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Journal de Syrie : Retour à Damas

vendredi 27 septembre 2013 - 15h:15

IRIN

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DAMAS, 24 septembre 2013 (IRIN) - L’auteur de ce récit est un jeune diplômé de l’université de Damas, issu d’une famille aisée appartenant à une minorité religieuse syrienne. Il souhaite conserver l’anonymat pour des raisons de sécurité. Dans ce troisième extrait, il décrit son retour à Damas après 10 mois d’exil au Liban.

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À la fin du mois de juillet 2013, après 10 mois passés au Liban, j’avais des sentiments mitigés sur le fait de rentrer en Syrie. J’étais heureux de retrouver enfin la ville que j’aime plus que tout au monde, mais triste d’avoir passé presque un an au Liban à ne rien faire, sinon survivre, de ne pas avoir acquis d’expérience professionnelle ou gagné d’argent. J’ai fait mon son sac ; j’ai laissé la plupart de mes affaires au Liban, car j’avais l’intention de revenir bientôt pour déposer une nouvelle demande de visa.

Cela peut paraître fou de revenir s’installer dans une zone de guerre. C’est le cas. Mais nous rentrons car nous aimons ce pays. C’est tout ce que je peux dire. Nous le connaissons bien, et nous utilisons certaines tactiques pour réduire les risques - emprunter des routes particulières, effacer la carte mémoire des téléphones portables. Mais, à tout moment, vous pouvez vous retrouver dans une situation de vie ou de mort : une voiture piégée, un obus qui rate sa cible, un échange de tirs. Vivre ou mourir, c’est une question de chance, mais nous prenons quand même le risque.

Je ne veux pas dire comment j’ai fait pour revenir dans le pays, car je risquerais de mettre la vie de certaines personnes en danger. Une fois ici, je respirais facilement aux points de contrôle habituels : ma carte d’identité indique que je suis né dans une ville habitée par des minorités. J’ai tout de même décidé d’éviter l’autoroute qui relie Damas à Beyrouth et de prendre une petite route de montagne, plus longue, pour rejoindre Damas. Je voulais éviter le poste de contrôle où je savais que les agents vérifient les identités par ordinateur ; je me suis dit qu’ils se rendraient compte que je n’étais pas entré dans le pays légalement. J’ai rallongé le trajet de deux heures en empruntant le détour ; ce trajet qui durait habituellement une heure dure désormais trois heures à cause des postes de contrôle.

Quand j’ai vu la ville au loin, la seule anticipation a suffi à faire apparaître un sourire idiot sur mon visage. Damas a l’étrange pouvoir de transformer en un instant les hommes en enfants. Elle a l’odeur d’une mère. C’est pourquoi j’utilise le pronom féminin pour parler d’« elle ». Alors que nous approchions de la ville, j’ai vu des panaches de fumée s’élever au-dessus de certains quartiers de la ville. Observer cette scène familière, cela n’a rien à voir avec ce que l’on imagine quand on regarde la télé. Pour moi, c’était comme voir sa mère se faire frapper par son beau-père ou son locateur. Non, seul un parfait inconnu - un voleur - pouvait bombarder Damas comme ça. J’avais déjà vu mon pays en feu, mais à cause de mon absence, cela m’a encore plus touché au cour.

Je suis arrivé à la maison, détruit et triste, mais revoir ma famille et manger un repas syrien maison composé de ’shakrieh’ (agneau accompagné d’une sauce au yaourt), cela m’a remonté le moral. La vie suivait son cours, dans le bruit des bombes qui tombaient quotidiennement. Mes parents, qui sont fonctionnaires du gouvernement, se rendaient toujours à leur travail et j’ai pu voir les quelques-uns de mes amis restés en Syrie.

