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Madiba le révolutionnaire

dimanche 8 décembre 2013 - 07h:43

Simon Hooper – Al Jazeera

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Le leader sud-africain incarnait une figure politiquement bien plus complexe que ce qui est généralement imaginé par ses admirateurs en Occident.

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"Madiba" Nelson Mandela

Nelson Mandela sera principalement célébré pour la dignité avec laquelle il a émergé sur la scène mondiale après des décennies en prison, et pour sa capacité à pardonner à ses anciens ennemis tout en forgeant l’Afrique du Sud démocratique et multi-raciale, et en rompant avec l’héritage empoisonné de l’apartheid.

En tant qu’homme d’Etat d’une stature mondiale, séduisant et sachant faire preuve d’humilité, il a longtemps été perçu par les dirigeants occidentaux comme le symbole de l’histoire irrésistible d’une victoire sur la tyrannie. Pourtant Mandela, qui est mort le 5 décembre à l’âge 95 ans, était également quelqu’un de bien plus radical et politiquement bien plus complexe que ce qui a généralement été accepté par ses admirateurs occidentaux.

Alors qu’il n’était qu’un jeune homme, il a entretenu des liens étroits avec le Parti Communiste sud-africain et a voulu préparer un soulèvement armé en s’inspirant de la révolution de Fidel Castro en 1959 à Cuba.

Pour beaucoup de ceux qui ont suivi sa vie de près, cet engagement aux valeurs socialistes et sa solidarité instinctive avec ceux qu’il considérait comme des combattants contre l’oppression, le colonialisme et l’impérialisme, ont continué à l’animer même durant les années qui ont suivi sa libération de prison et la fin de l’apartheid.

« Il est sorti de la prison comme un homme d’Etat potentiellement de grande stature, alors qu’il y était entré comme chef révolutionnaire militant, » a déclaré Peter Hain, un vétéran de la lutte contre l’apartheid et ami de Mandela. « C’était un puissant combattant de la liberté, apprenant comment se servir d’une arme en Ethiopie et voyageant dans l’Algérie révolutionnaire et d’autres pays alors qu’il vivait dans la clandestinité. Nous ne devons ne jamais oublier qu’il était un combattant de la liberté. »

Jeune révolutionnaire

Stephen Ellis, un professeur d’Histoire africaine au Centre d’Études Africaines aux Pays-Bas, pense que beaucoup de ceux qui n’ont qu’une connaissance assez vague de la lutte de Mandela contre l’apartheid, ne se rendent tout simplement pas compte de son radicalisme et de son engagement, alors qu’il était jeune, pour les moyens violents.

Mandela a toujours nié s’être converti au communisme par intérêt. Mais Ellis, dans son dernier livre : External Mission : The ANC In Exile, prétend avoir découvert la preuve documentaire d’une autre version, suggérant que Mandela était plus intéressé à gagner l’appui de Moscou ou de Pékin, qu’à devenir un « communiste de coeur et d’esprit ».

« Si vous parlez à des libéraux américains, ils pensent que Mandela était Martin Luther King, » dit encore Ellis. « Si vous dites,’Non, Mandela a commencé sa carrière comme un guérillero, il était un communiste, il a fait ceci, il a fait cela...’, ils n’y comprennent plus rien. Ils ne savent tout simplement pas de quoi vous parlez. »

Mais alors qu’il était Président sud-africain de 1994 à 1999, Mandela devait contrarier ses amis occidentaux en exprimant sa solidarité avec des dirigeants tels que le cubain Fidel Castro et le libyen Muammar Gaddafi, aussi bien que par sa profonde solidarité avec les Palestiniens dans leur lutte pour un État.

En 1998, à l’occasion d’un banquet en l’honneur de Yasser Arafat, alors président de l’Autorité palestinienne, Mandela déclara : « Vous venez en tant que dirigeant d’un peuple qui a partagé avec nous l’expérience de la lutte pour la justice. Maintenant que nous avons gagné notre liberté, nous n’avons pas oublié nos amis et alliés qui ont su nous aider. »

Visitant la Libye une année plus tôt, Mandela avait salué Gaddafi en l’embrassant sur chaque joue et en disant : « Mon frère leader, mon frère leader, quel plaisir de vous rencontrer. »

Pourtant c’était la révolution cubaine qui avait la place la plus élevée dans son coeur, un lien rendu encore plus fort par sa longue amitié avec Fidel Castro. Lors d’une visite dans l’île des Caraïbes en 1991, Mandela rendit un hommage appuyé à Che Guevara, qualifiant ses exploits révolutionnaires de « trop puissants pour que les geôliers et les censeurs puissent les dissimuler à nos yeux. La vie du Che est une source d’inspiration pour tous les êtres humains qui chérissent la liberté. »

