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Le Hezbollah, la Palestine et les divisions confessionnelles au Moyen-Orient

lundi 12 août 2013 - 07h:44

As’ad AbuKhalil

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Si vous voulez vous renseigner sur le discours de Nasrallah, vous devez lire l’analyse de Anne Barnard [New York Times]. Même si elle ne sait pas un mot d’arabe, même si elle ne s’est jamais intéressée au Moyen-Orient, et même si elle ne peut pas lire le discours elle-même, elle a suffisamment d’arabophones à sa disposition parmi son personnel à Beyrouth, et ​​qui sont tous partisans du mouvement du 14 mars. Et si vous voulez avoir une vision déformée de la parole [du Hezbollah] à travers le prisme des intérêts de la propagande israélienne, Anne Barnard est la personne à lire.

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Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah [résistance libanaise] - European Pressphoto Agency/Wael Hamzeh

Ce discours a eu lieu le jour d’al-Quds, ou Jérusalem, qui survient le dernier vendredi du Ramadan, selon la décision de Khomeini de dédier cette journée spéciale. Et contrairement à ce que Anne Barnard a écrit, l’apparition publique de Nasrallah n’est pas la première en six ans ; il a fait une apparition publique en septembre dernier. Mais le discours est significatif à plus d’un titre.

Il n’est pas nouveau que Nasrallah parle de Palestine. Il a parlé de la Palestine à plusieurs reprises, expliquant que la question est un élément majeur de l’idéologie du Hezbollah depuis sa création. Mais pour Nasrallah, parler de la Palestine de façon si marquante est significatif compte tenu en particulier du consensus arabe actuel (y compris le régime syrien) derrière le « Plan de paix arabe. ». Mais ce n’est pas une période facile pour Nasrallah. Le parti a été confronté à de sérieux défis au Liban et en Syrie et au-delà. Alors qu’il était sur le point de célébrer la fin de l’ère Bush, une nouvelle série de défis sont apparus et le parti a dû faire face aux conséquences des soulèvements arabes. Lorsque les soulèvements ont frappé les en Tunisie et en Égypte, le parti ne pouvait pas être plus heureux et ne cachait pas sa jubilation. Mais lorsque les soulèvements ont frappé la Syrie, la terre parut trembler sous ses pieds.

Les grands moyens dont disposent les régimes du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et la brève domination de l’Ikhwan [Confrérie musulmane] en Égypte ont incité le Hamas à s’éloigner de l’Iran, ce qui a été un coup dur pour le Hezbollah, non pas tant que le Hamas puisse aider le parti en aucune façon, mais parce que sa présence dans le « mumana`ah » (camp du refus), a réduit la composition confessionnelle de ce camp. Le parti avait besoin d’y conserver le Hamas, et pour cette raison il a évité la tentation de tourner ce mouvement en dérision et de critiquer ses dénonciations soudaines (toujours inopinées) du régime syrien, qui lui avait pourtant donné refuge quand aucun régime arabe ne lui tendait la main. Mais cela a coïncidé avec l’intense et massive campagne sectaire contre les chiites, que l’appareil de propagande saoudien et qatari a déclenchée dans le monde arabe.

Le Hezbollah est vulnérable quand il s’agit d’attaques sectaires contre les chiites. Il n’a en effet jamais usé de rhétorique sectaire et ne parle pas en termes sunnites ou chiites. Tout cela est vrai, mais le parti ne peut pas cacher le fait que sa doctrine dominante (Wilayat al-Faqih) est sectaire et que ses membres sont tous de la même confession. Et ce n’est pas un hasard, bien sûr. L’idéologie du parti n’est pas destinée, comme l’était l’Islam, à appeler à un engagement universel.