Je n’étais plus habitué à avoir du temps libre, alors j’ai décidé de participer à une initiative qui s’appelle ’Down with Hunger’, lancée par l’organisation non gouvernementale (ONG) syrienne Help. C’était le mois saint du ramadan ; nous avons préparé et distribué des repas à ceux qui n’avaient pas les moyens de préparer un vrai ’iftar’ pour rompre le jeune. L’association venait surtout en aide aux déplacés internes installés dans des abris établis dans les zones sûres, mais quelques repas ont été distribués dans des quartiers « chauds » - c’est-à-dire dangereux et déchirés par les conflits. Je connaissais très bien ces villes et ces quartiers ; j’y travaillais et j’y avais des amis autrefois. Ces lieux ont été détruits. J’ai vu des personnes qui vivaient dans des tentes installées sur les décombres de leur maison et un grand nombre de personnes dans les quelques bâtiments encore debout.

Au départ, je pensais que j’étais proactif et que je faisais quelque chose pour aider les gens, mais après avoir vu tout cela, je me suis senti égoïste. C’est comme si j’essayais de me faire sentir mieux en offrant à quelqu’un qui avait tout perdu un repas sans valeur pour compenser ses pertes. C’est la première fois de ma vie que j’ai eu honte d’être en vie et de vivre bien.

Les changements que Damas a connus sont plus subtils qu’ailleurs dans le pays, mais ils peuvent être frappants quand même. Il y a peu de traces de coups de feu, par exemple. Dans la capitale, l’État répare tout de suite ce qui a été endommagé pour maintenir une apparence de normalité. Mais je voyais davantage de personnes qui semblaient ne pas s’être lavées depuis plusieurs jours, qui portaient des vêtements sales ou non repassés. J’ai réalisé que ces personnes vivaient certainement dans des maisons surpeuplées de Damas qui accueillent des déplacés. J’avais entendu parler d’un appartement de 100 mètres carrés abritant 60 personnes.

Mais il y a aussi les bons moments. Par un chaud après-midi d’été, je suis monté dans un bus dans le cadre de mon travail pour la campagne ’Down with Hunger’. Il y avait étonnamment peu de monde. Tous les sièges étaient occupés, mais il n’y avait pas beaucoup de passagers dans les allées. Tout à coup, une personne assise sur un siège à une place, le dos appuyé contre la vitre, a commencé à jouer de la guitare et à chanter. Il n’avait pas une voix de chanteur, mais j’ai senti qu’elle était porteuse d’espoir. Il a chanté une chanson de Dalida, qui est d’origine égyptienne, intitulée ’Helwa ya Balady’ en arabe - que tu es beau, mon pays.

Au départ, les passagers du bus ont été surpris, mais, petit à petit, ils ont commencé à chanter avec lui, tout doucement, pour écouter cette douce mélodie. Personne n’était embarrassé. Au contraire, tout le monde était content d’échapper à la guerre pendant quelques minutes. J’ai même vu des larmes couler sur les joues des passagers. La chanson s’est terminée et, sans un mot, sans un regard pour personne - comme s’il ne voulait pas voir la reconnaissance dans nos yeux - l’homme a rangé sa guitare, s’est levé et est descendu du bus.

Je me suis précipité pour lui demander quelle était sa motivation. J’avais déjà entendu parler de rencontres similaires à Damas. Il a dit qu’il faisait partie d’un mouvement baptisé ’Project Flash’. Il n’en a pas dit davantage, et je ne lui ai rien demandé de plus. J’ai fait une recherche sur Internet et j’ai trouvé une vidéo de l’un des projets les plus élaborés du mouvement : on y voit quelques jeunes très bons musiciens et chanteurs syriens rassemblés dans un marché moins fréquenté qu’à l’habitude, ils chantent pour les gens et leur « insufflent » une petite dose d’espoir bien nécessaire.


Extraits précédents :

Journal de Syrie : Quitter la Syrie - et sur Info-Palestine
Journal de Syrie : La vie en exil - et sur Info-Palestine

DAMAS - 24 septembre 2013 - IRIN


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