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Sharon a laissé la plus sanglante des marques en Palestine

samedi 18 janvier 2014 - 06h:28

Yousef Munayyer

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Le legs de Sharon, ce sont les honteuses destructions non seulement de maisons et de vies des Palestiniens, mais du processus de paix lui-même.

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1955 : Sharon donne ses ordres à l’unité 101, ramassis de criminels, responsables du massacre de Qibya en 1953, et véritable "escadron de la mort" - Photo : AFP

Il y a peu d’individus dans l’histoire moderne d’Israël/Palestine dont les actions ont été aussi uniformément destructrices que celles d’Ariel Sharon. Sharon, décédé le 11 janvier, avait été impliqué dans la machine de guerre israélienne dès 1948. Il était connu pour son comportement de tueur sur le champ de bataille, avec une totale indifférence à l’égard des vies civiles. Maintes et maintes fois, Sharon a laissé certaines des marques les plus ensanglantées sur l’histoire de la Palestine.

Peut-être l’exemple le plus ancien dans cette inclinaison a été ce qui s’est passé à Qibya en 1953. Qibya était un village Palestinien en Cisjordanie, situé près de la Ligne Verte. Dans une attaque israélienne sur le village et conduite sur le terrain par Sharon, un grand nombre de maisons ont été détruites alors que leurs habitants étaient toujours à l’intérieur. Cette agression s’est soldée par un véritable massacre avec 69 Palestiniens assassinés, essentiellement des femmes et des enfants.

L’attaque fut universellement condamnée, et Israël s’est démené pour limiter les dommages causés à son image à la suite de ce massacre. Les Nations Unies ont condamné la tuerie et le Département d’État des États-Unis a déclaré que les responsables « devaient être arrêtés pour être jugés et que des mesures efficaces devraient être prises pour empêcher de tels incidents à l’avenir ». Pourtant, aucun des responsables n’a été inquiété. Cette culture d’impunité sera un thème récurrent, non seulement dans l’histoire israélienne mais dans l’histoire de Sharon en particulier.

Le massacre de Qibya ne faisait que présager ce à quoi il fallait s’attendre de la part de Sharon.

L’ignorance éhontée de Sharon pour la vie des civils s’est le plus affirmée en 1982 lors des massacres dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila au Liban. Israël, qui avait alors envahi et occupé le sud du Liban, contrôlait totalement le secteur. Les Phalangistes libanais, alliés d’Israël, sont entrés dans les camps et ont commis des massacres à grande échelle dans la population civile palestinienne, alors que les forces israéliennes gardaient le périmètre. Sharon, alors le Ministre de la Défense, était à nouveau au centre d’un massacre de Palestiniens.

En toute impunité

Une commission israélienne conduite par le président de la cour suprême israélienne, Yitzhak Kahan, est arrivée à la conclusion que les forces israéliennes étaient indirectement responsables du massacre, et que Sharon lui-même devait en endosser la responsabilité personnelle - car il savait pertinemment ce qui se produirait quand la décision a été prise de faire entrer les phalangistes dans le camp.

Selon les recommandations publiées par la commission Kahanet qui ont été acceptées par le cabinet israélien, Sharon devait être exclu du cabinet du bureau et se voir interdire toute position ministérielle à l’avenir. Le premier ministre israélien du moment, Menachem Begin, a refusé d’écarter Sharon tandis que celui-ci refusait de démissionner. Suite aux protestations, Sharon a quitté le ministère de la Défense mais est resté dans le cabinet en tant que ministre sans portefeuille.

Sharon avait déjà échappé à toute obligation de rendre des comptes pour le massacre de Qibya et, en dépit des lourdes critiques concernant son rôle dans les massacres de Sabra et de Chatila, la carrière publique de Sharon ne s’est pas interrompue.

Après s’être contenté d’un rôle de second plan pendant plusieurs années, puisque le parti du Likoud était mené par Begin, Yitzhak Shamir et plus tard par Benjamin Netanyahu, Sharon est par la suite revenu au premier rang de la vie politique israélienne et a fait campagne pour le poste de Premier ministre en 2000. Alors qu’il était en campagne électorale, le Premier ministre israélien en fonction, Ehud Barak était dit-on, en train de négocier sous la houlette du Président américain Bill Clinton avec Yasser Arafat, Président de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

Dans une escalade visant à attaquer Barak pour ce que les Israéliens de droite considéraient comme un acte blasphématoire en étant en pourparlers avec des Palestiniens, Sharon a organisé une visite totalement provocatrice à Haram Al-Sharif - l’Esplanade des mosquées - à Jérusalem, accompagné d’une escorte armée et massive le 29 septembre 2000. Cette initiative, destinée à enflammer les tensions et à attaquer son adversaire Barak qui était engagé dans le ainsi-nommé « processus de paix », a soulevé la colère des Palestiniens et des musulmans du monde entier et des affrontements ont éclaté, se transformant par la suite en deuxième Intifada palestinienne.

