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Israël a sans vergogne exploité la mort des trois colons

vendredi 18 juillet 2014 - 06h:01

Abdel Bari Atwan

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Si Israël continue d’attaquer Gaza, il est très probable que nous assistions à une troisième Intifada. Mais celle-ci sera différente, puisque l’opinion publique a subi une profonde transformation à l’échelle mondiale.

La mort de trois jeunes colons israéliens et les représailles avec le meurtre brutal de l’adolescent palestinien Mohammad Abu Khudair ont déclenché le cycle de la violence et un inquiétant bombardement médiatique – bien que familier – de la part d’Israël. Lorsque le visage sinistre de Mark Negev est apparu sur les écrans de télévision du monde entier, les citoyens assiégés de Gaza ont commencé à se recroqueviller dans la perspective d’une nouvelle opération « Plomb durci » menée au nom de la vengeance.

Tout ceci n’a rien d’étonnant. Cependant, l’entrée de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) sur la scène régionale pourrait entraîner des conséquences complètement inédites et imprévisibles pour les actes belligérants d’Israël.

Gilad Shaar, Naftali Fraenkel (tout juste âgés de 16 ans) et Eyal Yifrah (19 ans) ont été kidnappés le 12 juin à proximité de leur résidence familiale dans la colonie illégale de Goush Etzion. Au cours des 18 jours suivants, les médias internationaux étaient saturés de descriptions émouvantes des recherches organisées, puis de la terrible découverte de leurs corps et, enfin, des scènes déchirantes de douleur à leurs funérailles. Les dirigeants mondiaux ont envoyé des messages personnels de condoléances aux familles et assuré à Israël leur soutien sincère dans ses efforts d’éradication de tous les « terroristes ».

Cependant, les circonstances de la mort de ces jeunes hommes demeurent mystérieuses. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a immédiatement annoncé que « le Hamas paierait le prix fort », mais ce dernier a nié toute implication. Cette nouvelle raison de diaboliser le Hamas tombe à pic et est fort commode, étant donné que sa réconciliation récente avec le Fatah est perçue comme une menace existentielle pour Israël. Les médias internationaux grand public ont largement accepté et diffusé le verdict infondé d’Israël.

Ce qui est avéré, ce sont les circonstances horribles dans lesquelles Abu Khudair, âgé de 17 ans, est décédé. Il a été kidnappé dans la banlieue occupée de Shuafat, au nord de Jérusalem, contraint à boire de l’essence, puis brûlé vif. Les trois hommes qui ont avoué ce meurtre (des « extrémistes » israéliens) avaient tenté de kidnapper un enfant de neuf ans la veille. Cette histoire a été complètement passée sous silence.

Les médias et hommes politiques internationaux n’ont pas non plus mentionné le fait qu’entre la disparition des adolescents israéliens et la découverte de leurs corps, sept Palestiniens ont été assassinés par l’armée israélienne. En effet, depuis l’an 2000, 1405 enfants palestiniens ont été tués par Israël, apparemment en toute impunité. Les médias ont complètement occulté le fait que les adolescents israéliens vivaient dans une colonie illégale dans laquelle la violence envers les Arabes est fortement encouragée. Bien sûr, ceci ne signifie pas que ces enfants méritaient de mourir, mais n’est-il pas évident que la violence est une conséquence logique du vol des terres des familles palestiniennes par Israël ?

Israël profite impudemment des meurtres pour justifier et faire campagne pour le mouvement de colonisation en mélangeant appels à l’expansion des colonies et deuil national. Le gouvernement de Benjamin Netanyahu est dominé par des extrémistes sionistes, notamment le ministre de l’Économie, Naftali Bennett, également dirigeant du parti « Foyer juif », qui sont convaincus que les Juifs sont les héritiers de l’Israël biblique dans son ensemble par la volonté divine. Cette vision est à la base de l’intransigeance de Benjamin Netanyahu et de son échec quant à la suspension de la colonisation durant les négociations de paix. Dans une tentative pour faire accepter à la nation l’inacceptable épuration ethnique des Palestiniens, Tel Aviv a transformé les colons en pionniers héroïques encerclés par des hordes de sauvages meurtriers en maraude, comme dans les westerns hollywoodiens.

Le sensationnalisme et l’irresponsabilité avec lesquels les meurtres des adolescents colons ont été décrits ont entraîné des manifestations publiques et acerbes de racisme. Des brutes armées se sont rendues dans les rues de Jérusalem occupée en scandant des slogans tels que « Mort aux Arabes » ou « Que votre village brûle ». Les crimes haineux envers les Arabes sont endémiques et, selon les témoignages de collègues sur le terrain, largement occultés par la police israélienne.

Du point de vue politique, il est opportun pour Israël d’utiliser cette tragédie comme prétexte pour attaquer le Hamas, et des frappes ont été lancées sur ses installations militaires à Gaza immédiatement après les funérailles des colons. Les petites agressions se poursuivent. Dans la nuit de lundi, les forces aériennes israéliennes ont tué au moins huit personnes à Gaza, et la bande de Gaza est privée d’électricité depuis la semaine dernière, après que les avions de combat ont commencé à cibler des infrastructures civiles. Des proches résidant à Gaza m’ont confié que tout le monde vit dans la peur d’une attaque semblable à celle de 2008-2009, lorsque l’opération « Plomb durci » avait ôté la vie à presque 1 500 Palestiniens.

