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Armée et police en Égypte : une culture de totale impunité

lundi 29 juillet 2013 - 10h:38

Amira Howeidy

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Dans le cadre du nouvel ordre, le secteur de la sécurité se sent libre de jouer des muscles, écrit Amira Howeidy.

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S’il y a une constante en Égypte, c’est bien l’impunité totale dont bénéficient la police et l’armée, que ce soit sous Moubarak, Morsi ou maintenant les généraux au pouvoir - Photo : hebdo.ahram.org

Bien qu’étant auparavant l’objet de vives critiques de l’opposition et des groupes de défense des droits de l’homme, Mohamed Ibrahim - le très critiqué ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Mohamed Morsi - a conservé son poste dans le cabinet de Hazem Al-Beblawi mis en place le 16 juillet.

Il y a à peine quatre mois, les militants du mouvement du 6 avril organisaient une manifestation devant son domicile du Caire où ils ont brandi des sous-vêtements en signe de mépris. L’exigence d’un remplacement d’Ibrahim était dans le peloton de tête sur la liste de l’opposition dans sa bataille contre Morsi, mais comme le ministère de l’Intérieur a semblé changer de cap au cours des dernières semaines, refusant de protéger les locaux de la Fraternité musulmane, les critiques à l’égard d’Ibrahim se sont bien sûr estompées.

« Le maintien d’Ibrahim dans le nouveau cabinet équivaut pratiquement à une promotion », explique Hossam Bahgat, directeur de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne (EIPR).

Aujourd’hui, la police jouit d’un rare moment de popularité. Le vendredi une fanfare de la police a joué sur la place Tahrir pour célébrer le 10e jour du Ramadan qui a coïncidé avec la victoire du 6 octobre sur Israël en 1973. On y a entendu des slogans du genre « le peuple et la police sont main dans la main ».

Nous sommes bien loin de l’ambiance d’il y a un mois. Après avoir documenté les violations des droits humains commises durant l’année au pouvoir de Morsi, des groupes de défense des droits avaient conclu qu’aucun progrès n’avait été fait depuis la révolution qui a permis de renverser Hosni Moubarak. À l’époque, l’appareil de sécurité de Moubarak était vu comme l’ennemi.

Ce n’était pas une coïncidence que la date choisie pour la révolution - le 25 janvier - soit la Journée nationale de la police. Le ministère de l’Intérieur a pu se sentir dépassé par les événements qui ont suivi, mais aucun changement important n’a été apporté dans ses politiques ou ses pratiques. Ni le Conseil suprême des forces armées (SCAF), qui a gouverné l’Égypte de février 2011 à août 2012, ni Morsi dans son année de pouvoir, n’ont tenté la moindre réforme malgré des initiatives répétées de groupes de défense des droits et même venues de réformistes au sein même du ministère de l’Intérieur.

Les affaires transmises aux tribunaux par les procureurs se sont conclues par les acquittements systématiques des policiers, accusés pourtant d’avoir tué plus de 800 manifestants pendant les 18 jours de manifestations en janvier et février 2011. Les familles des victimes et le public sont restés très frustrés. Les commentateurs se sont plaints que la culture d’impunité qui règne dans les organismes de sécurité se soit même renforcée. Pourtant, aujourd’hui, les acquittements sont mentionnés dans certains milieux comme la preuve que la police était toujours restée innocente.

Le 8 juillet, les porte-parole du ministère de l’Intérieur et des Forces armées ont tenu une conférence de presse conjointe suite à l’assassinat d’au moins 54 partisans du président Morsi lors d’un sit-in devant le siège de la Garde républicaine. Le porte-parole du Ministère de l’Intérieur, Ali Abdel-Latif, a affirmé que depuis janvier 2011, la police avait fait face à de nombreuses accusations injustes, y compris l’assassinat de manifestants et l’ouverture des prisons. « Maintenant le peuple égyptien sait la vérité », a-t-il affirmé. « Nous sommes la police du peuple et nous travaillons pour le peuple. »

Ce qui s’est passé depuis l’éviction par la force de Morsi par les militaires le 3 juillet, a tiré la sonnette d’alarme parmi ceux qui se soucient de sécurité, des droits humains et de la liberté d’expression. On estime que 107 personnes ont été tuées, et le nombre de morts augmente tous les jours. Parmi les victimes figurent des manifestants pro-Morsi et des opposants de l’ancien président. Des Coptes ont été tués dans le Sinaï, et les points de contrôle de la police et de l’armée sont régulièrement attaqués dans le nord de la péninsule. Alors que les affrontements entre la Confrérie musulmane et la police se concluent toujours par des victimes que l’on peut dénombrer, le scénario le plus courant est que lorsque la violence éclate entre manifestants rivaux, les policiers sont vus nulle part.

