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Le film de Rani Massalha : « Girafada »

vendredi 25 avril 2014 - 07h:27

Joanne Laurier

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"Girafada" nous montre des images que l’on a vu des milliers de fois aux informations, mais à travers le regard d’un enfant elles touchent encore plus fortement. Tout l’intérêt du film est là : raconter dans une fiction accessible à tous la dureté de la vie quotidienne des Palestiniens ordinaires soumis à l’occupation israélienne.

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L’action se déroule en Palestine à la frontière cisjordanienne, près du mur séparant la zone des colonies israéliennes.

Yacine (Saleh Bakri) est vétérinaire au Zoo de Qalqilya, le seul parc animalier subsistant dans les territoires palestiniens. Jeune veuf, il vit avec son fils de 10 ans, Ziad (Ahmed Bayatra), qui a un lien affectif très fort avec le couple de girafes du zoo. Travaillant avec un budget des plus restreints et passionné par son travail, il tient le parc à bout de bras et est en conflit permanent avec des autorités locales palestiniennes corrompues et peu soucieuses du zoo.

Au cours d’un bombardement israélien, la girafe mâle est blessée et succombe. Sa femelle, qui doit mettre bas, est traumatisée et cesse de s’alimenter. Sa survie est en péril, de même que le bien-être de Ziad, bouleversé par la situation. Yacine réussit à trouver une autre girafe mâle au prospère parc safari de Ramat Gan, à Tel Aviv, qui s’étend sur plus de 100 hectares, alors que le zoo palestinien survit sur 1,6 hectare.

Avec la coopération de son homologue et néanmoins ami israélien au parc safari, Yacine va réussir l’impensable. Il se lance dans une opération très dangereuse pour se soustraire aux postes de contrôle et ramener une girafe « kidnappée » au zoo palestinien.

Inspiré d’une histoire vraie, le film joue sur les conditions de vie « en cage » des Palestiniens derrière le mur de séparation, pour établir des parallèles ironiques entre les animaux du zoo et les habitants de la Cisjordanie amputée – en se servant de la majesté des girafes.

Les images surprenantes de la girafe et de ses quasi-kidnappeurs marchant en terrain difficile, évitant les postes de contrôle et les soldats israéliens illustrent un mode de narration frappant et très innovant pour commenter les dures réalités de l’existence palestinienne.

Au cours d’une interview réalisée lors d’une des projections de son film au Festival International du Film à Toronto, Massalha parlé des difficultés inhérentes à un tournage dans les territoires palestiniens occupés.

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Rani Massalha

WSWS : Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre vie et de votre background artistique ?

Rani Massalha : Je suis né en France d’une mère égyptienne et d’un père palestinien. J’ai été élevé dans l’atmosphère de la politique palestinienne à Paris dans les années 1980. Mon inspiration en grandissant a été le grand poète Mahmoud Darwish [1941-2008]. Mon intérêt pour le cinéma s’est développé un peu plus tard dans ma vie. J’avais 16 ou 18 ans, j’essayais de comprendre comment les Palestiniens faisaient des films et j’ai pensé à le faire, mais le nombre d’acteurs, de réalisateurs, etc. était très limité. Depuis, j’ai toujours été passionné par le cinéma.

Lorsque j’ai commencé à préparer ce film, je n’étais pas encore impliqué dans le cinéma. Je travaillais pour une banque à Londres. Je haïssais mon boulot. Je détestais aller dans la City. C’était terrible, mais il fallait bien que je gagne ma vie. Un jour je suis tombé sur cette histoire en lisant les nouvelles du Moyen-Orient sur mon ordinateur.

J’ai vu que le conflit israélo-palestinien avait fait une victime de plus, j’ai cliqué sur le lien, et j’ai lu que c’était une girafe qui venait de mourir. J’ai voulu raconter cette histoire au monde. L’incident s’est produit fin 2001, début 2002 [pendant l’intifada al-Aqsa).

J’ai quitté mon emploi, j’ai changé de vie, changé d’amis. Je suis parti au Moyen-Orient et j’ai essayé de comprendre ce qui se passait. Arriver à faire ce film a été un processus compliqué. Mon premier long métrage en arabe … avec des enfants … avec une girafe … dans les territoires palestiniens … les difficultés ont été innombrables. Animaux, bébés, voitures, j’en passe !

