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Quand tout a échoué, blâmez l’Iran

vendredi 4 mai 2007 - 07h:59

Scott Harrop - Just World News

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Le New York Times a fait son autocritique après l’invasion d’Irak, reconnaissant son manque de distance critique envers les affirmations de l’administration américaine. Pourtant aujourd’hui, les accusations contre l’Iran sont relayées sans beaucoup de précautions par le journaliste qui s’était laissé piéger par la soi disant piste de l’uranium du Niger acheté par Saddam Hussein - en fait un faux grossier.

Les choses doivent vraiment aller mal en Afghanistan. Sinon pourquoi les chefs du Pentagone insinueraient-ils que des armes iraniennes ont été « saisies », prétendument destinées aux Talibans ? Cela ressemble à s’y méprendre à la vieille formule usée. Quand les choses vont vraiment mal quelque part au Moyen-Orient, changez de sujet et blâmez l’Iran.

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Le président iranien Mahmoud Ahmadinejah

Michael R. Gordon [1] se distingue encore une fois aujourd’hui en tant que chef-vendeur de ce genre de nouvelles sinistres. Les bloggeurs des médias l’ont étiquetté le "fantôme de Judith Miller" du New York Times, le journaliste le plus disposé « à sortir les poubelles de Cheney. » Dernièrement, Gordon s’est montré très actif pour promouvoir le soutien à une attitude plus dure envers l’Iran.

La semaine dernière [12/4/2007], j’ai commenté ici l’étrange affirmation du Pentagone prétendant que l’Iran soutenait maintenant non seulement les insurgés chiites irakiens, mais également les combattants sunnites. C’est Michael R. Gordon qui a entamé le 10 février, le dernier refrain sur l’Iran-comme-source-d’-ennui-en-Irak " avec un "scoop" en première page qui a, avec un suspens insoutenable, cité des sources américaines anonymes affirmant que l’Iran fournissait les armes qui tuaient des Américains. L’article suivant de Gordon a généreusement permis à ses sources de défendre leurs affirmations dans la « polémique » qui a suivi et que même un éditorial du NYTimes avait critiquée. (Étonnamment, cet éditorial a négligé de mentionner que c’était leur propre journaliste - Gordon - qui avait déclenché la polémique. Comme Judy Miller, Gordon s’est depuis longtemps spécialisé dans la propagande en faveur des cercles néoconservateurs.

En novembre dernier, Michael R. Gordon signalait que le Hezbollah « soutenu par l’Iran » formait des combattants irakiens chiites. Et dans la foulée, Gordon a aligné de multiples « rapports » citant des « experts » et des « analystes » avertissant contre le retrait rapide de l’Irak, puis condamnant le Baker-Hamilton Iraq Study Group (en particulier l’idée de parler aux voisins de l’Irak), et préconisant alors une « renforcement [surge] » numérique des troupes en Irak.

En 2002, Michael R. Gordon écrivait régulièrement avec Judith Miller des articles sur l’arsenal des ADM irakiennes, et plus scandaleux encore, sur les tubes d’aluminium soit disant destinés au programme nucléaire de l’Irak. L’intention évidente de tels articles était de gagner le soutien en faveur de l’invasion de l’Irak le plus rapidement possible.

Le New York Times a fait l’année dernière l’auto-critique de sa mauvaise couverture des faits, et a spécifiquement cité l’histoire des « tubes » de Miller-Gordon comme l’un des plus mauvais exemples. Pourtant Michael R. Gordon reste le correspondant « militaire » principal du Times’.
Dans une interview controversée l’année dernière avec Amy Goodman, Gordon a déclaré qu’il n’était qu’un collecteur des meilleurs renseignements et analyses disponibles (invasion pré-Irak) et que par la suite les « dissidents » ne s’étaient pas manifestés à lui.
C’est une curieuse défense. Les journalistes ne devraient-ils pas prendre en compte tous les points de vue ? Gordon a cru se montrer drôle quand il a dit a Goodman : « Je ne suis réellement pas Judy Miller. » ! Vraiment ?

