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Omar et le checkpoint : chaque jour est un cauchemar

vendredi 28 février 2014 - 06h:52

Ramzy Baroud

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Omar est un garçon âgé de 7 ans et qui vient de la bande de Gaza. Sa famille avait réussi à obtenir les autorisations nécessaires pour traverser le point de contrôle d’Erez et se rendre à Jérusalem, via la Cisjordanie, afin que l’enfant subisse une intervention chirurgicale. Son père l’accompagnait.

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Omar, âge de 7 ans, ici bloqué au barrage militaire israélien alors qu’il revient juste d’une opération chirurgicale - Photo : Palestine Chronicle/Tamar Fleishman

Sur le chemin du retour, le garçon et son père ont été arrêtés au poste de contrôle de Qalandiya qui sépare Jérusalem-Est sous occupation de la Cisjordanie. Le père avait besoin d’un autre permis de l’armée israélienne pour pouvoir ramener son fils - dont les plaies étaient encore fraîches quelques heures après l’opération chirurgicale - à la bande de Gaza. Mais les soldats n’étaient pas d’humeur complaisante.

Cette histoire a été rapportée dans ses détails les plus douloureux par une militante israélienne, Tamar Fleishman, de l’organisation MachsomWatch [témoignages et dénonciations des pratiques de l’occupation aux checkpoints - N.d.T]. Son nom est synonyme du point de contrôle Qalandiya, parce qu’elle y est restée pendant d’innombrables heures, rapportant sur les tourments exaspérants de l’armée israélienne à l’encontre des voyageurs palestiniens. Son rapport, bien que pénible à lire, apporte un éclairage sur un aspect de l’occupation israélienne qui passe souvent inaperçu. Beaucoup parlent des points de contrôle israéliens qui parsèment les territoires occupés, mais peu ont vraiment fait l’expérience de vivre une vie emprisonnée entre les points de contrôle, pris en otage du bon ou mauvais vouloir de soldats qui font ce qui bon leur semble.

Omar « le corps encore plein de produits d’anesthésie, s’est effondré sur un banc de métal juste sous les bureaux de contrôle au checkpoint de Qalandiya, » a écrit Fleishman dans le Palestine Chronicle. « Il faisait très froid alors que le soir tombait. Le père de Omar prit son blouson de cuir et en enveloppa son fils. Omar n’a pas ouvert les yeux. Ni l’œil sain, ni celui qui restait gonflé après l’opération. Il a gardé le sommeil. Il semblait être dans un état entre le sommeil et la perte de conscience ».

L’histoire se répète, et semble ne jamais finir. Omar est une représentation de chaque enfant palestinien et son père incarne chaque parent palestinien vivant sous occupation .

Une photo bouleversante d’Omar, également prise par Fleishman, le montre maladroitement couché sur ​​le banc de métal, couvert d’un blouson de cuir noir. Le garçon n’avait probablement guère conscience de la réalité qui l’entourait. Il aurait entendu son père plaider sa cause auprès des soldats ou senti la main caressante sur ses cheveux d’une mère palestinienne, également retenue au poste de contrôle. Il pourrait même avoir senti l’air froid pénétrer sa peau jusqu’à ses os fragiles. Ou il pourrait n’avoir rien senti du tout. Omar et son histoire, comme celle de tout Palestinien malade, symbolisent la profonde dépravation tapie au cœur de l’occupation israélienne.

Omar n’a rien d’un enfant pouvant servir pour une affiche de victimisation. Sa douleur et celle de son père ne devraient pas simplement soulever de petites ou grandes diatribes philosophiques sur la façon dont l’occupation est en train de « tuer l’âme d’Israël », ou raviver encore plus d’arguments pour la « solution » au « conflit » que nous préférerions. Ni les soldats, ni leurs supérieurs militaires et politiques, ni ceux qui les ont armés et financés (principalement les États-Unis et les pays européens) sont le moins du monde influencés par les questions politiques et académiques ardemment débattues. Ils ont tout simplement les moyens et le pouvoir d’imposer une colossale entreprise de contrôle qui transforme la vie des Palestiniens ordinaires en un cauchemar sans fin, et ils n’ont aucune raison de s’arrêter.

