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Égypte : un retour de 40 ans en arrière...

lundi 26 août 2013 - 07h:18

Abdel Bari Atwan

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Je n’aurai jamais imaginé voir l’ancien président égyptien Hosni Moubarak acquitté de tous les charges pesant contre lui. L’homme qui a humilié l’Égypte et les Égyptiens pendant plus de 30 ans a quitté la prison ce jeudi.

Les milliers de personnes qui ont sacrifié leurs vies, protestant contre l’injustice et la corruption de son régime, sont mortes en vain ; leurs sacrifices n’ont servi à rien.

Ceci, j’en suis persuadé, est la plus grande des défaites pour le peuple d’Égypte et une fin tragique pour sa révolution. Le coup de force de l’armée, tristement, a ramené l’Égypte au moins quatre décennies en arrière, si ce n’est plus.

C’est cela, le mandat que le général Abdel Fattah Al-Sisi a voulu de la majorité du peuple égyptien : un mandat pour faire avorter la révolution et pour prendre une revanche sur le premier Président démocratiquement élu (Mohamed Morsi) et son régime.

J’admets ne pas avoir été d’accord avec le Président égyptien élu Mohamed Morsi quand il a remis en cause l’intégrité, la crédibilité et l’indépendance du système judiciaire égyptien. Je n’étais pas d’accord non plus avec certains de ses partisans lorsqu’ils protestaient devant les locaux de la Cour constitutionnelle, car il s’était trouvé quelques juges pour prendre position contre les violations de Moubarak.

Mais aujourd’hui, après avoir vu Moubarak remis en liberté et ses partisans célébrer dans les rues, je me suis rendu compte que Morsi avait raison lorsqu’il s’opposait aux juges. Ma certitude s’est renforcée quand le chef de la Cour constitutionnelle, Adly Mansour, a accepté de couvrir le coup de force militaire et de devenir président intérimaire.

Mansour s’était abstenu de démissionner pour son rôle antérieur lorsqu’il entravait le cours de la justice. Il n’a pas non plus protesté contre les meurtres et les blessures infligées à des milliers de civils lors des manifestations - à la différence du vice-président Mohamed ElBaradei. Ce dernier n’a pas supporté l’idée d’être mêlé aux massacres et il décidé non seulement de démissionner, mais aussi de quitter la scène égyptienne et de retourner à Vienne.

Le pouvoir militaire a changé toutes les cartes en Égypte. Il a trompé le peuple et s’est attribué un mandat pour se donner une couverture populaire, religieuse et politique à ce qui est tout simplement un putsch. L’armée a su exploiter ce faux mandat pour en finir avec la révolution égyptienne et pour supprimer toute charge contre l’ex-président corrompu Moubarak et ses sbires.

Personnellement, je ne serai pas étonné qu’après la libération de Moubarak, on assiste à la libération de ses fils Gamal et Alaa, et qu’ait lieu un procès en appel pour l’ancien ministre de l’intérieur Habib al-Adli.

N’est-il pas d’une triste ironie qu’un président qui a été renversé par son peuple soit libéré de prison, transporté dans un hélicoptère et qu’un tapis rouge soit étendu sous ses pieds - tandis qu’un président démocratiquement élu lors d’une élection libre et juste, soit enfermé à clé en prison sous le coup d’accusations fabriquées de toutes pièces ? Est-cela l’idée que les militaires se font de la justice ?
Demandons aux dirigeants libéraux et aux responsables du Front du Salut National (FSN), qui se considèrent comme des « protecteurs de la démocratie » et des défenseurs d’un État civil, leur avis sur cette étape.

Ils ont soutenu le putsch des militaires et lui ont apporté sur un plateau « la légitimité révolutionnaire » - mais quel est leur avis sur ce coup et cette libération qui se produisent en même temps ?

Qu’éprouvent-ils en voyant leur pays revenir à l’état d’urgence, et en assistant aux meurtres de milliers de manifestants pacifiques sur les places de Rabaa al-Adawiya et al-Nahda ?

Personnellement je me sens très découragé en entendant une réponse tellement lamentable de ces personnalités à propos de la libération de Hosni Moubarak. Un homme qui a usé de l’Égypte comme d’une propriété privée pour lui et ses fils... Un homme qui s’est acoquiné avec un groupe d’hommes d’affaires corrompus, tandis que plus de quarante millions d’Égyptiens vivaient au-dessous du seuil de pauvreté...

C’est une triste période pour l’Égypte - son histoire, son peuple et sa révolution. Une révolution qui avait redonné de l’espoir aux peuples misérables dans le monde arabe et musulman, avec l’attente d’un renouveau, dans la dignité...

L’Égypte était le pays le plus à même de mener la nation arabe dans ce projet de renaissance.
Moubarak peut saluer le peuple égyptien du haut de son hélicoptère tout en se réjouissant. Ses fils et leur mère peuvent faire la fête, avec la clique de corrompus qui considèrent tout ceci comme une grande victoire. Les pays du Golfe peuvent également se joindre à ce carnaval – et pourquoi ne le feraient-ils pas ? Ils se sont dès le début opposés à la révolution égyptienne, faisant tout leur possible pour la saboter tout en encourageant les Américains à l’annihiler.

Dhahi Khalfan Tamim – le lieutenant général et chef de la police à Dubaï - était plus avisé que nous quand il avait prédit ce genre de fin.

Notre printemps arabe était une tromperie. Les forces occidentales et leurs alliés arabes ont réussi à le vider de toute signification, servant ainsi les intérêts d’Israël.

Ceci est une tache horrible dans notre histoire. C’est un jour triste et douloureux, non seulement pour nous qui nous étions réjouis de ces révolutions, mais pour également pour tous ceux et toutes celles qui ont sacrifié leurs vies dans l’espoir d’un avenir meilleur.

* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du quotidien al-Quds al-Arabi, grand quotidien en langue arabe édité à Londres. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.

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23 août 2013 – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.bariatwan.com/english/?p=1931
Traductions : Info-Palestine.eu – al-Mukhtar


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