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Une pathologie américaine

lundi 28 octobre 2013 - 17h:48

Paul Woodward

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Matthew Aid, un historien et expert de la NSA, dit : "Je pense que la plupart de ceux d’entre nous qui avons étudié les services secrets étatsuniens au fil des ans assumons tout naturellement qu’il n’y a pas un seul pays à la surface du globe auquel les services secrets étatsuniens ne se soient pas intéressés peu ou prou. Nous sommes obligés de le faire parce que nous sommes une des dernières rares superpuissances mondiales de la planète."

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"Le changement auquel vous avez cru", Stasi 2.0.. (ex-services de renseignement de la RDA)

Aid s’étonne, par ailleurs, des réactions de choc et d’indignation des alliés des États-Unis qui ne sont pas d’accord pour qu’on les espionne.

Les réactions de choc peuvent en effet être simulées, mais l’indignation, elle, n’est pas feinte, et c’est cette distinction que beaucoup d’Etatsuniens ne saisissent pas.

Une fois de plus, l’exceptionnalisme américain montre sa vilaine tête et une fois de plus, les Américains ne voient pas sa laideur.

Les États-Unis doivent espionner leurs alliés. Pourquoi ? Parce que la croyance qui domine dans ce pays - le sentiment américain - est que les intérêts étatsuniens sont fondamentalement différents des intérêts de tous les autres pays de la planète.

C’est une forme de folie, mais la folie est difficile à reconnaître quand elle est partagée par tous. Quand à peu près tout le monde est virtuellement atteint du même délire, alors ce délire devient la norme.

Pour justifier de manière crédible le fait d’avoir mis sur écoutes le téléphone de la Chancelière allemande, Angela Merkel, ou celui de n’importe quel allié proche, il faudrait pouvoir montrer que les avantages d’une telle démarche sont supérieurs aux éventuels inconvénients. Mais en fait, les avantages sont minimes pour ne pas dire inexistants et les conséquences pourraient se révéler désastreuses.

L’argument que "tout le monde le fait" ne justifie rien. Qui écoute le portable du président Obama ?

Supposons que la France parvienne à le faire. Quelle serait la réaction des États-Unis ? Pas de problème, tout le monde le fait. Je ne crois pas.

Mais revenons à l’idée que la crise diplomatique dans laquelle les États-Unis se débattent aujourd’hui est symptomatique de la maladie étatsunienne : le symptôme qui est à la base de tout ça et qui se manifeste de mille manières, consiste à croire que "parce que nous sommes Américains" constitue une explication rationnelle et cohérente de tout ce que nous faisons.

L’idée que les Américains sont en quelque sorte intrinsèquement différents de tous les autres peuples ne repose sur rien mais elle n’en est pas moins à la base de tout ce que font les États-Unis.

Dans un article publié dans USA Today, Lisa Monaco, l’assistante du président Obama pour la Sécurité Intérieure et le Contre-terrorisme, note que l’Administration est en train de revoir les capacités de surveillance des États-Unis, y compris le respect dû aux partenaires étrangers. "Nous voulons nous assurer que nous rassemblons des données parce que nous en avons besoin et pas simplement parce que nous en avons la capacité."

The New York Times rapporte que les écoutes du téléphone de Merkel ont commencé il y a dix ans mais que Obama l’a ignoré pendant toute la durée de son premier mandat de cinq ans.

Selon le même article : "La réaction [de l’Europe] a provoqué un débat à Washington qui se demande s’il ne serait pas temps de mettre des freins à la NSA dont les capacités se sont développées plus vite que son jugement comme l’a laissé entendre Obama."

La réaction de l’Allemagne rapportée dans les médias est nettement moins ambiguë :

Quand Berlin a découvert que le portable de Mme Merkel avait peut-être été mis sur écoutes par les services secrets étatsuniens, sa colère a été si grande que l’Allemand, Elmar Brok, président du comité des Affaires Étrangères du Parlement Européen et pilier des échanges transatlantiques depuis 1984, a dit, vendredi, que les services de sécurité américains étaient devenus un sinistre "état dans l’état".

Dire que le problème provient de ce que les capacités technologiques se sont développées plus vite que le jugement, est l’échappatoire habituel de Washington. Les officiels sont décrits comme des hommes qui tentent désespérément de se maintenir au niveau des avancées technologiques. Tout le monde est innocent. La technologie ne cesse de progresser et les frêles humains luttent pour ne pas se laisser dépasser.

Mais le vrai problème n’est pas technique ; il est politique.

En effet, le fait que la NSA puisse espionner la Chancelière allemande sans que le président des États-Unis soit au courant montre que la NSA est devenue un organisme voyou.

La question n’est pas la crédibilité des dénégations ; la question c’est l’ignorance inexcusable et le manque de contrôle.

L’ultime ironie c’est que le "besoin" américain d’espionner le monde est un sous-produit de son manque de curiosité pour le reste du monde. Les Américains craignent ce qu’ils ne comprennent pas.

Un monde que les Etatsuniens connaîtraient mieux, dans lequel ils s’engageraient davantage et qui du coup cesserait de paraître aussi différent, serait un monde moins effrayant. Ce ne serait plus un monde dont lest États-Unis ressentiraient le besoin de se tenir à l’écart.

Pour compléter cet article voir la passionnante analyse de Philippe Grasset :

26 octobre 2013 - War in context - Pour consulter l’original :
http://warincontext.org/2013/10/26/...
Traduction : Dominique Muselet


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