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Égypte : une répression d’une sauvagerie sans limites

mercredi 21 août 2013 - 07h:36

Robert Fisk

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Ces scènes horribles sont la réalité de « l’état d’urgence » en Égypte.

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Le 14 Août, des centaines de manifestants ont été tués et des milliers d’autres blessés après que la police et l’armée aient disloqué les sit-in de ceux qui manifestaient contre le putsch militaire de juillet contre le président Mohamed Morsi. Ci-dessus, des Egyptiens pleurent sur ​​les corps de leurs proches assassinés - Photo : AP/Khalil Hamra

Ils ont été littéralement cuits. C’était la première expression qui me vint à l’esprit - exactement dans ces termes - quand j’ai vu les restes de neuf des 34 prisonniers qui sont morts aux mains de la police égyptienne dimanche soir.

Sur la route du désert près de la prison d’Abou Zaabal, ces hommes - enlevés place Ramsès ce samedi après que la police du Caire et l’armée ont fait irruption dans la mosquée al Fath - ont soi-disant tenté de se saisir du fourgon qui les emmenait en prison. Les policiers disent avoir tiré une grenade de gaz lacrymogène dans le véhicule, et ils sont alors tous morts. Après avoir vu ces cadavres horribles dans la morgue puante du Caire, je dois dire que ces pauvres gens - chargés d’aucun crime, sans accusation, sans jugement, victimes du glorieux « état d’urgence » avec lequel l’Égypte est maintenant bénie - sont morts dans des conditions bien plus horribles.

Il arrive un moment où de simples descriptions ne peuvent pas équilibrer l’horreur de la mort. Mais de peur que l’histoire oublie ou ne les traite avec moins de compassion que ce qu’ils méritent, nous devons, je le crains, faire face à la réalité. Ces corps étaient affreusement gonflés et ils avaient été brûlés de la tête aux pieds. Un homme avait une lacération à la gorge, causée peut-être par un couteau ou une balle. Un collègue a vu cinq autres cadavres dans un état similaire, mais avec des orifices faits par des balles au niveau de la gorge. En dehors de la morgue, les voyous embauchés par le Ministère de l’Intérieur égyptien ont essayé d’effrayer les journalistes et de les envoyer au loin.

Un homme d’âge moyen dont l’ami a perdu un fils tué par la police mercredi, s’est extrait des cris des proches - dont certains étaient des vomissements sur le béton - et m’a emmené à un imam sunnite, impeccable dans son turban rouge et blanc, qui doucement m’a conduit à travers deux portes en fer dans la chambre de la mort. L’un des entrepreneurs de pompes funèbres, Mohamed Doma, regardait les cadavres dans l’incrédulité. Ainsi faisait l’imam. Et moi aussi. Après avoir dépassé neuf de ces pauvres créatures - des enfants de l’Égypte - j’aperçus d’autres cadavres dans un autre couloir. Tous, selon le personnel médical, venaient de la prison d’Abou Zaabal.

Non pas qu’ils aient jamais atteint la prison - que je suis allé voir hier - à côté d’un minable canal du Nil bordé de vieilles usines de ciment, 28 miles au nord du Caire. Les murs de la prison sont élevés, ses portes fixées à des piliers néo-pharaoniques. Selon la police, les 34 prisonniers - certains rapports disent 36 morts - ont secoué le camion alors qu’il faisait partie d’un convoi de la police s’approchant de du bâtiment pour y être incarcérés. Quand il a été forcé de s’arrêter, les prisonniers - et cela, souvenez-vous, c’est la version de la police, qui est accusée d’avoir tué plus de 1000 de ses concitoyens de ces derniers jours - se seraient saisi d’un des policiers et, dans une tentative de le sauver, ses collègues ont tiré une grenade de gaz lacrymogène dans le camion rempli de prisonniers.

Des récits des « force de sécurité » - comme certains récits des Frères musulmans - se sont avérés faux au cours des dernières semaines. Une autre version, de la presse égyptienne à nouveau totalement mise au pas, rapporte que des « terroristes » ont arrêté le convoi et ont essayé de libérer les prisonniers. Étant donné que les prisonniers sont tous morts, nous ne saurons jamais comment ni pourquoi ils ont été abattus. Inutile de dire que les morts étaient devenus des « terroristes » depuis la nuit dernière - sinon pourquoi d’autres « terroristes » essaieraient-ils de les libérer, si c’est ce qui est arrivé ? Et, une fois que les Égyptiens eurent absorbé les nouvelles du massacre aussi horrible des policiers égyptiens dans le Sinaï, ce massacre est devenu le massacre d’Abou Zaabal, consigné sur la longue liste aux côtés du massacre de Rabaa, du massacre de Nahda, du massacre de la place Ramses et de tous les autres massacres qui vont à coup sûr encore survenir.

Après ces scènes horribles, les statistiques du Centre égyptien pour la recherche économique et sociale prennent un aspect solennel. Le Centre affirme que 1295 Égyptiens ont été tués entre mercredi matin et vendredi, dont 1063 rien que le mercredi - 983 civils, 52 policiers et 28 corps retrouvés sous la plate-forme de la mosquée Rabaa. Treize policiers et trois civils ont été tués dans une attaque contre le poste de police de Kerdasa, 24 civils à Alexandrie, six à Sharqeya, six à Damiette, 13 à Suez, 45 à Fayoum, 21 à Beni Souef, 68 à Minya. Il s’agit d’une tragédie nationale, qui n’est pas limitée au Caire. Mais ces corps à la morgue, je suppose, représentent chacune des victimes.

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* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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20 août 2013 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
[http://www.independent.co.uk/voices/comment/egypt-crisis-a-national-tragedy-plays-out-at-cairos-stinking-mortuary-8775128.html]
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar


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