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Les prisonniers palestiniens dans les prisons de l’occupation : réalité actuelle et missions nationales

jeudi 17 octobre 2013 - 07h:19

Ahed Abu Ghoulmeh

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Samidoun publie cet article qui est reçu depuis l’intérieur des prisons de l’occupation. Il aborde la situation actuelle et les tâches nationales concernant les prisonniers palestiniens et leur combat pour la liberté, et a été écrit par Ahed Abu Ghoulmeh, haut dirigeant palestinien détenu dans les geôles de l’occupation depuis 2006, après avoir été enlevé de la prison de l’Autorité palestinienne de Jéricho en 2006, avec Ahmed Sa’adat et plusieurs autres Palestiniens emprisonnés.

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Du 17 au 24 octobre : semaine d’actions pour exiger la libération de Sa’adat et de tous les prisonniers palestiniens (voir le texte en arabe).




Commençons par les mots du grand poète Mahmoud Darwish : « L’emprisonnement c’est l’intensité. Pas une personne qui y a passé une nuit qui n’ait fait travailler sa gorge dans ce qui pourrait ressembler à des chansons. C’est la méthode accessible pour maîtriser l’isolement et préserver la dignité de la douleur.  »

Ainsi en est-il aujourd’hui et en sera-t-il toujours, les prisonniers palestiniens cherchent la liberté et chanteront pour la liberté, et ils oeuvreront par tous moyens pour l’acquérir. Afin d’atteindre cet objectif, ils travaillent à la préservation de leur dignité et de leurs droits naturels, malgré la campagne sioniste brutale organisée et menée constamment contre les prisonniers. Il n’existe pas d’autre voie que la voie de la liberté.

Il n’existe pas de plus grande douleur que de vivre en tant qu’être humain sous l’oppression et la torture, de se voir dénier le droit de déterminer son propre destin. Cela cause un sentiment d’impuissance et de perte de la dignité humaine. Et quand cette oppression submerge vos certitudes, il semble que le monde vous a abandonné, que votre langue vous a abandonné, et que vous êtes impuissant et seul, face à cette impression permanente d’être incapable de percer le brouillard médiatique et politique, épais, dense, et de faire entendre une voix dans le monde. Pourtant, l’espoir demeure que la cause du prisonnier conserve sa place sur l’agenda national palestinien.

À certains moments, nous recourons à la simplification des complexités de notre douleur par besoin médiatique. Il peut sembler alors que la torture est gérable, n’est qu’un petit problème, et ne mérite pas l’attention ; ou bien vous exagérez, ce qui rend plus aisé pour l’ennemi d’attaquer vos revendications et prouver que vous avez tort, de vous maintenir isolé du monde et renforcer le siège sur vous.

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Wafa’ Abu Ghoulmeh, avec une affiche d’Ahed Abu Ghoulmeh lors d’une manifestation.

Nous sommes laissés devant un choix entre deux options : soit vous renoncez à être vous-même et vous vous transformez totalement pour devenir l’objet de votre emprisonnement ; soit vous en devenez le sujet et cherchez à redéfinir la torture, ses raisons et ses objectifs. Il n’est pas aisé d’être à la fois le chercheur et le sujet recherché, d’être torturé et étudier la torture, d’être le témoin de la scène et l’analyste des détails, simultanément.

La répression et la torture sont devenues une catastrophe complexe créée pour réagir au discours actuel sur les droits de l’homme. C’est maintenant une oppression masquée, modernisée, cachée. Elle n’a aucune représentation visuelle claire. Elle est très difficile à identifier à travers un élément ou une mesure unique. Des centaines de petites mesures et des milliers de détails sont utilisés comme outils d’une oppression quotidienne contre les prisonniers. Ils ne sont pas visibles, sauf si on examine les logiques globales qui se tiennent derrière ce système intégré d’oppression.

La torture et la répression sont différentes aujourd’hui de ce que nous avons lu dans les récits classiques de prisonniers comme dans les Notes sur les Potences de Julius Fukic et les romans de la vie en prison comme celui de Tahar Ben Jalloun, Cette aveuglante absence de lumière, et ce qui a été écrit historiquement dans la littérature des prisonniers palestiniens. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une torture d’un genre différent, beaucoup plus grave que les précédents à certains égards. L’ennemi, avec sa « civilisation », se sert de vos sens et de votre mental comme outils de torture contre vous-même. Il arrive tranquillement et en douceur, il n’utilise pas de bâton, il ne crie pas, ne provoque aucun tumulte, tout ce dont il a besoin, c’est de vous isoler – et la torture cohabite avec vous, à l’intérieur de la cellule, au sein de votre siège. Tout ce que vous pourriez avoir en objets matériels, tout l’argent que vous pourriez avoir à la cantine, ou les biens matériels théoriquement à votre portée, peuvent vous être retirés en l’espace d’un instant par une mise à l’isolement et des rafles.