Les Palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël se sont associés aux protestations contre la visite de Sharon et l’occupation israélienne, en revendiquant la terre de Palestine. Ils ont été rapidement et brutalement réprimés par la police Israélienne, laquelle n’hésita pas à tirer sur les foules rassemblées avec des munitions de combat, tuant 13 Palestiniens et en blessant près d’un millier. Sharon était parvenu à verser de l’essence sur les braises brûlantes de l’occupation et de la discrimination, des deux côtés de la Ligne Verte.

Un mandat pour détruire

Les élections israéliennes qui devaient suivre et les soulèvements à la suite de la visite de Sharon ôtaient toute chance de progrès à un « processus de paix » déjà mal en point. Quoique des discussions aient été programmées pour être menées à Taba en 2001, trop de paramètres faisaient en sorte que n’importe quelle partie n’investisse dans le processus à ce moment particulier. C’était alors - et en dépit de la recommandation qu’il ne devrait plus jamais tenir une position ministérielle après Sabra et Chatila - que Sharon a été élu en tant que Premier ministre d’Israël.

Son gouvernement, tout comme son histoire qui a précédé, a été caractérisé par les destructions et les violations du droit international. Il était à la tête de l’État dans la période la plus significative de l’expansion coloniale israélienne - illégale au regard du droit international - après l’ère de Begin. En plus de la construction des colonies israéliennes, il a veillé personnellement à la généralisation des destructions punitives des maisons palestiniennes. C’était sous son mandat en tant que Premier ministre qu’a été établie la politique de démolition des maisons des familles des Palestiniens impliqués dans des attaques contre des Israéliens. Cette politique a été condamnée par Human Rights Watch et Amnesty International comme une pratique de punition collective, ce qu’interdit formellement le droit international.

Plus tard dans son gouvernement et peu avant d’être victime d’une attaque cérébrale, Sharon a pris la décision de retirer de façon unilatérale les colons israéliens de la Bande de Gaza. Le retrait d’environ 5000 colons vivant au milieu de 1,5 million de Palestiniens tenait à des mathématiques simples pour Sharon. Les coûts de protection d’un nombre aussi restreint de colons parmi tant de Palestiniens, sur un morceau de territoire si réduit, étaient de loin supérieurs à tous les avantages de la présence sur place de ces mêmes colons. De plus, la manœuvre pourrait être défendue comme une concession faite par Israël aux Palestiniens.

Bien évidemment, le départ des colons israéliens de Gaza n’a pas fait avancé le processus de paix. Bien au contraire, cela a servi à le geler totalement et selon un des principaux conseillers de Sharon, c’était précisément ce qui était voulu. « L’importance de notre plan de dégagement, c’est qu’il congèle le processus de paix. Il fournit l’écran de fumée nécessaire pour qu’il n’y ait plus aucun processus politique avec les Palestiniens, » déclara alors Dov Weisglass, l’un des conseillers de Sharon. « Si vous gelez le processus, vous empêchez la mise en place d’un État Palestinien, » ajouta-t-il. « Effectivement, tout le paquet appelé État palestinien, avec tous ses accessoires, a été enlevé pour toujours de notre ordre du jour. »

La nature unilatérale du retrait impliquait que la coordination de sécurité avec l’Autorité palestinienne (AP) ne se ferait jamais. L’AP dirigée par le Fatah s’est retrouvée dans l’incapacité de combler un vide de pouvoir laissé par les Israéliens dans un secteur où le Hamas était très populaire. Les événements pendant les années qui ont suivi, avec l’ascension politique et l’élection du Hamas puis leur prise de contrôle dans Gaza, et enfin l’expulsion de l’AP dirigée par la Fatah, ont eu pour résultat que la Cisjordanie et Gaza, les deux territoires d’un État Palestinien potentiel, étaient séparés comme jamais auparavant. Israël continuerait ensuite à exploiter cette situation comme excuse pour ne pas faire la paix.

Le legs de Sharon est un legs ensanglanté, et il a fait bien plus pour détruire la paix que pour la favoriser.

Le retrait de Gaza a été de façon erronée interprété comme un geste de bonne volonté reflétant une véritable évolution dans la pensée de Sharon, mais la réalité était aux antipodes.

L’ancien Président des États-Unis, George W Bush, a soulevé beaucoup de critiques quand il a par le passé qualifié Sharon d’« homme de paix ». Mais un de ses prédécesseurs, le Président Ronald Reagan, a décrit Sharon avec bien plus de pertinence dans son journal intime en 1982, le présentant comme « un sale type qui apparemment attend avec intérêt une guerre ».

Dans une vie caractérisée par la violence et le meurtre, Sharon a le plus souvent obtenu exactement ce qu’il recherchait, et c’était tout sauf la paix...

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* Yousef Munayyer est directeur général du Jerusalem Fund et de son programme éducatif :The Palestine Center

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- Quatre heures à Chatila - Revue d’Études Palestiniennes - Jean Genet

11 janvier 2013 – Al-Jazeera – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu – Claude Zurbach


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