Incapacité à tenir tête efficacement

Les hommes politiques palestiniens sont divisés quant à la réponse à apporter à la dernière agression d’Israël ainsi qu’à la colère du peuple suite au meurtre d’Abu Khudair et au passage à tabac de son cousin âgé de 15 ans, Tareq Abu Khudair, par la police israélienne. Le président de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), Mahmoud Abbas, n’est pas parvenu à incarner l’atmosphère qui règne dans les rues, et même ses collègues les plus modérés ont exprimé leur frustration quant à son incapacité à tenir tête et à maîtriser efficacement Israël.

Nombreux sont ceux qui concluent que Mahmoud Abbas n’est plus motivé par les droits et les attentes raisonnables des Palestiniens, mais plutôt par son désir de ne pas contrarier Tel Aviv et risquer de perdre son mandat et les privilèges qui s’y rattachent. Le mois dernier, Mahmoud Abbas a horrifié le monde arabe en déclarant aux délégués de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) lors d’une conférence à Djeddah que la coordination des forces de sécurité avec Israël était « dans l’intérêt des Palestiniens », malgré le fait que les soldats israéliens aient assassiné cinq Palestiniens et mis à sac les maisons des villageois à la recherche des adolescents kidnappés.

En dépit des provocations, le Hamas a répondu avec retenue. Les roquettes qu’il a lancées par-dessus la frontière dans le désert inhabité autour de Sdérot constituent un avertissement. Le groupe islamiste dispose de missiles modernes et bien plus efficaces, capables de frapper la Jérusalem occupée et Tel Aviv. Alors qu’Israël aimerait que le schisme entre le Hamas et le Fatah soit renouvelé (afin de « diviser pour régner »), le Hamas s’est engagé dimanche dernier dans la négociation d’une trêve avec Tel Aviv sous l’égide de l’Égypte. Pour l’instant, il est au moins parvenu à maîtriser les factions radicales en son sein qui appellent à une réponse plus énergique.

Pendant ce temps, les rues palestiniennes sont en proie à la colère. Des jeunes armés de pierres ont engagé des combats de rue sporadiques avec l’armée et la police israéliennes. Si Israël continue d’attaquer Gaza, il est très probable que nous assistions à une troisième Intifada. Mais celle-ci sera différente. L’opinion publique internationale a subi une profonde transformation. Le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions à l’encontre d’Israël gagne en intensité alors que les médias sociaux permettent la diffusion de photos réelles non censurées. Plus tôt cette semaine, le plus grand syndicat de Grande-Bretagne, Unite, a désigné Israël « coupable du crime d’apartheid », et s’est engagé avec ses 1,5 millions de membres à prendre des « mesures plus radicales semblables à celles qui ont été prises contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud » et à combattre « l’épuration ethnique des Palestiniens ».

Il est par conséquent probable qu’une troisième Intifada donnerait lieu à une sympathie et à un soutien populaire généralisés. Je pense qu’Israël hésite à provoquer une véritable confrontation pour les raisons évoquées ci-dessus, mais également en raison d’un évènement totalement inédit. Dimanche dernier, le chef du Mossad, Tamir Pardo, a annoncé lors d’une réunion privée avec les principaux hommes d’affaires israéliens que la plus grande menace planant sur la sécurité d’Israël ne résidait plus dans les ogives nucléaires iraniennes mais dans l’échec de l’obtention d’un accord avec les Palestiniens. Et il a raison.

La colère des Arabes a trouvé un nouveau véhicule sous la forme de l’EIIL, le mouvement salafiste-djihadiste qui a déferlé sur la Syrie et l’Iraq et déclaré l’établissement d’un « califat » islamique sur les territoires considérables et contigus qu’il a conquis. Israël possède une frontière avec la Syrie, et l’EIIL a fait une percée en Jordanie. Il ressort clairement des publications sur les plateformes des médias sociaux que de jeunes Palestiniens exaltés adhèrent à l’idéologie de l’EIIL. Ils considèrent cette organisation ultra-radicale comme une possibilité de salut quant aux injustices perpétrées à leur encontre par Israël.

Alors qu’il est facile de contenir une Intifada menée à coup de pierres, l’EIIL dispose d’armes et de véhicules militaires très sophistiqués confisqués aux armées officielles d’Iraq et de Syrie.

Si l’EIIL lance une attaque en règle contre Israël de l’intérieur mais aussi au niveau des frontières, Tel Aviv risque de regretter amèrement d’avoir refusé de négocier avec le Hamas. Car, comparé à l’EIIL, le Hamas n’est qu’un gros nounours.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du site Raialyoum. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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8 juillet 2014 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.raialyoum.com/?p=119025
Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.


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