Aujourd’hui, le NYTimes ne se réfère qu’à Michael R. Gordon pour nous apprendre que l’Iran soutient les Talibans (sic) en Afghanistan. Et voila, l’Iran est maintenant accusé d’envoyer des armes aux Talibans, l’ennemi mortel suprême de l’Iran. En 2000, Condoleze Rice alors conseillère de Bush a bien illustré son manque de compétences sur le Moyen-Orient (à ses débuts) quand elle a affirmé avec confiance au Washington Post que les Talibans étaient des « clients » de l’Iran. Les médias ont en grande partie oublié cette gaffe absurde. Maintenant, grâce à Michael R. Gordon, nous sommes amenés à penser qu’il est possible en fin de compte que Condi Rice ait eu raison. Pas du tout !

Selon les normes d’évaluation (très basses) de Gordon, son rapport sur le soi-disant lien Iran-Talibans est relativement justifié : d’abord, cette fois il a une source clairement identifiée : le chef des armées Peter Pace, qui a simplement dit : « nous avons intercepté en Afghanistan des armes, destinées aux Talibans, qui ont été fabriquées en Iran. » Gordon a également inclus la réserve de Pace disant que « l’entité iranienne responsable en Afghanistan n’est pas clairement identifiée. »

Environ la moitié de l’article de Gordon concernant l’Iran en Afghanistan répète ses propres déclarations sur le rôle allégué de l’Iran dans le chaos irakien. Mais Gordon note péniblement que le rôle de l’Iran en Afghanistan a été « plus compliqué, » vu les affrontements passés entre iraniens et Talibans, le soutien par l’Iran de l’Alliance Afghane du Nord (qui a combattu les Talibans), et le rôle sans ambiguïté joué par l’Iran, en faveur du gouvernement actuel de Karzai.

Gordon parvient à trouver un universitaire, Barnett Rubin, pour rendre crédible un argument plausible, mais cependant fortement hypothétique, voulant que l’Iran, ou certains éléments du régime iranien, pourraient trouver un intérêt à soutenir leur ennemi mortel - les Talibans. « Pour les Iraniens la menace numéro 1 est une attaque américaine pour renverser leur gouvernement. Ils sont prêts à tout pour mettre les bâtons dans les roues des Etats-Unis et à ses alliés dans cette région. » Gordon ne prend même pas la peine de citer ceux des observateurs qui ont pu rétorquer que l’Iran a peu, sinon aucun, intérêt a soutenir les insurgés sunnites talibans ou irakiens. Aucun doute que Gordon pourra encore déclarer malhonnêtement que de tels « dissidents » ne l’ont pas contacté.

Associated Press, pire encore

Robert Burns, un correspondant militaire de l’AP, s’est « distingué » en surpassant Gordon. Burns cite deux sources peu fiables pour renforcer les déclarations de Pace. D’abord, Burns cite Mohammad Mohaddessin, un porte-parole du « Conseil National de la Résistance Iranienne » (c-a-d les « Moudjahedines du peuple ») qui déclare ce qui suit,
L’« exportation du fondamentalisme et du terrorisme aux pays voisins et aux pays islamiques est l’un des piliers de la politique étrangère du régime des mollahs - ce dont la résistance iranienne met en garde depuis deux décennies. »

En ce qui concerne les liens de l’Iran avec l’Afghanistan, une déclaration aussi péremptoire est ridicule - ainsi que le démontrerait même l’article de Michael Gordon. Burns ne mentionne également pas que le NCR/PMOI [parti des Moudjahedines] est toujours sur la liste terroriste du Département d’Etat. Burns nous sort également Michael Rubin, membre actuel du bastion néoconservateur à l’American Enterprise Institute. Rubin essaye de discréditer toute suggestion voulant que l’Iran ait pu avoir joué un rôle constructif en Afghanistan, considérant tous les efforts iraniens pour augmenter leur influence en Afghanistan comme des tentatives scélérates dirigées contre l’Amérique....

Le « leadership iranien établit souvent des relations pragmatiques pour renforcer leur influence à nos dépens... Un grand nombre des déclarations au sujet de l’aide iranienne en Afghanistan relèvent plus des souhaits que de la réalité. » Rubin nous chante ainsi une fois de plus la chanson habituelle de l’idéologue néocon - que rien de bon, par définition, ne peut venir de l’Iran, à moins d’un changement de régime. Sans surprise, ces rapports de Gordon et Burns ne fait aucune mention des sources bien plus probables et plus substantielles de soutien des Talibans - à savoir, le Pakistan et l’Arabie Saoudite.

