Et en mettant fin à leur occupation, les Etats-Unis feraient un grand pas en avant vers la restauration de leurs relations avec le monde arabe et musulman et élimineraient ainsi un des principal instrument de recrutement d’Al Qaeda.

Le retrait est certes risqué, mais selon toute vraisemblance à ce jour, le maintien des troupes américaines en Irak conduira sûrement au désastre.

Juan Cole - The Nation, le 23 avril 2007 : How to Get Out of Iraq
Traduit de l’anglais par Karim Loubnani, Contre Info

Du même auteur : Les Démocrates font marche arrière sur l’Iran


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