16 septembre 2017 - CONNECTEZ-VOUS sur notre nouveau site : CHRONIQUE DE PALESTINE

A Bagdad, des murs contre la terreur

jeudi 26 avril 2007 - 06h:46

Adrien Jaulmes - Le Figaro

Imprimer Imprimer la page

Bookmark and Share


De nuit, sous importante protection militaire, les premiers éléments d’un mur d’environ cinq kilomètres de long ont été posés depuis le 10 avril dans le nord de Bagdad, autour du quartier d’Adamiyah, l’un des derniers bastions sunnites à l’est du Tigre.

JPEG - 5.2 ko
Quartier de Karrada, Bagdad
(Ph. AFP)

Selon les Américains, ce rempart est destiné à protéger les habitants des attaques lancées par des escadrons de la mort chiites venus des quartiers voisins au nord, à l’est et à l’ouest de cette boucle du fleuve. Ces derniers enlèvent, torturent et assassinent dans une campagne d’épuration confessionnelle d’une rare violence. Mais le but est aussi d’isoler les insurgés sunnites, qui utilisent l’enclave d’Adamiyah comme une base arrière d’où ils tirent au mortier ou lancent leurs voitures suicides, dans des attentats qui ont fait, ces dernières semaines, plusieurs centaines de morts civils dans les quartiers dominés par la secte rivale. Les habitants, qui voient se dresser autour de leur quartier ces remparts, craignent cependant de se retrouver enfermés dans une prison à ciel ouvert, dont les seuls accès seront contrôlés par des postes de l’armée irakienne, majoritairement chiite, et infiltrée par les mêmes escadrons de la mort dont le mur est censé les protéger. Des riverains ont manifesté ces jours-ci contre ce rempart, qui rappelle aussi la clôture de sécurité érigée par les Israéliens le long de la ligne verte autour des territoires palestiniens.

Les Américains présentent leurs travaux comme faisant partie du plan de sécurité lancé, mi-février, pour tenter d’enrayer la spirale infernale de violence qui a fait, depuis février 2006, de Bagdad une ville en passe de sombrer dans la guerre civile. « Nous ne fermons pas ces quartiers, nous ne faisons qu’en contrôler les accès, a expliqué un porte-parole de l’armée américaine. Ce n’est qu’une tactique, il ne s’agit pas d’un changement de stratégie visant à diviser Bagdad selon des lignes confessionnelles. » Ces hautes plaques de béton armé, coulées selon un modèle standard, encastrables les unes dans les autres comme un jeu de construction géant, sont devenues le symbole involontaire du « nouveau Moyen-Orient » rêvé par les néoconservateurs américains. Il suffit de quelques heures à un semi-remorque et à une grue pour aligner ces pans de trois mètres de haut, munis d’anneaux à leur sommet et d’un socle à leur base, pour former plusieurs centaines de mètres de remparts. Mais ces murailles ne sont pas vraiment une nouveauté. Les murs sont apparus dans Bagdad quelques semaines à peine après l’entrée des troupes américaines dans la capitale irakienne, en avril 2003.

Lorsque le corps expéditionnaire s’empare de la ville, les remparts de la cité administrative construits par Saddam forment vite la « zone verte », enclave protégée au coeur de Bagdad, qui devient le quartier général des conquérants. Le génie américain n’a qu’à rajouter quelques remparts de protection autour des portes d’entrée et le long du Tigre. Les premières attaques de l’insurrection sunnite conduisent à étoffer ce dispositif, jusqu’à transformer ce quartier arboré, ses palais et ses ministères, en forteresse, avec tours de guet, barbacanes et autres ouvrages défensifs qu’on dirait presque tout droit tirés d’un traité de poliorcétique du Moyen Âge. Les habitants de Bagdad commencent aussi, très tôt, à fortifier leurs quartiers. Pendant le grand pillage de la ville, qui voit des nuées de chiites venus des faubourgs misérables de Sadr City se répandre dans la capitale, volant tout ce qui peut l’être, des riverains bloquent l’accès à leurs rues avec des tas de briques, des troncs de palmiers et des barbelés. Ces murs se sont élevés à mesure que la violence augmentait, jusqu’à former des enclaves confessionnelles dans la capitale.

Mais le fait que les Américains se mettent à les construire eux-mêmes constitue un premier aveu d’échec du plan de sécurité lancé depuis février dernier pour mettre fin à la violence confessionnelle. Renforcées par le « surge », le sursaut militaire décidé par George Bush début 2007, les troupes américaines se sont déployées dans tout Bagdad, construisant au coeur de la ville des dizaines de forteresses d’où leurs unités opèrent à la fois contre les insurgés sunnites et les groupes chiites, souvent affiliés à Moqtada al-Sadr, qui s’attaquent à la fois aux troupes d’occupation qu’à leurs rivaux confessionnels.

Malgré ce déploiement de force, les meurtres n’ont pas cessé, et les attentats continuent à faire des dizaines de victimes chaque jour. Frustrés par le manque de renseignements fiables dans leur combat contre les insurgés sunnites, les Américains le sont aussi par l’impéritie de la police et de l’armée irakienne. « Certains sont policiers le jour, mais se transforment en escadrons de la mort la nuit, confie un officier américain chargé d’encadrer une unité de police irakienne dans le quartier d’al-Djihad ouest, un quartier mixte du sud de Bagdad. Les autres ont été recrutés à la va-vite dans les provinces chiites, et ne sont là que pour la solde. » Le recours à des murs pour contrôler autant que pour protéger les quartiers sunnites enclavés est une solution de la dernière chance pour empêcher l’exode des habitants. Une alliance de groupes d’insurgés sunnites, rassemblée sous la bannière d’al-Qaida en Irak, a déjà proclamé que le mur prouvait l’échec des plans américains. Le recours par l’occupant à de tels procédés dénote la faillite de toutes les tentatives pour briser la volonté des moudjahidins.

Adrien Jaulmes - Le Figaro, le 25 avril 2007


Les articles publiés ne reflètent pas obligatoirement les opinions du groupe de publication, qui dénie toute responsabilité dans leurs contenus, lesquels n'engagent que leurs auteurs ou leurs traducteurs. Nous sommes attentifs à toute proposition d'ajouts ou de corrections.
Le contenu de ce site peut être librement diffusé aux seules conditions suivantes, impératives : mentionner clairement l'origine des articles, le nom du site www.info-palestine.net, ainsi que celui des traducteurs.