La commission présidée par l’ancien juge Eliahou Winograd publiera le 30 avril son rapport sur les ratés de la guerre au Liban. Nombreux sont ceux qui parient sur la chute du gouvernement Olmert. Mais pas le quotidien Ha’aretz.

Qu’il entre ou non dans l’histoire comme celui qui a fait chuter le gouvernement d’Ehoud Olmert, le rapport de la commission Winograd s’inscrit dans les efforts confus déployés par Israël pour remettre tant bien que mal un peu d’ordre dans le pays. A dire vrai, le Premier ministre a bien besoin de rentrer chez lui. Dans l’ambiance de scepticisme qui règne dans le pays, alourdie par les enquêtes de police, les investigations du contrôleur d’Etat et la déliquescence du système politique, il est totalement absurde que le sort de la direction de l’Etat hébreu soit mis, la semaine prochaine, à la merci du manque de sagacité et des man ?uvres d’un homme politique isolé et assiégé.

Ehoud Olmert

Les observateurs politiques du gouvernement Olmert, amis ou ennemis, en tireront des conclusions variées. Il est sans doute un peu tard pour le dire, mais la conduite de la commission et de certains de ses membres mériterait, elle aussi, une enquête. Toutefois, l’influence des conclusions du rapport Winograd ne pâtira pas des soupçons qui pèsent sur les prises de position de certains membres de la commission. Tout reposera sur les gros titres de la presse et sur le tapage médiatique qui sera fait autour des détails : c’est ce que l’opinion publique retiendra du rapport. Les communiqués et déclarations qui seront publiés par la suite intéresseront vivement tous ceux qui aiment s’attarder sur le passé.

Il y a une autre raison à l’inutilité de la loterie Winograd. Lorsque la commission aura bouclé son enquête, tout sera terminé. Même si les dirigeants d’Israël sont jugés coupables, la suite logique de ces événements n’est tout simplement pas envisageable : il n’y aura pas d’élections, parce que le gouvernement dont l’action est passée en revue refuse de remettre son mandat en jeu.

C’est bien sûr là la meilleure défense du Premier ministre. Que pourraient-ils bien lui faire, même si la commission rendait un verdict extrêmement sévère ? Le guillotiner en place publique ? Ses avocats vont pouvoir arguer à juste titre d’un vice de forme, car ni Ehoud Olmert ni aucune des autres personnes faisant l’objet de l’enquête n’ont reçu de lettre d’avertissement, comme l’exige pourtant la législation. Et si aucun appel à la démission n’est prononcé, où les détracteurs de la commission iront-ils exposer leurs griefs ? Devant la Haute Cour ? Dans des talk-shows tapageurs ?

Il est étrange, en effet, qu’après tout le battage autour des enquêtes, l’issue de l’affaire s’annonce aussi tiède, quand bien même le rapport Winograd adopterait une position de grande fermeté. Si l’affaire se conclut ainsi, nous n’aurons vécu qu’un énième chapitre de l’histoire des soubresauts politiques en Israël, qui surviennent toujours en retard et jamais quand on en aurait besoin.

Nous n’avons donc pas grand-chose à attendre de la commission Winograd. Même si elle fait des vagues, l’écume ne tardera pas à disparaître. Ses conclusions iront exactement là où elles ont toujours échoué. Il ne s’est jamais rien produit, pas plus après la dernière guerre que les autres fois. Elles sombreront dans le trou noir de la rue israélienne, où les citoyens bougonnent mais ne font rien et se montrent vaguement critiques jusqu’à ce qu’ils hument à nouveau l’odeur du barbecue et qu’un accès de patriotisme naïf ne les prenne alors même que la crise fait ployer tout le pays - un symptôme de cécité qui s’explique par quelques mots d’une chanson : "Nous n’avons pas d’autre pays."

Gideon Samet - Ha’aretz, via Le Courrier international, le 28 avril 2007
Version anglaise : The Winograd lotto

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