Ainsi, Nasrallah a dû prendre tous ces facteurs en considération lors de son discours de la Journée d’al-Qods. Il a réitéré l’engagement du parti vis-à-vis de la Palestine et a fourni une explication intéressante sur les machinations occidentales dans le monde arabe pour détourner l’attention de ce dernier loin de la Palestine et des dangers représentés par Israël. Il a souligné qu’Israël demeurait la tumeur cancéreuse (et il a attribué la formule à Khomeini, alors que des journalistes, des écrivains et les dirigeants arabes ont fait cette analogie depuis 1948) dans le corps arabe. Mais Nasrallah a voulu aussi réaffirmer que les sunnites et les chiites, laïcs et islamistes peuvent tous être d’accord sur la question de la Palestine. Mais Nasrallah n’a pas réussi à prendre note de l’énorme succès de la propagande saoudienne et qatari dans la mobilisation des Arabes derrière des slogans et de la rhétorique sectaires. Peut-être en raison de son éloignement, Nasrallah semble penser que la mobilisation confessionnelle et l’agitation fomentée par les pays du CCG ne pénètrent pas dans l’esprit des masses. C’est en partie pour cette raison que Nasrallah et le Hezbollah en général, ont ignoré le facteur confessionnel et ont échoué à produire un contre-discours. Nasrallah semble penser que si vous ignorez le problème, celui-ci va tout simplement disparaître.

Nasrallah refuse toujours d’attaquer directement l’Arabie saoudite et le Qatar. Il a fait une référence aux « régimes du Golfe » et à leur financement des médias qui propagent des messages sectaires. Alors que les pays du CCG ont officiellement déclaré la guerre contre le Hezbollah et de façon plus générale contre les chiites, le parti reste prudent et ne peut pas, pour une raison apparemment inexplicable, contester directement la Maison des Saoud et la Chambre des Thani. Peut-être, comme la plupart des Libanais, le Hezbollah est-il victime des constantes menaces saoudiennes d’expulser les immigrants libanais installés en Arabie saoudite. Ces Arabes qui travaillent en Arabie Saoudite sont devenus pour les pays du CCG des otages tout à fait officiels, à des fins de chantage. Mais les pays du CCG ont déjà commencé à expulser les chiites et les sunnites considérés comme un soutien à la résistance contre Israël.

Nasrallah a également souligné un point important dans son discours, peut-être le plus important. Rompant avec une longue histoire d’approbation islamiste de la guerre contre le communisme par les sunnites et chiites, Nasrallah a fait référence à la guerre contre le communisme arabe durant la guerre froide comme à un conflit fabriqué de toutes pièces et imposé par l’Occident aux Arabes afin de détourner leur attention de la Palestine. Il a même remis en question la sagesse de la guerre en Afghanistan lancée par les islamistes, mais a ajouté qu’il ne mettait pas nécessairement en question la « légitimité » de cette guerre (contre le gouvernement communiste afghan, dans les années 1970 et 80), mais qu’il s’interrogeait sur la priorité de cette guerre. Il se demandait pourquoi un Palestinien aurait, par exemple, dû se rendre pour combattre en Afghanistan alors que son pays est occupé.

Ce point est une reconnaissance tardive par Nasrallah que les dirigeants religieux sunnites et chiites ont épousé et épaulé pendant des décennies des projets impériaux occidentaux dans la région. Mais cela peut aussi être placé dans le contexte de la récente reconnaissance par Nasrallah des courants socialistes et communistes arabes et de leurs contributions historiques à la résistance face à Israël. Mais cet effort fait par Nasrallah ne peut être complet sans une divulgation complète des responsabilités du parti (et du mouvement libanais Amal) dans l’assassinat brutal des dirigeants communistes au Liban dans les années 1980. Le parti doit dire la vérité sur ces crimes. Nous méritons de savoir qui a tué qui, pour quelle raison et suivant les ordres de qui. Les responsables devraient être punis, même s’il s’en trouve dans la direction du parti, pour ces crimes odieux sous prétexte idéologique.

Les temps sont difficiles pour le Hezbollah. Les médias occidentaux ne manquent jamais de souligner ce point. Mais ce ne sont pas non plus d’agréables moments pour ses ennemis, que ce soit au Liban, en Syrie ou ailleurs. La région vit de grands bouleversements, et le résultat final est loin d’être acquis. Mais l’insistance sur la priorité de la libération de la Palestine est une valeur sûre pour tous.

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* As’ad AbuKhalil est professeur de science politique à l’université d’État de Californie à Stanislaus, et professeur associé à l’université de Californie à Berkeley. Il est également l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), Ben Laden, l’islam et la nouvelle ’Guerre contre le terrorisme’ américaine (2002) et La bataille pour l’Arabie saoudite (2004). Il contribue régulièrement à Al-Akhbar.

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6 août 2013 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/blogs/...
Traduction : Info-Palestine.eu - Al-Mukhtar


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