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Recette israélienne pour la prolongation du conflit

mercredi 14 mai 2014 - 15h:46

Saleh Al-Naami

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Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, pense avoir découvert une recette permettant de garantir la légitimation de son refus de quitter la Cisjordanie tout en tenant les Palestiniens pour responsables de l’échec des négociations pour un règlement politique du conflit.

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La violence perpétrée contre les Palestiniens dans leur propre ville de Jérusalem est jugée comme nécessaire pour la réalisation d’une Jérusalem exclusivement juive - Photo : Eugene Peress.

Cette recette consiste en l’exigence de faire reconnaitre Israël comme « l’État-nation du peuple juif » par les Palestiniens. À première vue, on pourrait penser que la tentative de Benjamin Netanyahu d’imposer cette revendication vise à garantir la préservation de la nature démographique d’Israël, au motif que la reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens impliquerait la renonciation des réfugiés palestiniens à leur droit de retour sur des territoires dont leurs parents et grands-parents ont été expulsés en 1948.

Malheureusement, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a plusieurs fois souligné que la solution au problème des réfugiés ne résidait pas forcément dans leur retour sur des territoires dont ils ont été expulsés, ce qui a bouleversé le peuple palestinien. En outre, Mahmoud Abbas a lancé un appel aux Israéliens lors d’une interview sur Aroutz 2 le 2 novembre 2012, déclarant qu’il rêvait de retourner dans la ville de Safed, que sa famille a quittée en 1948, mais uniquement en tant que touriste.

Cependant, l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas refuse de reconnaitre le caractère juif d’Israël. En effet, Benjamin Netanyahu part du principe qu’en faisant cela, les Palestiniens cèderont leurs territoires aux Juifs, y compris la Cisjordanie, et leur permettront ainsi de renforcer leur projet de colonisation. Lors de son discours à l’occasion de la dernière conférence de l’AIPAC aux États-Unis, Benjamin Netanyahu a prétendu que les récits sionistes concernant la propriété des territoires palestiniens, et notamment de la Cisjordanie, constituait l’unique « fait historique ».

Selon Benjamin Netanyahu, Hébron est « la terre des Patriarches, où Abraham a acheté une grotte », Jérusalem le « royaume de David », et Béthel (une colonie située au Nord de Ramallah) « l’endroit où Jacob a rêvé ». Benjamin Netanyahu ne met pas en avant l’histoire juive en Palestine pour illustrer « le prix » qu’il est prêt à payer pour trouver une solution politique au conflit, mais pour justifier son refus de faire de véritables concessions. Par conséquent, il n’a pas hésité à s’engager auprès de son parti, le Likoud, à n’évacuer aucune colonie en Cisjordanie en cas d’accord politique avec les Palestiniens (Ha’Aretz, 6 janvier 2014).

Cependant, Benjamin Netanyahu, qui soutient une seule version historique, insiste non seulement sur la préservation des colonies, qui couvrent au moins 12 % des territoires occupés en Cisjordanie, mais le parti au pouvoir, dont il est le dirigeant, insiste également pour conserver ce que l’on appelle le « Grand Jérusalem », qui représente 10 % des territoires cisjordaniens, et la vallée du Jourdain, qui en représente 27 %. Ce qui laisserait aux Palestiniens seulement 52 % des territoires cisjordaniens pour établir l’État indépendant de Palestine.

Il est regrettable que certains dirigeants occidentaux aient soutenu la position de Benjamin Netanyahu et demandé aux Palestiniens de reconnaitre le caractère juif d’Israël, dont le président des États-Unis, Barack Obama, le Premier ministre britannique, David Cameron, et la chancelière allemande, Angela Merkel. Il est avéré que les États-Unis ont légitimé les conditions définies par Benjamin Netanyahu pour les Palestiniens suite à leur reconnaissance du caractère « juif » d’Israël. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a rassuré les colons juifs de Cisjordanie en déclarant que son projet d’accord ne requérait pas leur évacuation ou le démantèlement des colonies, et qu’ils pourraient demeurer sur les terres censées être allouées à l’État palestinien (Maariv, 19 février 2014).

Si l’on tient compte du fait que les Israéliens rejettent tout élément impliquant une souveraineté réelle pour un potentiel État palestinien, notamment le contrôle de ses frontières, la « Palestine indépendante » du plan de John Kerry ne promet rien de plus qu’une autorité autonome. Le prix de la reconnaissance du caractère juif d’Israël pousse non seulement les Palestiniens de Cisjordanie à rejoindre la diaspora, mais aussi les Palestiniens d’Israël, qui sont des citoyens israéliens. Afin de garantir la « pureté ethnique » d’Israël en tant qu’État juif, le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a proposé des échanges de terres et de population entre Palestiniens et Israéliens.