Ce que cherche à atteindre l’ennemi, en utilisant cette forme de torture et de répression arbitraire contre les prisonniers, c’est de nous reformater en tant qu’humain selon la vision « israélienne », de détruire notre compréhension des choses nationales et le champ de notre conscience nationale, et en particulier, celle d’être l’avant-garde de la résistance à l’intérieur des prisons. Cela se fait par le maintien d’un contrôle sur le mouvement des prisonniers, dans le cadre de tout un ensemble d’actions répressives, et notamment :

  • en séparant ou en accentuant la séparation entre les prisonniers dans une prison, en isolant les prisonniers les uns des autres, et en maintenant une séparation entre les dirigeants emprisonnés et les jeunes militants ;
  • en minant le Haut Comité pour la défense des prisonniers et les comités de prisonniers composés de représentants des partis, et en tenant particulièrement à ne s’occuper des prisonniers qu’individuellement, comme une tactique pour les démobiliser ;
  • en punissant collectivement les prisonniers quand ils combattent d’une quelconque façon, même symboliquement. Cela englobe la prévention de toute action collective, comme prendre le deuil d’un mort, de faire ses adieux à un prisonnier, ou de commémorer des anniversaires de factions palestiniennes ou de journées nationales ;
  • en pratiquant une politique de transferts et de déplacements fréquents des prisonniers, ce qui affecte gravement l’organisation nationale à l’intérieur des prisons. Ces déplacements visent à semer la confusion chez les prisonniers, à saper leur stabilité et celle du travail d’organisation dans les prisons. Le supplice des voyages, appelé « Bosta », qui transfère les prisonniers d’une prison et d’un tribunal à l’autre, est une forme grave de torture ;
  • en renforçant la relation de l’autorité pénitentiaire avec le prisonnier en tant qu’individu, plutôt qu’avec l’ensemble du mouvement des prisonniers, faisant de chaque prisonnier un cas individuel et en refusant de répondre aux préoccupations collectives du mouvement des prisonniers. Ainsi, par exemple, nous en voyons aujourd’hui les résultats dans une individualisation des combats, reflétant des exigences et des préoccupations personnelles ou individuelles, et non les droits et statuts des prisonniers collectivement ;
  • en installant des cloisons vitrées dans les parloirs afin de séparer les prisonniers de leurs familles, et même de les empêcher de se toucher et de s’embrasser ;
  • en pratiquant une politique de fouilles à nu et de rafles et inspections nocturnes ;
  • en isolant un certain nombre de prisonniers en les mettant seuls en isolement cellulaire ou dans des cellules d’isolement collectif pendant plusieurs années, et
  • en contrôlant le contenu des livres, magazines et journaux qui entrent dans les prisons, de même qu’en restreignant les chaînes de télévision ; en empêchant l’enseignement secondaire et post-secondaire, en interdisant les thérapies et autres procédures, trop nombreuses pour être énumérées ici.

Comme nous pouvons le voir, le corps n’est plus la cible. Le captif n’est pas principalement puni physiquement, privé ou affamé, ce sont son âme, son mental et sa conscience qui sont méthodiquement pris pour cible. C’est cette autre façon de torturer qu’il est difficile d’expliquer avec des mots. Y sont associés des changements intervenus dans la réalité et le rôle du mouvement des prisonniers, du passé au présent, et la nature des nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés.

Il existe différents outils, différentes idées et pensées sur la façon d’y faire face à l’intérieur des prisons. L’unité de notre vision en tant que mouvement de prisonniers est vitale, mais les prisonniers doivent aussi acquérir les outils de connaissance et d’accès à l’histoire de leur mouvement et de ses sacrifices, afin d’élever leur ténacité dans la confrontation à de telles mesures.

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Rita, fille d’Ahed Abu Ghoulmeh.

Dans de nombreux cas, les prisonniers aujourd’hui ne connaissent pas les antécédents considérables du mouvement des prisonniers dans le combat national palestinien, le rôle central qui a été le sien et comment il a été regardé par les mouvements de libération à travers le monde. Les prisonniers aujourd’hui doivent accéder à leur histoire et la connaître, ce dont les mesures répressives de l’occupation visent à les priver.

Ce que nous voyons à l’heure actuelle est l’incapacité de la direction palestinienne à prendre position au bon moment. Ce n’est pas là diffamer ou admonester, mais plutôt affirmer la faiblesse de nos outils pour affronter le processus de liquidation de la connaissance nationale. Nous devons examiner nos outils pour moderniser, relancer et rendre notre connaissance et notre histoire nationales accessibles afin d’affronter la politique de répression. Nous devons combattre pour maintenir la stabilité organisationnelle du mouvement et ne pas être soumis aux caprices de l’occupant.

La réalité du mouvement des prisonniers, dans toute sa complexité, ne peut être la préoccupation des seuls prisonniers. Pour sortir de cette réalité, en plus de la ténacité des prisonniers, il faut aussi que remplissent un rôle politique toutes les forces palestiniennes, les comités, organismes et syndicats, de même que le mouvement de solidarité, arabe et international, au niveau officiel et au niveau populaire, et plus important encore, un mouvement de masse influent, actif et fort dans les rues, dans la patrie du peuple palestinien et dans la Diaspora.