De nombreux groupes de défense des droits de l’homme ont condamné la violence mais les militants parlent de difficultés à documenter les affrontements. Selon Gamal Eid, directeur du Réseau arabe pour les droits de l’homme, il y a trop d’incidents tous les jours pour que l’on puisse vérifier de façon indépendante le nombre de morts, de blessés et de gens emprisonnés. Que la Confrérie soit réticente à accueillir des militants des droits de l’homme à la morgue « ne nous aide pas non plus », a-t-il ajouté.

Les chaînes de télévision islamiques, dont Masr 25 de la Fraternité musulmane, restent interdites. Le discours de haine contre la Fraternité est monnaie courante dans de nombreux médias et vise désormais les réfugiés syriens en Égypte et aussi les Palestiniens. Ce dimanche, quatre manifestants ont été arrêtés dans le centre du Caire pour des graffitis anti-militaristes.

Pendant ce temps, Morsi et un nombre inconnu de ses assistants continuent à être détenus par l’armée dans un lieu tenu secret. Aucune accusation n’a été officiellement formulée contre eux.

« C’est une période extrêmement volatile », dit Eid. Il émet des réserves sur le nouveau gouvernement, mais essaie d’avoir « quelque espoir » sur la formation d’un ministère de la justice. « Si ça ne fonctionne pas, alors ils [les manifestants anti-Mosri] sauront qu’ils ont été trompés. »

Plus alarmant pour l’EIPR de Bahgat, le fait qu’Ibrahim reste au gouvernement signifie que Morsi ne sera tenu de rendre compte d’aucun des crimes commis sous son mandat. « C’est pourquoi nous entendons tellement de fausses accusations contre Morsi comme quoi il se serait évadé de prison pendant la révolution de janvier. Ce sont des accusations qui ne peuvent pas se matérialiser. »

La situation pourrait être encore plus sinistre, prévient Omar Ashour, politologue à l’université d’Exeter et qui a publié de nombreux ouvrages sur la politisation du secteur de la sécurité en Égypte et sur la difficulté d’engager des réformes. « Nous sommes dans un climat semblable à décembre 2010 », dit-il, « ou, pire, novembre 1954 » lorsque les militaires ont mis fin à l’ère démocratique de l’Égypte et l’ont remplacée par six décennies de régime autoritaire.

Avec les forces armées et le ministère de l’Intérieur - qu’Ashour décrit comme « au-dessus » de l’État, la constitution et la justice - maintenant au pouvoir, « tout espoir d’une réforme du secteur de la sécurité s’est envolée ». Dans le même temps, nous entendons « des félicitations » pour la répression dirigée contre les Frères musulmans et les partisans de Morsi. Ceci est particulièrement dangereux, prévient Ashour, puisque après l’éviction de Moubarak, beaucoup de gens tout d’abord prudents ont ensuite ouvertement déclaré leurs convictions politiques. « Cela rend la chasse aux sorcières très facile », a déclaré Ashour à Al-Ahram Weekly.

Les défenseurs des droits de l’homme comme Ahmed Ragheb, concèdent que le climat est préoccupant. Il s’agit d’une claire tentative de revenir à l’époque de Moubarak, dit-il. « Mais ça ne marchera pas parce que les Égyptiens ont vraiment eu un problème avec l’ancien régime. Et ils ont considéré que Morsi n’était guère différent de Moubarak. »

« Beaucoup de gens savent bien que toutes les mesures prises pour réprimer les islamistes finiront par se retourner contre eux. »

* Amira Howeidy est éditrice adjointe de Al-Ahram weekly

De la même auteure :

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- Définir qui est l’ennemi - 26 avril 2007

23 juillet 2013 - Al-Ahram Weekly - Vous pouvez consulter cet article à :
http://weekly.ahram.org.eg/News/351...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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