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L’accord sur le programme nucléaire iranien risque d’être torpillé

mercredi 13 novembre 2013 - 07h:23

Julian Borger/Harriet Sherwood
The Guardian

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Un négociateur américain quitte les négociations pour aller rassurer le premier ministre israélien après que la France a torpillé toute tentative de conclusion d’un accord provisoire.

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Benjamin Netanyahu, au centre, et les membres du cabinet israélien réunis dans un kibboutz dans le désert du Néguev, s’alarment des négociations avec l’Iran.
Photo : Pool/Getty Images




Les progrès diplomatiques qui ont amené six ministres des Affaires étrangères à deux doigts d’un accord historique sur le programme nucléaire iranien risquent d’être torpillés avant que les négociateurs se retrouvent à nouveau ce mois-ci, ont prévenu dimanche des officiels et des analystes.

Voulant enrayer le risque, le chef négociateur américain, Wendy Sherman, a quitté les négociations dans un vol direct Genève/Israël, pour rassurer le gouvernement de Benjamin Netanyahu : l’accord envisagé ne nuira pas aux intérêts nationaux de son pays.

Ce voyage hâtivement préparé constituait un aveu du pouvoir de Netanyahu de bloquer un accord grâce à son influence au sein du Congrès américain et en Europe. Poussé par les Israéliens, le Sénat US s’apprête à voter de nouvelles sanctions qui menacent de torpiller les discussions avant même qu’elles ne parviennent à leur prochain round, dans dix jours.

Le secrétaire d’État, John Kerry, a déclaré dimanche que l’Amérique est assez sceptique quant à la volonté de l’Iran de démanteler son programme nucléaire et qu’elle maintiendrait les sanctions alors que se poursuivent les négociations.

«  Nous ne sommes pas aveugles et je ne pense pas que nous sommes stupides. Nous avons un sentiment assez fort de la façon dont nous pouvons apprécier si oui ou non nous agissons dans l’intérêt de notre pays et du monde entier,  » a affirmé Kerry lors d’une rencontre avec la NBC.

Plus immédiatement, Netanyahu a démontré au cours du week-end qu’il pouvait peser sur les discussions de Genève, de l’intérieur, grâce à sa relation avec Paris. Il est apparu qu’après un appel de Barack Obama, vendredi soir, lui demandant de ne pas s’opposer à l’accord envisagé à Genève, Netanyahu avait fait tout le contraire. Il a appelé le premier ministre britannique David Cameron, le président russe Vladimir Poutine, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français François Hollande, et leur a demandé de le bloquer.

Hollande, dont le gouvernement partage certaines inquiétudes d’Israël, a accepté. C’est l’opposition française qui finalement a saboté la conclusion d’un accord nucléaire provisoire, après trois jours d’intenses négociations, tôt dimanche matin, cependant Netanyahu n’a pas tardé à en revendiquer le mérite.

Netanyahu a dit à ses collègues du cabinet : « Je leur ai dit que d’après les informations en possession d’Israël, l’accord imminent est mauvais et dangereux – pas seulement pour nous mais pour vous aussi. Je leur ai demandé, pourquoi se précipiter ?, et je leur ai suggéré d’attendre et de prendre la question très au sérieux.

« L’accord, à la fois, fait monter la pression des sanctions qui ont mis des années à se mettre en place, et il laisse l’Iran avec ses capacités nucléaires et d’enrichissements intactes. Pas une seule centrifugeuse n’aura à être démantelée. Ce sont des décisions historiques. Je leur ai demandé d’attendre et je suis heureux qu’ils en aient décidé ainsi ».

Le barrage français a pris Washington par surprise. Il y a eu une première journée de discussions à Genève, jeudi, avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, la responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Catherine Ashton, et des diplomates de premier plan des États-Unis, du Royaume-Uni, de France, d’Allemagne, de Russie et de Chine, le groupe des six nations connu sous le nom de P5+1, qui mène les négociations nucléaires depuis 2006.

Il avait été convenu que si les discussions paraissaient proches d’un accord, Kerry, qui était au Moyen-Orient la semaine dernière, viendrait à Genève pour les pousser jusqu’à leur terme. Mais jeudi soir, les Iraniens lui ont forcé la main. Zarif a annoncé que les travaux sur l’ébauche d’un accord commenceraient le lendemain matin et les officiels ont déclaré à la presse que Kerry prendrait l’avion le jour même – mettant le secrétaire d’État au pied du mur. S’il était resté éloigné des discussions et que celles-ci échouent, on le lui aurait reproché. De toute manière, il a mesuré la possibilité d’une intervention personnelle, selon des officiels à Genève, mais il aurait préféré avoir le choix du moment et faire l’annonce lui-même.

Kerry ne s’est pas senti très à l’aise lors de sa rencontre avec Netanyahu à l’aéroport de Ben Gourion vendredi matin, au cours de laquelle le premier ministre israélien l’a sermonné sur les dangers d’un accord avec l’Iran qui lèverait les sanctions sans mettre fin au projet nucléaire. L’ambiance était si empoisonnée que les Américains ont opté pour une présentation commune à la presse.