Nous suivons avec un grand intérêt les activités politiques, médiatiques, populaires et officielles qui ont émergé ces dernières années autour de la « cause des prisonniers et de leur situation », et des tentatives pour « internationaliser » cette cause. Par conséquent, il est important de faire la distinction entre, d’une part, la philosophie du dénouement du « dossier des prisonniers » comme élément d’un processus de colonisation politique et de négociations au dépens de notre peuple, et, d’autre part, les efforts pour internationaliser le combat des prisonniers en tant que flambeau du mouvement de libération nationale palestinien ; et la voie pour celui-ci passe par des soulèvements, des manifestations et une révolution populaire qui ne finira que lorsque nos droits palestiniens seront réalisés.

Poursuivre le conflit et le combat pour reconquérir nos droits signifie qu’il y aura nécessairement des prisons qui enfermeront nos militants et nos combattants. La raison la plus importante de notre présence dans ces prisons est l’existence de notre cause nationale, et que notre mouvement de libération est toujours vivant.

Le combat des prisonniers, et celui des réfugiés de notre peuple pour réaliser leurs droits doivent être à la pointe de la cause et du mouvement global de libération nationale.

Saluant la diversité des efforts palestiniens, arabes, internationaux et humanitaires pour mettre l’accent sur notre souffrance, nous affirmons l’important fait historique que le combat national palestinien a toujours été un exemple et une inspiration pour les peuples et mouvements du monde entier en quête de liberté, et source d’impacts pour leurs combats, qui ont assuré la persistance du mouvement de solidarité avec notre peuple.

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La mère d’Ahed Abu Ghoulmeh à la commémoration d’Abu Ali Mustafa en Palestine.

En conséquence, il est essentiel que le mouvement des prisonniers soit au centre de l’attention des mouvements politiques et des organismes internationaux des droits humains. Il doit être sur l’agenda du mouvement de solidarité dans sa globalité, avec des évènements et des actions qui en favorisent une vision claire.

Les médias doivent couvrir le combat des prisonniers sous plusieurs angles. Le rôle considérable des médias à ce sujet est connu de tous, et va sans dire. Nous recommandons de travailler à la production de présentations et de programmes sur la vie des prisonniers. Il existe des centaines de questions, histoires et thèmes riches définissant l’expérience du combat des prisonniers palestiniens et de leurs familles. Il est également important de communiquer avec les universités palestiniennes, arabes et internationales qui étudient l’histoire, la cause et le mouvement national palestiniens au niveau universitaire, et de s’assurer que l’histoire et les combats des prisonniers figurent à l’intérieur de ces cours et programmes comme élément vital du mouvement de libération palestinien.

Ce travail, pour être complet, doit aussi inclure les prisonniers de la cause palestinienne détenus dans des prisons à l’extérieur de la Palestine occupée, dans les prisons arabes et étrangères. Parmi ces prisonniers, Carlos et Georges Ibrahim Abdallah en France, et beaucoup d’autres militants et combattants dans des prisons à travers le monde. Nous saluons aussi les prisonniers cubains détenus dans les prisons des États-Unis pour avoir voulu défendre leur révolution, et faisons cause commune avec les prisonniers des mouvements de libérations du monde entier.

La question des prisonniers doit être visible sur la scène internationale, et elle doit être un objectif de combat pour les forces de solidarité internationales et arabes afin de faire pression sur les gouvernements, les dirigeants et les organisations populaires de leur pays pour qu’ils prennent position en faveur des prisonniers palestiniens, en tant que prisonniers de guerre, prisonniers d’opinion et prisonniers pour la liberté.

Enfin, nous appelons à la poursuite et à l’expansion de la participation populaire dans la Diaspora, en organisant des rassemblements de masse devant les ambassades « israéliennes » dans le monde, avec la participation des organisations des droits humains et des organisations internationales concernées, en exigeant que les autorités de l’occupation libèrent les prisonniers palestiniens. Ceci sur la base de la reconnaissance des prisonniers palestiniens en tant que prisonniers de guerre, prisonniers d’opinion et prisonniers pour la liberté, ce qui est très important en raison de l’importance politique de cette reconnaissance pour notre combat en tant que mouvement de libération nationale, et pour réaffirmer la véritable nature et image du combat du peuple palestinien, de ses sacrifices et de ses objectifs nationaux.


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* Ahed Abu Ghoumeh est membre du Comité central du Front populaire pour la libération de la Palestine, et représentant du FPLP au Haut Comité de coordination du mouvement des prisonniers. Il a été enlevé à la prison de Jéricho en 2006 avec Ahmed Sa’adat et ses camarades lors d’une invasion israélienne, après quatre années d’emprisonnement dans les prisons de l’Autorité palestinienne, purgeant une peine à vie, plus cinq ans, dans les prisons israéliennes. Une Semaine d’action est organisée du 17 au 24 octobre pour exiger la libération de Sa’adat et de tous les prisonniers.

Octobre 2013 – Samidoun - Réseau solidarité avec les prisonniers palestiniens
Traduction : Info-Palestine - JPP


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