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Amour et résistance : Shafik Kabha, chanteur palestinien, 1960-2013

lundi 18 novembre 2013 - 14h:42

Louis Brehony

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L’un des chanteurs palestiniens les plus aîmés, Shafik Kabha, a été assassiné le 22 octobre, alors qu’il s’en retournait chez lui après avoir chanté dans un mariage à Umm al Fahm.

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Shafik Kabha,1960-2013

Shafik était âgé de 53 ans. Il était connu pour son ferme et ardent soutien pour la cause Palestinienne, pour laquelle il n’a cessé de confirmer avec bravoure qu’il était un Palestinien de 48, forcé de vivre sous un régime d’apartheid appliqué par l’état Israélien.

Son approche musicale et artistique était diversifiée, moderne et extrêmement habile. Il a refusé de laisser les obstacles se mettre en travers de son chemin et a chanté des hymnes pour une Palestine libre, partout où il passait.

Shafik Taqfiq Kabha est né le 24 septembre 1960 dans la ville arabe de Kafr Qara située à une trentaine de kilomètres au sud de la ville de Haifa. Dans la lignée de plusieurs chanteurs arabes techniquement doués, notamment Oum Kalthoum, Shafik a appris très jeune à réciter le Coran. Il a rejoint son premier groupe à l’âge de 16 ans et a gagné rapidement en popularité. Il s’est produit dans les mariages et ses performances exaltantes lui ont acquis une solide réputation. Il a produit plus de 10 albums célèbres, avec plus de 100 cassettes de ses spectacles en direct. Shafik a été acclamé par certains comme un vrai chanteur représentant tous les Palestiniens, jouissant d’une large popularité à Gaza, en Cisjordanie et en Galilée.

Sur le plan musical, Shafik a réussi à créer un équilibre en mélangeant le traditionnel et le moderne inspiré par l’Occident, utilisant souvent des instruments à claviers, des guitares et une batterie dans de nouveaux arrangements de chansons traditionnelles du Moyen-Orient.

Au fil des décennies qui ont suivi la Nakba de 1948, les chanteurs Palestiniens ont repris ces chansons comme des hymnes qui représentent les aspirations nationales à l’indépendance et au retour. Quant à Shafik, il a chanté des versions réactualisées et revisitées de grands succès, à l’instar de Zareef al Tool, c’est-à-dire Le grand bel homme, une chanson qui implore et supplie le voyageur de retourner chez lui, dans sa patrie. Le nouveau style de musique Mijwiz (nommé d’après une flûte de roseau qui porte le même nom) a combiné des instruments à claviers puissants et décorés joués avec un style de chant fortement influencé par des voix populaires de la région.

Beaucoup ont vu dans la façon de chanter de Shafik des similitudes avec des chanteurs populaires irakiens, comme Nazem al Gazaly, pourtant son message était on ne peut plus clair : la Palestine. Il a chanté : « La liberté est la nôtre, et nous la recouvrerons…Ô Palestine, appelle tous les amoureux et incite-les à retourner sur ton sol pur »

Je connais un joueur de Oud Palestinien qui s’appelle Nizar Rohana. Il m’a dit : « Shafik est une icône pour bon nombre de Palestiniens. Il a joué un rôle majeur dans la préservation et la diffusion des chansons et rythmes populaires palestiniens. »

Beaucoup de musiciens palestiniens ont en effet trouvé dans la préservation de leur culture opprimée un acte politique. Shafik appartient à une famille qui, à l’instar d’autres familles palestiniennes, est restée en Galilée après 1948. En tant que fils d’une famille palestinienne, il a dû faire face à la stigmatisation de l’« Arabe israélien. »