Le Guardian sort du lot...

Curieusement, le Washington Post n’a même pas pris la peine de rendre compte de la déclaration de Pace - peut-être l’ont-ils pris pour ce qu’elle était. Dans mes recherches jusqu’ici, seul le Guardian britannique (édition du 19 avril) a critiqué [la déclaration]. Écrivant de sa base à Kaboul, Declan Walsh rapporte l’accusation de Pace puis (à la différence de Burns & Gordon) procède à une vérification de la réalité avec des Afghans sur place :

D’abord, il cite le Général afghan Mohiyadeen Ghori, commandant du 205ieme corps posté a Helmand, qui dit que ses troupes avaient récupéré des armes fabriquées en Iran portées par des insurgés dans la province Farah, et que l’Iran finançait des insurgés dans la zone de Garmser, où plusieurs soldats britanniques sont morts dans de violents combats. Cependant, le Général Ghori indique également que de tels fonds étaient transmis par des contrebandiers de drogue basés au Balûchistân iranien, et « tout qui les intéresse, c’est l’argent. »

Walsh termine son article par une observation significative : « Quelques officiels occidentaux à Kaboul ont traité les allégations d’un appui aux talibans avec scepticisme hier. On dit que les armes iraniennes sont librement disponibles sur le marché noir depuis les années 90, quand Téhéran a envoyé des armes aux groupes combattant contre les Talibans. « Une Kalachnikov sur 10, est iranienne, » a-t-il dit. « Il ne s’agit que d’une guerre de mots. Cela a très peu de fondement dans la réalité. »

Le papier de Walsh cite également des fonctionnaires occidentaux suspectant que de telles accusations « coïncident avec les spéculations de plus en plus insistantes concernant de possibles attaques aériennes américaines contre les installations nucléaires iraniennes. »

Radio Téhéran

Radio Téhéran (VOIR en Persan - transcription via BBC monitoring) a rejeté les allégations de Pace aujourd’hui. Après avoir noté les puissants liens culturels existant entre l’Iran et l’Afghanistan qui expliquent une présence iranienne active « inévitable », le commentaire indiquait que, « l’Iran est l’un des rares pays qui a honoré ses promesses d’aide financière pour la reconstruction de l’Afghanistan, et les mesures que Téhéran a prises pour la reconstruction de l’Afghanistan ont toutes été importantes et efficaces ».

Quant aux accusations en provenance de l’Amérique qui affirme le contraire, « la machine militaire de l’Amérique est bloquée dans les montagnes et les marécages afghans. Afin de justifier cette situation, les américains doivent en blâmer d’autres, et attribuer leurs propres problèmes aux pays étrangers. Il n’y avait aucune mention de l’Iran jusqu’à hier, mais plus l’Amérique est insatisfaite en Afghanistan, plus elle concentre sa guerre psychologique sur l’Iran. La déclaration d’ hier du chef des armées de l’Amérique en est un exemple. »

En bref : quand tout échoue par ailleurs, blâmez l’Iran.

Radio Téhéran a également avancé une explication des développements récents de la politique américaine : « Ces affirmations sont concomitantes aux pressions exercées par le Congrès et l’opinion publique américaine en faveur du retrait de [l’Irak ?] et d’une interaction constructive avec l’Iran. Ceci peut être interprété comme une nouvelle tentative de faire échouer les Démocrates au Congrès dans leur tentative d’approcher l’Iran ».

Voici donc de quoi il est question. Sénateur Webb, prenez en bonne note.


Scott Harrop est universitaire, membre de l’Université de Virginie, spécialiste de l’Iran.

Helena Cobban a été correspondante de presse a Beyrouth durant la guerre civile. Elle a depuis publié de nombreux ouvrages, et écrit régulièrement sur le Moyen-Orient.

Publication originale sur le blog d’Helena Cobban,
’Just World News’, le 18 avril 2007
Traduction : Karim Loubnani, Contre Info


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