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Un impossible dialogue : le choix du Yémen

mardi 10 décembre 2013 - 05h:26

Ramzy Baroud

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Il y a peu de chances que des élections se tiennent au Yémen en février prochain. Mais sans élections, l’élan en faveur des réformes et du changement inspiré par la révolution yéménite sera privé de toute valeur réelle. Les Yéménites se retrouveront dans la rue, réitérant leurs revendications initiales qui feront écho dans les multiples villes paupérisées du pays, à chaque coin de rue.

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Manifestation dans la ville de Taiz, qui fit plusieurs blessés graves (AP Photo/Hani Mohammed)

Il n’est guère aisé de naviguer dans les méandres labyrinthiques de la politique yéménite, qui semble perpétuellement en état de crise. Lorsque des millions de Yéménites sont descendus dans la rue le 27 janvier 2011, l’espoir a germé : le Yémen allait passer d’un état dirigé par des élites et largement redevable à des puissances étrangères, régionales et internationales, à un pays d’un genre différent, un pays qui réponde aux aspirations collectives de son propre peuple.

Au lieu de cela, après une longue impasse qui plaqua la majorité du pays et de ses représentants contre l’ancien président Ali Abdallah Saleh et ses adeptes, les pays du Golfe négocièrent un accord de transfert de pouvoir. L’accord écarta Saleh mais pas sa famille et leurs partisans.

Le Président par intérim Mansour Hadi, élu en 2012 pour guider la transition de deux ans, n’a guère remédié à la situation, n’étant pas un révolutionnaire. Il n’en semblait pas moins sincère dans sa tentative de restreindre l’influence prédominante de Saleh sur tant d’institutions du pays, mais cela est loin d’avoir suffi.

Les partisans de Saleh sont toujours puissants et l’ancienne classe dirigeante lutte pour récupérer leur pertinence et leur influence. C’est le résultat d’une combinaison entre paupérisation grimpante et impuissance à traduire aucune des revendications de la révolution en solutions tangibles pour les classes pauvres et marginalisées du pays.

La cible des partisans de Saleh est la Conférence Nationale de Réconciliation (CNR)

Celle-ci avait convenu le 18 mars de rechercher un terrain commun entre toutes les composantes de la société yéménite, de rédiger une nouvelle constitution et d’organiser des élections nationales. Les 565 membres de la Conférence se sont rendu compte que leurs différences étaient trop nombreuses pour être transcendées. Exploitant les malheurs politiques du Yémen, les divisions claniques et sectaires, l’ancien régime s’est servi de ses propres représentants à la CNR et a pesé sur les médias pour faire capoter le processus.

Devant le Conseil de sécurité, l’émissaire de l’ONU au Yémen sonnait l’alarme en novembre dernier sur le retour mis en scène. Selon une déclaration à la presse lue par le Président du Conseil de sécurité le 28 novembre, il y a « une campagne de presse malveillante, incessante et grassement subventionnée » pour saper Hani afin qu’il ne prolonge pas son mandat ou quitte son poste. Ces éléments seraient devenus « une source permanente d’instabilité ».

Le dialogue lui-même a été élargi, sans que rien ne montre un progrès concret. Pire, 85 délégués représentant le Sud-Yémen – qui était un Etat séparé jusqu’en 1990 - ont décidé de quitter définitivement la Conférence. Le mouvement séparatiste du sud a pris énormément d’ampleur ces derniers mois. Le pays est plus vulnérable que jamais auparavant.

Si Hadi s’en va, le vide politique pourrait déclencher une autre lutte de pouvoir. S’il reste en prolongeant le terme de son mandat, le dialogue risque de faiblir encore davantage. Il ne peut y avoir de situation gagnant-gagnant, du moins pas pour le moment.

Si l’on prend en considération que Benomar lui-même a joué un rôle-clé dans la période de transition actuelle, sa lecture sombre de la situation au Yémen en est encore moins encourageante.