Et pourquoi le devraient-ils ? L’occupation militaire israélienne est une entreprise commerciale qui réussit. Les colons juifs sont rarement au courant de la façon dont leur présence sur un territoire occupé constitue une violation du droit international et de la Quatrième Convention de Genève. C’est un crime de guerre. Mais savent-ils cela ? Et si c’est le cas, devraient-ils y attacher de l’importance ? Ils vivent dans des logements subventionnés, reliés par un réseau routier très coûteux - réservé aux seuls juifs » israéliens - profitant de nombreux avantages auxquels n’ont même pas accès ceux qui vivent en Israël. Les colons siphonnent l’eau des nappes aquifères en Cisjordanie occupée alors que les Palestiniens n’en obtiennent qu’une part tout à fait réduite. Les enfants des colons reçoivent les meilleurs soins, accèdent aux meilleures écoles, et leurs parents circulent au volant de belles voitures tout en profitant des bonnes choses de la vie. Tandis que la plupart des Palestiniens subviennent à leurs besoins avec de faibles revenus et vivent en devant négocier leur passage aux barrages militaires, depuis le jour où ils sont nés jusqu’au jour de leur mort.

Les dirigeants israéliens dépendent de l’appui politique qu’ils reçoivent des colons et ils grincent des dents à l’idée de de perdre la faveur de la droite la plus messianique et la plus ultra-nationaliste. L’armée israélienne est déployée dans toute la Cisjordanie pour protéger les colons et les colonies, tout en veillant à ce que la population palestinienne reste bien sous contrôle. Les points de contrôle comme ceux de Qalandiya, sont là à cette fin. Comme dans de nombreux points de contrôle dans et autour de la Cisjordanie, la voie rapide est réservée aux seuls colons juifs qui traversent donc avec facilité tandis que les Palestiniens doivent se faufiler entre des murs et d’immenses blocs de béton ou des clôtures, en attendant de plaider leur cause devant les soldats.

Certaines des zones d’attente du point de contrôle ressemblent à d’immenses cages. Ma’an News a rapporté que le 6 janvier dernier un homme a été écrasé et tué au poste de contrôle Ephraim/Taybeh près de la ville de Tulkarem, en Cisjordanie. Adel Mohammed Yakoub, âgé de 59 ans et originaire du village de Balaa, « est mort étouffé dans une foule trop dense », est-il dit. « Quelques 10 000 travailleurs palestiniens traversent le checkpoint tous les jours et les procédures d’inspection au point de contrôle s’appliquent très lentement, provoquant des pressions dangereuses à cause de la foule confinée à l’intérieur du poste de contrôle. »

Yakoub a laissé derrière lui une femme et sept enfants. Maintenant, ce sont 9999 travailleurs qui continuent à traverser le point de contrôle de Taybeh. Même si l’armée israélienne augmente le nombre de soldats qui fliquent les permis des travailleurs palestiniens ou agrandit de quelques mètres vers la droite ou vers la gauche les clôtures de la cage, la question fondamentale demeure : qui va obliger Israël à cesser son occupation, à démolir ses murs, ses clôtures, et mettre fin à ces situations horribles et répétitives ?

Combien de temps faudra-t-il avant que travailleurs palestiniens ne renversent les clôtures et les soldats qui contribuent à cette torture collective et quotidienne de centaines de milliers de Palestiniens ?

Et pour le reste d’entre nous, allons-nous continuer à tolérer ce débat banal : un côté qui justifie l’action d’Israël, parfois au nom de Dieu et de son « peuple élu » et à d’autres moments au nom de la « sécurité, et un autre côté qui reste partagé entre la promotion de la victimisation palestinienne comme une fin en soi - sans beaucoup de compréhension des véritables fondements politiques - et le profond désir de réaliser des actes concrets de solidarité en faveur de Omar et de son père ?

Omar a finalement été réveillé par son père dans les tourments, qui avait réussi à produire l’original du certificat de naissance de l’enfant (une copie, dit Fleishman, n’est pas acceptée), et tous deux, après une longue attente, ont été autorisés à rentrer chez eux à Gaza juste avant l’heure de fermeture d’Erez. Mais aujourd’hui c’est un autre Omar qui doit être en train d’attendre quelque part à un poste de contrôle, l’original de son certificat de naissance à la main, accompagné par un parent mort d’inquiétude et qui invoque le sens moral d’un soldat qui en est de toutes façons totalement dépourvu.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr

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25 février 2014 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/o...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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