Une amie de la famille, Sana Fayez, raconte comment le défunt a été arrêté par les Israéliens parce qu’il avait chanté pour l’État Palestinien et pour les fedaeen (la résistance armée) : « A cause de ses chants nationalistes et révolutionnaires fougueux, Israël lui a interdit de se produire en Cisjordanie pendant 10 ans. Mais en raison de son statut de citoyen israélien, Shafik s’est heurté à d’énormes obstacles l’empêchant de chanter au-delà des frontières, c’est-à-dire en Jordanie et en Égypte ; des pays dont le boycott d’Israël, par le passé, a impliqué le boycott des Palestiniens qui n’avaient d’autre choix que de détenir des passeports israéliens. Durant la Première Intifada déclenchée à la fin des années 80, Shafik fut interdit de chanter en Égypte et a été renvoyé chez les par les autorités égyptiennes. Ironie du sort, ces mêmes pays ont à maintes reprises défendu Israël, l’exemple le plus frappant étant la collaboration égyptienne dans le blocus sur Gaza.

Shafik traitait des manœuvres politiques d’Israël et de ses alliés avec une langue acérée et un grand sens de l’humour. Il a qualifié le dictateur égyptien Hosni Moubarak, soutenu par l’Occident, « le seul homme politique qui respecte le droit international - puisqu’il respecte les accords qu’il a signés avec sa bien-aimée d’Israël. »

Malgré les énormes obstacles qui se dressaient sur ​​son chemin, Shafik n’a jamais renoncé à son message en faveur de l’indépendance, en chantant des chansons d’amour et de politique. Il pouvait chanter de la chaleur d’un mariage, mais aussi des « mains glacées » de l’occupation israélienne du Golan, et il avait salué les habitants de Gaza pour leur lutte courageuse.

La mort du défunt chanteur a suscité les hommages de tout le spectre musical. Tamer Nafar du groupe de rap DAM, a déclaréque la tragédie était « l’une des choses les plus tristes que j’ai jamais vécues. » Saïd Mourad, fondateur de l’orchestre palestinien Sabreen, a déclaré que : « Certaines personnes sont des créateurs et c’est leur mission d’apporter de nouvelles choses à la vie. Et quelques autres gardent vivants nos traditions et l’histoire. Shafik était un de ceux qui ont gardé notre âme vivante. » Le compositeur et joueur de oud Issa Boulos, a rendu hommage à un « grand artiste parti bien trop tôt. Malgré le fait que sa contribution et sa polyvalence marquent l histoire et l’évolution de la musique et de la chanson palestiniennes de manière profonde, Shafik avait encore beaucoup plus à offrir, et sa disparition est une perte énorme. Shafik signifiait beaucoup pour moi, j’ai adoré sa voix et son engagement dans les différents genres et styles qu’il a présentés et maîtrisés ... Sa capacité vocale était superbe et sa profonde compréhension des genres traditionnels, des dialectes, et des tonalités montrent comment ce maître a su voyager avec son voix et montrer comment « la chanson » peut transformer les communautés et influencer la façon dont les gens pensent et perçoivent l’art . Il nous manquera , mais il restera en vie comme un important point de référence bien après sa mort ».

Quelques heures seulement après avoir chanté lors d’un mariage à Umm al Fahm, Shafik a été abattu de quatre balles par des assaillants non identifiés à motocyclette, apparemment en le prenant par surprise à un croisement à l’entrée de la ville, avant de s’enfuir loin de la scène. Il a été transporté à un centre médical local dans un état critique puis a été déclaré mort peu de temps après. Il laisse derrière lui une femme et quatre enfants et il était connu comme un homme chaleureux qui avait de bonnes relations avec tous ceux qui le connaissaient. Selon sa fille Faten, Shafik était un artiste infatigable, jouant 250 spectacles par année et qui avait largement mérité sa réputation de « gardien du patrimoine et du folklore de la Palestine. »

[Toutes les citations venant de musiciens dans cet article ont été communiquées directement à l’auteur. ]

* Louis Brehony est un musicien et militant de Manchester, en Grande-Bretagne. Il prépare actuellement des travaux de recherche pour un livre à venir sur la musique palestinienne.

10 novembre 2013 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/o...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib & Niha


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