Ceci aurait un impact sur les régions du Triangle et de Wadi Ara, où vivent plus de 60 % des citoyens palestiniens d’Israël. Elles seraient « échangées » contre l’acceptation par les Palestiniens de l’annexion des colonies par Israël. En dépit de leurs droits en tant que citoyens de l’État d’Israël, Avigdor Lieberman est convaincu que le droit international autorise le transfert des Palestiniens en Israël, et ce, même sans leur consentement (Jerusalem Post, 27 mars 2014).

La reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens implique d’accepter l’adoption de lois racistes visant à préserver la nature juive de l’État. Certains représentants de partis politiques israéliens, notamment au sein de la coalition au pouvoir, n’ont pas attendu cette reconnaissance pour adopter plusieurs lois racistes, dont récemment la loi dite « de gouvernance », qui a augmenté le seuil électoral afin d’empêcher les Arabes d’être représentés au Parlement israélien. En outre, la reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens légitime évidemment la discrimination envers les Palestiniens en Israël. Selon une étude israélienne récente, le niveau de services reçus par les citoyens arabes en Israël est inférieur à 60 % de ceux fournis aux Juifs (The Marker, 10 mars 2014).

Outre le fait que Benjamin Netanyahu exige des Palestiniens qu’ils adoptent « l’unique vérité historique », c’est-à-dire la version sioniste de l’histoire de la Palestine, les ministres de son gouvernement exigent le remaniement du curriculum palestinien afin qu’il corresponde à cette vérité, comme l’a demandé le ministre de la Défense, Moshe Ya’alon (Yediot Aharonoth, 15 mars 2014). Les représentants israéliens considèrent l’insistance des Palestiniens sur leur propre version de l’histoire palestinienne comme une « provocation » incompatible avec une démarche de résolution pacifique du conflit.

En d’autres termes, la reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens implique une « sionisation » de la conscience collective palestinienne, au sens propre comme au figuré. Malheureusement, les États-Unis pressent les Palestiniens d’accepter la version historique sioniste. Le 4 mars, le ministre israélien des Relations internationales, Yuval Steinitz, a réussi à convaincre les membres du Comité du budget du Sénat américain de demander la fin de la « provocation » palestinienne envers Israël comme pré-requis pour le maintien du soutien financier américain à l’Autorité palestinienne (Maariv, 5 mars 2014).

Yuval Steinitz considère l’insistance des Palestiniens quant à leurs droits historiques sur la Palestine comme une « forme de provocation » devant être stoppée. Ironiquement, Yuval Steinitz lui-même a déploré il y a quelques mois la mort du rabbin Ovadia Yosef, fondateur du mouvement Shass, qu’il a décrit comme « un grand rabbin et un grand intellectuel ». Il est intéressant de noter qu’Ovadia Yosef a contribué à monter les Israéliens contre les Arabes, comme l’illustrent ses appels répétés à « l’extermination » des Arabes qu’il considère comme « diaboliques et odieux ». Selon lui, « il est interdit de se montrer clément envers eux. Il faut leur envoyer des missiles et les anéantir » (Ha’Aretz, 20 octobre 2013).

Le lourd fardeau de la reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens sera supporté non seulement par les Palestiniens, mais aussi par des centaines de millions de musulmans qui considèrent la mosquée al-Aqsa comme le troisième lieu saint au monde. Plus d’un tiers des députés de la coalition au pouvoir en Israël ont présenté un projet de loi exigeant la souveraineté d’Israël sur le Noble Sanctuaire d’al-Aqsa au motif que celui-ci a été construit sur les ruines d’un temple détruit par les Romains en 135 après Jésus-Christ. Moshe Feiglin, vice-président de la Knesset, membre éminent du Likoud et rédacteur du projet de loi, a déclaré que le fait de placer la mosquée al-Aqsa sous la souveraineté d’Israël constituait l’expression par excellence du caractère juif d’Israël (Maariv, 25 février 2014).

Il ne fait aucun doute que la reconnaissance du caractère juif d’Israël par les Palestiniens implique en réalité l’acceptation de la liquidation de leur cause et la « sionisation » de leur conscience nationale. Cependant, le peuple palestinien n’abandonnera pas ses droits nationaux et politiques.

Quant à l’insistance de Benjamin Netanyahu sur « l’unique vérité historique », il devrait examiner les conclusions tirées par l’historien juif Chaim Gans dans son livre « A Political Theory for the Jewish People : Three Zionist Narratives », qui réfute les arguments historiques du Premier ministre israélien. « Si le peuple juif a quitté Israël pendant 1 000 ans ou plus, préoccupé qu’il était par ce qu’il se passait au delà de ses frontières », demande Chaim Gans, « comment peut-il prétendre être le propriétaire historique de ces terres et le demeurer après les avoir quittées ? ».

En résumé, si Benjamin Netanyahu modifie des faits historiques de manière opportuniste et sélective afin de justifier ses opinions politiques extrêmes et de garantir la prolongation du conflit, il est regrettable que ceux qui se présentent comme « les représentants du monde libre » lui portent assistance.

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1er mai 2014 - Middel East Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
https://www.middleeastmonitor.com/a...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.


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