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Afghanistan : la prochaine débâcle ?

mardi 24 avril 2007 - 17h:07

Immanuel Wallerstein - Alternatives International

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Chacun sait que les Etats-Unis ont désormais perdu la guerre en Irak. La politique de Washington se réduit aujourd’hui à une série de man ?uvres des Républicains et des Démocrates pour se positionner de façon à ce que l’autre parti paie le prix électoral du fiasco. L’Afghanistan sera-t-il la prochaine défaite ?

Il y a six ans, Oussama Ben Laden avait prédit que les Etats-Unis subiraient la même défaite que l’Union Soviétique. Avait-il raison ? Après le 11 Septembre 2001, les Etats-Unis (et la Grande-Bretagne) ont ciblé le régime afghan des Talibans pour un changement de régime - une décision qui, nous le savons maintenant, avait déjà été prise par les USA en juillet 2001, deux mois avant le 11 Septembre. La principale justification donnée publiquement était que ce régime abritait les leaders et les camps d’entraînements d’al-Qaida. Après un ultimatum du Président Bush, le 21 septembre, que les Talibans ont rejeté, les forces US et britanniques sont intervenues le 7 octobre.

A ce moment, presque le monde entier était du côté des envahisseurs. Les Talibans incarnaient le modèle type d’un régime affreux et terrifiant. Non seulement abritaient-ils al-Qaida (non sans fierté), mais ils développaient une version extrême de la charia musulmane et se montraient particulièrement durs à l’égard des femmes - leur refusant de travailler, de recevoir une éducation et de quitter leur maison sans être couvertes d’une large burka, et accompagnées d’un parent adulte de sexe masculin. Ainsi, lorsque l’invasion US commença, la plus grande partie du monde applaudit - non seulement les alliés occidentaux des Etats-Unis, mais aussi (rappelons-le) la Russie et l’Iran. Pratiquement la seule résistance vint du Pakistan.

Bien sûr, ces réactions n’étaient pas surprenantes. La Russie avait longtemps soutenu une coalition anti-Talibans, appelée l’Alliance du Nord, formée de groupes ethniques différents de la majorité pachtoune, base des Talibans. L’Iran soutenait aussi un groupe anti-Talibans, avec lequel il avait des liens ethniques. Pour ce qui est du Pakistan, les Talibans étaient ses protégés, ses services de renseignement (ISI) étant leur principal soutien. Chasser les Talibans du pouvoir signifiait priver le Pakistan de sa sphère d’influence (un vide dans lequel les Indiens se sont vite engouffrés).

Pour comprendre ce qui est arrivé depuis 2001, il nous faut remonter au moins trente ans en arrière. Au 19e siècle, l’Afghanistan était un terrain contesté par la Russie et la Grande-Bretagne. Dans l’après-1945, il est devenu une zone de rivalité entre l’URSS et les USA. En 1978, le Parti Démocratique du Peuple (PDPA) (communiste) renversa le régime - contre la volonté de Moscou. Comme le PDPA était composé de deux fractions franchement rivales (divisées en partie selon des lignes ethniques), il s’ensuivit une phase de conflit interne entre communistes, dans lequel l’Union soviétique se trouva mêlé. Finalement, en décembre 1979, les troupes soviétiques entrèrent en Afghanistan pour tenter de stabiliser la situation.

Zbigniew Brzezinski a révélé, des années plus tard, que les Etats-Unis avaient fait tout ce qu’ils pouvaient pour attirer l’Union Soviétique en Afghanistan, prévoyant que cela deviendrait leur « Vietnam ». Pendant ce temps, les Etats-Unis (et le Pakistan) soutenaient très activement l’entraînement et l’armement des moudjahidins islamiques qui cherchaient à renverser le régime communiste. Oussama Ben Laden fut l’un de ceux qui reçut un entraînement militaire des Etats-Unis. Le régime communiste n’était pas idyllique, mais il était à la fois laïc et garantissait des droits très étendus aux femmes, ce qui ne sera le cas d’aucun des régimes suivants.

L’invasion soviétique va se révéler une expérience à la vietnamienne pour l’Union Soviétique - coûteuse en vies humaines, en moyens financiers et en soutien populaire en URSS, si bien que, sous Gorbatchev, elle a commencé à se retirer. La guerre civile n’allait pas cesser pour autant. Au contraire, elle s’étendit. En effet, il y avait maintenant des groupes rivaux d’ex-moudjahidins qui cherchaient à s’installer au pouvoir à Kaboul.

Après des années d’une guerre civile épuisante et destructrice, un groupe d’« étudiants » appelé Talibans, soutenu par l’armée pakistanaise, se répandit dans le pays, occupa Kaboul et, au soulagement général, établit un certain ordre. Il apparut bientôt que l’« ordre » des Talibans n’était pourtant pas au goût de tout le monde.

Les Pachtounes étaient le principal groupe ethnique mais, dans tous les cas, pas le seul d’importance. Et les autres se sentaient exclus. De surcroît, les Talibans devenaient de plus en plus bruyamment islamistes, détruisant l’une des merveilles archéologiques d’Afghanistan - deux énormes statues boudhistes. Et le leader des Talibans, le mollah Omar, établit une relation étroite avec Oussama Ben Laden. D’où l’invasion US de 2001.

A ce stade, les groupes rivaux que les Talibans avaient chassés revinrent. Et initialement, un nouvel ordre fut établi, avec l’aide militaire des Etats-Unis et l’intervention diplomatique de l’ONU. Un gouvernement national sous la direction d’Hamid Karzai fut constitué, qui imposa son autorité sur Kaboul, mais pas vraiment sur le reste du pays. L’ordre se détériora à nouveau et, en 2003, la résurgence militaire des Talibans commença, avec la tolérance passive du Pakistan.

Comme les Etats-Unis étaient maintenant embourbés en Irak, ils firent appel à l’OTAN pour les aider à s’en sortir. Dès janvier 2006, la sécurité fut prise en charge par la Force d’assistance et de sécurité internationale de l’OTAN (NISAF), avec des unités d’un grand nombre de pays - Grande-Bretagne, Canada, Pays-Bas, Danemark, Australie, Estonie, Norvège, France, Italie, et Nouvelle-Zélande.

Cependant, la plupart de ces pays se sont montrés parcimonieux dans l’usage de leurs troupes - chacun établissant des règles différentes d’engagement et insistant sur leur localisation particulière (optant souvent pour Kaboul, la place la plus sûre). Et maintenant, dans pratiquement chacun de ces pays, il y a un débat politique actif sur le choix de maintenir des troupes là-bas.

Ainsi, les Talibans sont de retour et en force. La NISAF pourrait ne pas survivre bien longtemps. Et il est improbable que les modernisateurs laïcs qu’étaient les communistes puissent réémerger. Croyons-nous vraiment qu’un ange regarde le monde occidental d’en haut et dise « c’est du bon boulot » ?


Immanuel Wallerstein est directeur du Centre Fernand-Braudel, Binghamton, chercheur associé à l’université Yale aux États-Unis et ex-président de l’Association internationale de sociologie (AIS)

Paru en français dans le périodique suisse "solidaritéS" n° 107. Commentaire n° 206, du 1er avril 2007
Alternatives International, le 16 avril 2007


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