Kerry a décollé de Genève, mais avant qu’il n’atterrisse, l’ébauche de l’accord faisait l’objet d’attaques publiques, venant d’ailleurs et plus inattendues. Le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait à une station de radio française que Paris n’accepterait pas « un jeu de dupes » – un jeu d’idiots, jetant le doute sur le moment où un accord pourrait être conclu.

Fabius n’a pas respecté l’accord demandant de ne pas discuter du contenu des négociations en public, et il a mis en avant ce que la France considérait comme des points de blocage : le réacteur à eau lourde de l’Iran sur le site d’Arak, et son stock d’uranium moyennement enrichi, qui sont des moyens alternatifs pour fabriquer une bombe. L’uranium à 20 % pourrait être facilement transformé en matériau de qualité militaire si Téhéran décidait de fabriquer une ogive, or l’Iran a refusé de l’expédier hors du pays. Les négociateurs avaient recherché un compromis comme sa dilution ou sa transformation en combustible pour réacteur à oxyde, ce qui rendrait plus difficile de l’enrichir davantage. Mais Paris s’est dit préoccupé par de telles options qui ne donneraient pas la même assurance que le stock ne servira pas un jour pour une bombe.

Le malaise de la France à propos d’Arak était même plus grand. Une fois opérationnel, le réacteur à eau lourde peut produire du plutonium avec son combustible consommé. Il devrait être au point l’année prochaine, et l’Iran a refusé d’arrêter la production, disant qu’il était essentiel de produire des isotopes pour la médecine, l’agriculture et pour d’autres recherches scientifiques.

Un compromis a été esquissé par les dirigeants US et iraniens qui autoriserait les Iraniens à continuer à tirer parti du réacteur au cours des six mois de l’accord provisoire, mais seulement pour le tester avec des barres de combustibles factices et de l’eau ordinaire.

Mais les Français et les Israéliens ont pensé que c’était une solution à trop haut risque, qui permettrait aux Iraniens d’arriver si près de l’achèvement qu’ils seraient en mesure d’introduire de l’uranium enrichi dans le réacteur avec un très court préavis et de mettre le monde devant le fait accompli. Une fois cela réalisé, bombarder le réacteur ne serait plus une option car cela enverrait un panache radioactif sur toute la région.

Kerry avait eu l’espoir de répondre aux réserves françaises à l’intérieur du P5+1, mais Fabius n’a pas voulu céder lors d’une session des ministres des AE qui s’est prolongée jusque tard samedi matin. Zarif a fait observer d’un air narquois que le P5+1 semblait avoir besoin de plus de temps pour négocier en son sein qu’avec l’Iran.

D’autres responsables occidentaux étaient furieux contre ce qu’ils considéraient comme une entorse française à l’unité jalousement entretenue du P5+1.

« Cela est en rapport avec les intérêts de la France dans le Golfe et le fait que Hollande se rende en Israël ce mois-ci, il ne veut pas que son séjour se transforme en cauchemar, » a déclaré un officiel. Les représentants français ont déclaré que le texte rédigé principalement par les États-Unis et l’Iran était substantiellement différent de celui discuté par le P5+1. « On y trouve deux processus parallèles, un multilatéral qui dure depuis sept ans, et un autre, bilatéral, et les deux ne s’accordent pas ensemble correctement. Les rouages sont grippés, » a dit un officiel européen à Genève.

La France a longtemps suspecté l’Administration Obama d’être trop proche de la conclusion d’un accord avec l’Iran avec des visées diplomatiques à court terme, mais aussi récemment qu’il y a un an, un haut dirigeant français a déclaré au Guardian que, au bout du compte, un accord finira par être conclu entre Washington et Téhéran. Paris, quelles que soient ses réserves, n’y fera pas obstacle.

Cette prévision ne se réalise plus clairement. Après la brouille entre les deux pays sur la Syrie, où les Français ont cru que l’Administration Obama tergiversait, la France se sent maintenant assez forte pour s’opposer à Washington sur la question la plus pressante de la politique étrangère de l’Amérique – une indication peut-être de l’influence déclinante de l’Amérique dans le monde.


Lire aussi :

- De quel pays Fabius est-il le ministre des Affaires étrangères ? - d’après Russia Today - 9 novembre 2013
- Nucléaire iranien, la France s’oppose à une solution - Alain Gresh - Le Monde diplomatique - 10 novembre 2013


De Harriet Sherwood :

- Un dirigeant israélien met en garde contre les commentaires injurieux sur Facebook - 16 août 2013
- La réalisatrice américaine Mira Nair boycotte le Festival du film de Haïfa - 22 juillet 2013
- Théâtre palestinien de Jérusalem : les autorités israéliennes d’occupation interdisent un festival de marionnettes - 24 juin 2013

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Julian Borger à Genève et Harriet Sherwood à Jérusalem - The Guardian, le 11 novembre 2013 - The Guardian - traduction : Info-Palestine/JPP


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