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Syrie : survivre dans le camp palestinien de Yarmouk

lundi 5 août 2013 - 07h:27

Franklin Lamb

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Depuis la partie ouest du camp palestinien de Yarmouk à Damas.

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Réfugiés palestiniens quittant le camp de Yarmouk, décembre 2012 - Photo : Press TV

Depuis plus d’un an, le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk, un des neufs camps syriens, est un champ de bataille où s’opposent les supporters du gouvernement syrien et ceux qui veulent le renverser. Mais il y a peu de combattants actifs parmi ceux qui habitaient le camp avant la crise, selon Dr. Hamed Mouad, l’auteur du premier livre sur l’histoire et la sociologie du camp de Yarmouk ainsi que sur lui-même et sa famille qui habitaient tous le camp avant qu’ils ne soient obligés de s’enfuir il y a huit mois. Les habitants de Yarmouk ont presque tous refusé de prendre partie malgré les pressions de chacun des opposants les enjoignant à « libérer » Yarmouk de l’autre. Leur neutralité et leur refus de participer au conflit leur a coûté cher.

Toutes les entrées "légales" du camp de Yarmouk ont été bloquées par l’armée syrienne ou les rebelles. Mais il m’a été possible d’entrer dans la partie ouest du camp avec l’aide d’un adolescent serviable, bien que des snipers du gouvernement et des rebelles soient encore embusqués sur de nombreux toits.

Seulement 20% des 170 000 personnes qui habitaient à Yarmouk avant le soulèvement y vivent encore, la majorité des habitants s’étant réfugiés dans les faubourgs de Damas à l’extérieur du camp. Une grande partie du camp est aujourd’hui un terrain vague désert dont les rares habitants sont largement privés d’électricité, d’eau et de commerces. Le gouvernement syrien continue à leur fournir de l’assistance médicale gratuite et la Croix Rouge Arabe Syrienne leur distribue des colis de nourriture.

Les Palestiniens que j’ai interviewés m’ont expliqué qu’il ne restait à Yarmouk que ceux qui n’avaient pas d’autre choix et qui, de ce fait, sont obligés de risquer leur vie - à la roulette russe des snipers et des mortiers - en demeurant dans leurs maisons à moitié détruites du camp. D’autres essaient de survivre à l’extérieur de camp en squattant des écoles et des mosquées où ils dorment sur des couvertures, des cartons ou des bâches en plastiques ; les plus fortunés d’entre eux ont un réchaud à gaz pour faire un peu de cuisine. La chaleur est torride en été à Damas, il y fait bien plus chaud qu’à Beyrouth et Saïda au Liban où une grande partie des 75 000 réfugiés palestiniens de Syrie se sont réfugiés. D’autres encore se sont mêlés au million de malheureux qui se sont réfugiés à Damas pour fuir d’autres secteurs de la République Arabe Syrienne au cours des 29 mois derniers. Quelques désespérés s’abritent sous des couvertures accrochées dans la rue en espérant que les autorités ne les chasseront pas ou pire encore qu’ils ne seront pas dévalisés ou kidnappés. Le kidnapping est devenu courant à Damas.

Des policiers de Damas, par compassion, permettent à des réfugiés, dont beaucoup sont des Roms depuis que leur quartier a été détruit, de dormir dans les petits parcs et espaces verts de la ville les moins fréquentés. Mais pas dans les grands parcs du centre qui sont sans doute les plus beaux et les mieux entretenus, même pendant les combats, de tout le Moyen-Orient arabe. Le camping n’est pas autorisé dans ces parcs. Mais quand un mortier démolit un morceau de rue, des résidents s’y réfugient et cela me rappelle toutes les fois où, pendant la guerre civile au Liban, le parc Saniyeh de Hamra à Beyrouth a été envahi par une foule de réfugiés.

Dans moins d’un mois, les écoles vont rouvrir leurs portes en Syrie et les réfugiés ne pourront plus y loger. Des Palestiniens, comme leurs voisins syriens, essaient encore de s’enfuir au Liban mais le gouvernement a récemment augmenté le prix du passage - de 550 à 1100 livres syriennes (environ 6 dollars) par personne - à la frontière de Masnaa. Ça ne représente rien pour la plupart des étrangers mais c’est souvent trop cher payé pour des familles syriennes et palestiniennes souvent dotées de plusieurs enfants, pour tenter de repousser la mort.