Il est rare de tourner dans les territoires occupés même. Mais il était très important pour moi de réaliser un film là-bas sur place. Les gens sont très excités de voir des gens venus du monde entier. Ils étaient tellement heureux d’être traités sérieusement, pas juste comme des terroristes de l’autre côté du Mur. Ce fut une grande expérience, qui m’a changé énormément. De même pour les autres travailleurs qui étaient impliqués.

C’est un film de fiction inspiré par les événements mais j’ai modifié des détails importants. J’ai créé une histoire autour de l’événement original. Le Zoo de Qalqilya est un petit zoo de moins de 2 hectares, géré par le Docteur Sami Khadr, un homme remarquable qui s’occupe de tout. Les enfants vont y voir les animaux. C’est la seule occasion qu’ils ont de s’évader de leurs vies, des difficultés, de l’occupation militaire. Ils n’ont même pas l’occasion de voir la mer, qui n’est pourtant qu’à une douzaine de kilomètres de chez eux. Une situation pénible, que je n’arrive pas à comprendre.

La girafe a été tuée lors d’un raid aérien. Elle a paniqué, s’est cogné la tête, et elle en est morte. C’est devenu une métaphore et j’ai créé le film. La girafe est l’animal le plus grand, elle regarde l’humanité d’en haut. Le Mur israélien m’a tellement stupéfié, il est tellement haut. Il est bien plus haut que le Mur de Berlin. Je voulais faire comprendre aux gens que même la girafe n’est pas aussi haute que ce Mur.

La girafe est un animal magnifique, c’est un vrai personnage dans le film. Nous avons l’avons filmée dans toutes les conditions, avec des émotions variées, sous différents angles. C’est très difficile de faire tenir une girafe dans le cadre, elle est très grande.

WSWS : Comment est la situation actuelle dans les territoires ?

RM : La situation est désastreuse. Les gens ne croient plus à grand-chose. L’occupation a « brisé les os » de tous ceux qui ont voulu résister sur un mode autre que la violence. Aujourd’hui il y a une Intifada « pacifique ». Les gens veulent être libres, ils veulent avoir une vie. Vous avez des checkpoints partout, et la corruption. Je veux être optimiste mais … la frustration est grande.

La situation est mauvaise. Les gens ne meurent pas de faim. Mais c’est quand même une prison. Vous ne pouvez pas voir vos amis sans perdre des heures à attendre aux postes de contrôle. La région est plus petite que Paris et ses banlieues. Il est extrêmement difficile d’obtenir la permission d’aller voir votre cousin dans la ville voisine. Pourquoi ? Pourquoi ? Je suis anéanti.

Je suis plus libre, j’ai un passeport français. Je suis tellement peiné pour mes amis là-bas. Je peux partir, il ne peuvent pas. Ils ne veulent même pas partir. S’ils partent, ils sentent qu’ils ne pourront pas revenir. Si vous êtes un habitant palestinien de Jérusalem, par exemple, et que vous restez parti plus de 6 mois, les Israéliens peuvent vous refuser le droit de revenir. C’est légal, je n’invente pas.

WSWS : Quelle est la relation entre l’art et cette situation sociale douloureuse ?

RM : L’art est un vecteur important pour faire passer la compréhension, une compréhension subjective des situations qui existent parmi les êtres humains. L’art est un moyen d’expression politique, en particulier pour les Palestiniens. L’art est un chemin percutant pour parler de la condition humaine. Il facilite la compréhension des êtres humains entre eux. Regarder un film ou un tableau produit beaucoup d’émotions.

L’art c’est ma vie, c’est quelque chose de très fort.

**Le film a été projeté à Gaza, Naplouse, Ramallah, Bethléem et au Théâtre National Palestinien de Jérusalem en début d’année. Il a été sélectionné aux festivals de film de Toronto et d’Abou Dhabi, et sort dans les salles françaises en avril 2014.
*Bande-annonce
*Interview audio de Rani Massalha

30 septembre 2013 - World Socialist Web Site - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.wsws.org/en/articles/201...
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM


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