David James Smith, auteur de Young Mandela, dit de son côté : « Il a été tout d’abord inspiré par la révolution à Cuba. Il étudiait ce qui se passait à Cuba en vue de s’en servir comme modèle pour l’action révolutionnaire en Afrique du sud. »

La gratitude de Mandela s’est étendue à d’autres membres du bloc des nations communistes qui avaient soutenu la lutte contre l’apartheid. Dans un discours prononcé en 1991, il choisit l’Union Soviétique, l’Allemagne de l’Est et la Chine pour une mention spéciale, alors même que le paysage politique de l’Europe de l’Est était remodelé à la suite de la Guerre Froide, et en dépit de la répression par Pékin des manifestations pro-démocratiques de 1989.

Déconnecté

Ellis estime que Mandela, dont la vision du monde était à la base formée par les luttes nationales de libération et les tensions de la Guerre Froide dans les années 1950, était plutôt déconnecté du monde dans lequel il s’est retrouvé en sortant de prison en 1990.

Dans un discours qui suivit sa libération, Mandela réitéra l’engagement de l’ANC (African National Congress) pour la nationalisation des banques, des mines et des industries à un moment où l’idéologie du marché libre balayait tout devant elle.

« Il y eut des réactions horrifiées car personne, même à gauche, ne préconisait plus en 1990 l’étatisation de l’industrie. C’était associé par tous à un genre de socialisme qui avait échoué, » explique Ellis. « Il n’avait pas une connaissance claire du monde contemporain. Avant qu’il ne soit jeté en prison il était très pro-soviétique. Quand il en sortit, le monde avait changé et il avait du mal à intégrer cette idée. »

Par conséquent, selon Ellis, l’ANC de Mandela l’a progressivement écarté du gouvernement et de la conduite des affaires, alors même qu’il était président de l’Afrique du sud.

Ils ont préféré exploiter sa stature morale et son charme notable pour pousser à l’unité dans l’ANC très divisée et dans la société sud-africaine dans son ensemble, et aussi dans le but de collecter des fonds et faire de la publicité en le faisant poser avec Naomi Campbell et les Spice Girls.

Mais Mandela, même après quitté ses responsabilités en 1999, est resté terriblement franc et direct en condamnant ce qu’il considérait comme un impérialisme occidental flagrant. En 2003 il a fustigé les États-Unis et le Royaume-Uni pour « vouloir maintenir le monde sous leur coupe » lors de leur intervention militaire au Kosovo en 1999 et lors de l’invasion de l’Irak, en suggérant même que la volonté de miner les Nations Unies pouvait être motivée en partie par la désignation d’un africain noir, Kofi Annan, au poste de Secrétaire général.

Il invita également les citoyens des États-Unis à descendre dans la rue pour empêcher une attaque de l’Irak, accusant le Président George W. Bush de vouloir « plonger le monde dans un holocauste ».

« S’il y a un pays qui a commis des atrocités indescriptibles dans le monde, c’est les États-Unis d’Amérique, » ajouta-t-il.

Hain, alors ministre dans le gouvernement britannique de Tony Blair, se rappelle, alors qu’il avait Mandela au téléphone, ne jamais l’avoir entendu dans une telle colère au moment de l’invasion de l’Irak.

« Il était très fâché et très inquiet » se souvient Hain. « Mais j’ai très bien compris pourquoi : c’était un homme de principe. Il n’hésitait pas à offenser les Bill Clinton et Tony Blair, pas plus qu’il n’hésitait à dire à Fidel Castro : « Je vous remercie de nous avoir soutenus », tout en visitant Cuba, ou à faire la même chose avec Gaddafi en Libye. »

David James Smith est persuadé que Mandela aurait été profondément désolé des efforts déployés pour le « dé-radicaliser » ou pour édulcorer son héritage en le dépeignant juste comme quelqu’un d’inspiré et de conciliant.

« Beaucoup de personnes dans son entourage estiment qu’il s’est dévalué en usant trop de sa célébrité, » explique Ellis. « Il a incarné un anti-racisme très ferme, des valeurs anti-impérialistes et anti-colonialistes. Oui, il traitera avec l’Occident, mais idéologiquement il sera toujours et en priorité du côté de Fidel Castro et des leaders de l’indépendance en Afrique. En premier lieu, il était un africain noir et c’est là que se trouvaient son coeur et le fondement de sa politique. »

Nelson Mandela avait eu très tôt des liens étroits avec le Parti Communiste d’Afrique du Sud – Photo : AFP

6 décembre 2013 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/fe...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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