Comme les pourparlers capotent et que les perspectives de compromis sont au plus bas, le mouvement séparatiste du sud Al-Hirak continue son ascension. Il n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis le 12 octobre, quand des dizaines de milliers de Yéménites sont descendus dans les rues d’Aden, exigeant avant tout la sécession d’avec le nord.

Ce qui se passe ces jours-ci au Yémen est en contraste total avec l’esprit collectif qui animait les rues du pays il y trois ans à peine. En janvier 2011, une vaste protestation éclatait dans la capitale Sana’a, exigeant des réformes immédiates dans la politique corrompue, le népotisme et le clientélisme clanique du pays. En une semaine, le reste du pays se joignait à la demande initiale de réformes. Le 3 février, Sana’a et Aden se retrouvaient unis sous un même drapeau. Un jour absolument historique, puisque les deux villes avaient naguère été les capitales de deux pays en guerre.

La jeunesse yéménite a été brièvement capable de jeter un pont sur l’abîme que ni les politiciens ni les généraux n’avait su combler malgré plusieurs accords et des années de conflits sanglants. Mais ce triomphe collectif du peuple yéménite ne fut ressenti que par la rue, écrasée par la pauvreté et le dénuement, mais aussi poussée par l’espoir. Ce sentiment ne s’est jamais vraiment traduit en une victoire politique nette, même après la destitution de Saleh en février 2012.

L’accord sous médiation des états du Golfe et sous les auspices de l’Onu et d’autres acteurs internationaux a privé la révolution de son euphorie. Il a simplement détourné l’attention du mouvement populaire massif qui avait enflammé la rue pendant des mois, permettant aux politiciens, aux délégués des clans et autres élites toutes-puissantes soit de se servir de la CNR juste pour accomplir ses intérêts propres, que ce soit en gardant la main sur le pouvoir – comme c’est le cas du Congrès Général du Peuple (CGP) [parti de Saleh] – soit de rallumer les vieux espoirs de sécession. Le parti le plus proche des exigences collectives des Yéménites ordinaires était le Joint Meeting Parties (JMP) représentant l’opposition.

Cependant, un conflit ne tarda pas éclater entre membres du JMP même, spécialement entre Islah, Congrégation Yéménite pour la Réforme, plutôt islamiste et dont les partisans sont basés dans le nord, et le Parti Socialiste Yéménite (PSY), basé dans le sud.

Le Yémen une fois encore au bord du chaos

Etant donnée la défiance envers le processus même qui est censé mener le pays vers les réformes et la démocratie permanentes, et envers les représentants menant la transition, il ne faut pas s’étonner si le Yémen est une fois encore au bord du chaos.

L’unité du pays, accomplie en 1990 après d’âpres combats et une guerre civile entre un Sud-Yémen marxiste-léniniste et le Yémen du Nord, est à présent menacée. Il est tout aussi dangereux que le sud, bien que représenté par le parti Al-Hirak, universaliste, n’arrive guère à parler d’une seule et même voix.

Al-Hirak est divisé et semble quelquefois incapable d’adopter une position politique solide. A la suite d’une déclaration où il annonçait « se retirer complètement de la Conférence, tenant pour responsables de cette décision tous les partis qui ont mis des obstacles sur notre chemin », une autre déclaration également attribuée à Al-Hirak, sortait le 28 novembre pour nier la sortie et affirmer que le mouvement du sud restait engagé dans le dialogue national », rapporte Asharq Al-Awsat.

Au Yémen, les divisions sont nombreuses et croissantes, permettant à l’ancien régime de retrouver une fois encore des moyens de gouverner le pays. Il pourrait aisément se requalifier de parti capable d’unir tous les Yéménites et de sauver le Yémen de la faillite économique complète et de la désintégration.

S’ils restaient responsabilisés par l’esprit de leur révolution qui a sous-estimé la résilience et la discipline d’une des nations les plus pauvres au monde, les Yéménites pourraient se retrouver dans la rue pour revendiquer la liberté, la démocratie, la transparence et davantage encore, toutes exigences dont aucune n’a été accomplie, près de trois années plus tard.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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4 décembre2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert


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