On ne peut pas généraliser, mais beaucoup de résidents de Damas, y compris des Palestiniens qui ne sont pas encore partis, sont d’avis que la violence va continuer à diminuer à mesure que les forces gouvernementales repoussent les rebelles de plus en plus loin du centre ville. Ce sentiment semble partagé par toute la population syrienne épuisée et tétanisée et dont plus de 500 000 membres se sont réfugiés à Damas au cours des 28 derniers mois pour essayer de survivre. Les gens ici expriment un léger espoir en dépit de leur épuisement, de l’horreur devant ce qu’est devenue leur nation, et de leur vision pessimiste de l’avenir du pays qu’ils aiment et de ses chances de survie. Bien qu’ils aient subi de lourdes pertes, la plus tragique étant la perte d’êtres aimés, mais aussi des pertes matérielles comme leur moyen de subsistance, leur travail, leur commerce, toutes choses qu’ils ne retrouveront pas de si tôt, les gens ont l’impression que leur vie est en passe de s’améliorer. Mazin qui est chauffeur à la chaîne de TV Al Alam m’a expliqué l’autre nuit : "Cela peut paraître étrange, mais bien que nous ici à Damas nous entendions de plus en plus de bombes tomber à mesure que l’armée repousse les rebelles, en fait nous nous sentons de plus en plus en sécurité en dépit de l’augmentation des bombardements parce que les rebelles sont chassés de nos faubourgs. Mais tout cela est loin d’être fini."

Quand je leur demande ce qui leur fait penser que la "situation" s’améliore, on me répond que par exemple on voit souvent le ministre de la Réconciliation Nationale affirmer en public que le gouvernement prépare le retour des réfugiés syriens et palestiniens. Un autre exemple qu’on me donne de ce que les choses vont dans la bonne direction, est la visite du président syrien Bashar al-Assad le 8 janvier 2013 à la ville de Daraya à l’extérieur de Damas. Daraya a été un bastion rebelle pendant plus d’un an et la ville est maintenant largement sous contrôle gouvernemental. Ça a été le premier voyage public du président syrien depuis sa visite à Baba Amr à Homs le 3 décembre 2012, là où il y a eu hier une énorme explosion dans un dépôt de munitions du gouvernement qui a tué environ 50 personnes. Assad a fait un discours volontariste dans lequel il promettait d’écraser les forces qui avaient décidé de renverser le gouvernement syrien et il semble avoir redonné courage aux gens ici en parlant avec des soldats et en exprimant la gratitude de la Syrie envers l’armée. De plus en plus d’officiels syriens suivent son exemple, sortent de leurs bureaux blindés de sécurité et vont au contact de la population. Même s’ils ne parviennent pas vraiment à remonter le moral de la population, ils lui communiquent l’espoir que la guerre civile pourrait prendre fin.

Comme le sort, du moins pour le moment, semble être en faveur du régime en place, mes amis et connaissances syriens et palestiniens expriment leur inquiétude au sujet de ce qui pourrait les attendre si les extrémistes salafistes ou wahabites prenaient le pouvoir et instauraient un « caliphat Wahabite » à la place de « l’État » actuel.

Voilà deux exemples de ce que les citoyens d’ici racontent, parfois en en plaisantant, au cours des repas d’Iftar après le jeûne et dans les cafés, à propos des « factions rebelles » en perpétuelles luttes intestines. Cette semaine, un comité de la Sharia a banni les croissants, malgré le rationnement, dans la région laïque d’Alep détenue par les rebelles. La raison donnée par des « érudits » salafistes-wahabites est que les croissants français sont des symboles secrets de l’oppression coloniale. Jabhat al-Nusra et l’Etat Islamique d’Irak et du Levant pensent que, puisque la Syrie est une ancienne colonie française, les symboles français sont inévitablement connectés avec l’impérialisme et que la forme en croissant de ces petits pains célèbre la victoire européenne sur les Musulmans. Les théories conspirationnistes abondent dans le monde entier, semble-t-il.

Des groupes divers prononcent de plus en plus de Fatwas destinées à provoquer au plus vite le démantèlement de la Syrie laïque actuelle pour instaurer le nouvel ordre. Au cours des derniers mois, une grande quantité de ces Fatwas, qu’apparemment n’importe quel « érudit » islamique aspirant peut proclamer à son gré, importent le style de vie saoudien, au point qu’à côté le royaume saoudien lui-même semble modéré.

Au cours des mois derniers, le pouvoir des éléments extrémistes a augmenté dans la région d’Alep avec la marginalisation progressive des groupes modérés, ce qui met de plus en plus de Syriens à la merci de ces groupes. Le conseil de la loi islamique du quartier de Fardous à Alep a récemment proclamé une Fatwa interdisant à toutes les femmes, et pas seulement les musulmanes, de porter des vêtements « immodestes » ce qui va des vêtements près du corps au maquillage. Une autre Fatwa condamne à un an de prison quiconque ne respectera pas le jeûne du Ramadan, qu’il soit musulman ou pas.

Pour essayer de parer à cette désastreuse situation, les dirigeants de l’OLP à Ramallah ont proposé aux Palestiniens de Syrie ainsi qu’au gouvernement syrien une solution aux problèmes des réfugiés palestiniens qui ne cessent de s’aggraver. Selon les factions palestiniennes de Damas, dont l’une m’a montré une copie de ce « plan secret », une délégation de quatre personnes a été envoyée à Damas à la fin du mois de juillet par l’Autorité Palestinienne. Les délégués ont présenté aux 14 factions palestiniennes en Syrie et au gouvernement syrien un plan en deux étapes destiné à mettre fin aux combats dans le camp de Yarmouk.

Selon des sources dignes de confiance, la proposition a été approuvée par le gouvernement syrien, et les groupes de l’OLP doivent rendre leur décision pendant la première quinzaine d’août. La déclaration de l’OLP, qui fait suite à la visite de Mahmoud Abas au Liban en juillet, est la suivante :

« Sur la base de la position de principe adoptée par les dirigeants de l’Organisation de Libération de la Palestine concernant tous les développements internes aux pays arabes -en particulier la crise syrienne- qui est de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de ces pays et d’empêcher l’implication des Palestiniens ou des camps palestiniens dans ces luttes en restant neutres et en s’assurant que les camps demeurent des endroits sûrs pour les résidents palestiniens et syriens, sans armes ni combattants, afin de garder la lutte palestinienne centrée sur son ennemi principal : l’occupation israélienne.

Conscients de tout cela et suite aux développements qui ont causé la dispersion de centaines de milliers de membres de notre peuple dans des camps qui sont devenus des endroits dangereux, nous les factions de l’Organisation de Libération de la Palestine qui sommes les seuls représentants légitimes du peuple palestinien, nous faisons la proposition suivante avec l’espoir que la coopération de toutes les parties concernées nous permettra d’atteindre l’objectif suivant :

D’abord, sur la base de notre position de principe de neutralité positive et dans le but de maintenir les Palestiniens et leurs camps hors du conflit syrien, nous proposons le plan d’action ci-dessous pour que tous les camps palestiniens -et celui de Yarmouk en particulier- redeviennent des endroits sûrs et sécurisés, sans armes et sans combattants :

- Mettre fin à toutes les manifestations publiques de combattants armés, en donnant des garanties à ceux qui acceptent de le faire.
- Éviter d’utiliser les camps comme des zones de combat et cesser toutes formes de combats, y compris les tirs de snipers et les bombes.
- Permettre la libre circulation des personnes, de la nourriture, des médicaments et des véhicules ce qui encouragera les réfugiés à revenir dans leurs maisons des camps.
- Restaurer les services publics, y compris l’électricité, l’eau, les télécommunications, les écoles et les hôpitaux.
- Offrir l’amnistie aux résidents des camps qui ont été arrêtés quand leur implication dans le conflit n’est pas avérée.

Deuxièmement coordonner les efforts pour éliminer les obstacles et fournir tout ce qui est nécessaire à la réalisation de ce plan d’action. »

Cette initiative pour heureuse et bienvenue qu’elle soit n’a rencontré que scepticisme chez les Palestiniens ici, y compris dans les comités populaires du camp. Ce plan de l’OLP ne semble pas applicable parce que des groupes encore plus extrémistes que al-Qaeda ont commencé à installer les familles de leurs membres à Yarmouk et comptent bien y rester quoiqu’en pense les autres groupes rebelles, une situation qui rappelle ce qui s’est passé dans le camp de Nahr al Bared près de Tripoli au Liban.

Les Palestiniens avec qui j’ai discuté de la proposition de l’OLP considèrent pour la plupart que ceux qui ont fui le camp de Yarmouk n’y reviendront pas tant qu’une solution politique ne sera pas trouvée entre les principaux opposants de la crise syrienne. Certains pensent même que cela pourrait prendre des dizaines d’années.

* Franklin Lamb est un spécialiste des questions syriennes et libanaises. On peut le joindre à cette adresse mail : fplamb@gmail.com

2 août 2013 - CounterPunch - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.counterpunch.org/2013/08...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet]


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