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Après le lynchage de musulmans chiites en Égypte, les condamnations de Morsi ne suffisent pas !

mercredi 26 juin 2013 - 18h:45

Nervana Mahmoud

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Mon guide en parlait comme de « la mosquée idéale à Las Vegas ». Cette curieuse déclaration m’avait alors motivée pour visiter le sanctuaire de Sayyida Zeinab, dans le sud de Damas. Immédiatement, j’ai compris ce que le guide voulait dire. Le magnifique sanctuaire avec son dôme doré et ses faïences bleus, son style spectaculaire et son architecture élaborée et réussie, la foule animée qui l’entourait... était simplement écrasant.

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Des Égyptiens en deuil portent le cercueil d’une victime chiite - tuée dans l’explosion de violence sectaire - après les prières funéraires à la Mosquée El Sayeda Nafissa au Caire, le 24 juin 2013 - Photo : Reuters/Amr Abdallah Dalsh

Oui, c’était comme une version pieuse de ce que nous pourrions trouver à Las Vegas, avec les vêtements noirs et les services religieux en moins. Les chiites ont toujours preuve de rafinement, que ce soit dans leurs moments de bonheur ou de tristesse, dans leurs attitudes, leurs mosquées, leur théologie et leurs récits historiques qui se différencient de leurs coreligionnaires sunnites. Ces différences sont aussi anciennes que l’Islam et elles ont alimenté un conflit vieux de plusieurs siècles qui a souvent été sanglant et impitoyable.

L’Égypte heureusement n’avait pas connu ce qu’un pays comme l’Irak a enduré pendant des années, mais hélas, l’attaque barbare menée le 23 juin par toute une foule contre des musulmans chiites - et qui a fait quatre morts dans la ville de Zawyat Abu Musalam dans le gouvernorat de Guizeh, au sud du Caire - a d’une manière incontestable fait surgir en Égypte ce sectarisme d’une profonde laideur.

Mes voyages en Syrie, au Liban et plus tard en Iran m’ont donnée mon premier aperçu de la tension profonde et parfois cachée qui a toujours fait partie du Levant. Ils m’ont fait me rendre compte à quel point nous, Égyptiens, sommes ignorants sur l’islam chiite. Les gouvernements successifs de la plus grande nation arabe n’ont jamais pris la peine d’informer la population sur une de ses minorités, son histoire et de nombreux aspects historiques de sa religion.

Nos livres d’histoire décrivent les événements d’une manière très sèche, abstraite et soigneusement formulée. Par exemple, les livres décrivent avec précision que Al-Azhar a été fondée en 970 par le calife fatimide Al-Muizz Lideenillah, mais négligent de souligner que le plus haut siège de l’autorité religieuse sunnite était à l’origine un lieu de culte chiite - et qu’il a été fermé pendant 10 ans par Saladin pour y faire disparaître les marques de chiisme et le réouvrir comme une université sunnite. Un tel nettoyage de faits pourtant historiques a nourri l’ignorance chronique qui a ensuite été exploitée et a conduit à la persécution des chiites en Égypte. Il a également communiqué aux Égyptiens le sentiment trompeur d’être à l’abri du sectarisme.

Le plus ironique, c’est la façon dont les traditions chiites ont survécu en Égypte, mais cependant sans que nous ayons conscience que ce sont des pratiques chiites. Le règne chiite de Fatima au 10e siècle en Égypte a laissé un héritage profond qui n’a pas pu disparaître : des lanternes du Ramadan aux différentes confiseries conçues pour chaque fête musulmane, sans oublier le Moulid, une sorte de célébration mystique d’un carnaval d’anniversaire que les Égyptiens effectuent chaque année en l’honneur de nombreuses hautes figures religieuses, dont les membres de la famille du prophète comme Al-Hussain et Sayyida Zeinab. Même dans le deuil des morts, le fait de marquer les 40 jours après l’enterrement appelés « Arbayeen » est une coutume égyptienne. En fait, il vaudrait mieux présenter l’Islam égyptien comme une doctrine sunnite avec une saveur chiite particulière.

Dans l’histoire contemporaine de l’Égypte, le chiisme a essentiellement connu trois phases :

Tout d’abord, la phase de tolérance du chiisme. Des mariages entre communautés avaient lieu, tout comme c’était le cas au Liban et en Irak. Le plus célèbre est le mariage de la sœur du roi Farouk, Fawzyia, au Shah d’Iran. Personne en Égypte, y compris les savants religieux, n’avait exprimé de réserve au sujet de ce mariage. Le mariage a échoué, mais certainement pas pour des raisons religieuses.

Deuxièmement, la phase de l’indifférence dans laquelle les chiites ne sont pas nécessairement persécutés, mais comme pour de nombreuses minorités, il est attendu d’eux qu’ils abandonnent leur identité au profit de l’identité du nationalisme arabe parrainée par le gouvernement.

Troisièmement, la discrimination et la persécution. L’avènement de la République islamique d’Iran, avec la résurgence de l’Islam wahhabite dans le Golfe, a conduit à une polarisation croissante et au développement dans la société de préjugés contre les chiites. Le régime de l’ancien président Hosni Moubarak a poussé à cette évolution, et il a arrêté et persécuté les chiites. Cela faisait partie d’une politique de la carotte et du bâton s’appliquant aux islamistes sunnites radicaux, et consistant à fermer les yeux sur leur haine sectaire et leurs opinions extrêmes, allant même jusqu’à arrêter leurs « ennemis », mais avec dans le même temps une répression sans pitié contre les islamistes sunnites quand ceux-ci contestaient l’autorité. Les chiites, tout comme les coptes et les autres minorités, se retrouvaient coincés entre l’enclume des islamistes et le marteau de l’État.

La révolution de janvier 2011 n’a pas amélioré la situation des chiites. En fait, elle l’a même aggravée. Moubarak gardait une forte emprise sur tout ce qui était sécuritaire et n’autorisait pas de chaînes religieuses de télévision à tenir des discours haineux et à diffuser des idées sectaires. La révolution a amené la pire des combinaisons anti-minorités possible : des médias religieux indépendants qui répandent la haine et de fausses informations, un effondrement de l’ordre public et une augmentation de la rhétorique anti-chiite. Fin avril, des dizaines d’islamistes ont manifesté contre un militant chiite égyptien. En mai dernier, un député du parti salafiste Nour, a fait valoir que le tourisme iranien en Égypte menaçait la sécurité nationale et sapait la doctrine sunnite du pays.

Mais le principal facteur qui a finalement conduit à l’attaque de dimanche, c’est l’horrible incitation publique des Frères musulmans contre les chiites. En avril dernier, Mohamed Wahdan, un membre de la direction de l’organisation des Frères musulmans, a déclaré que les chiites n’avaient pas leur place en Égypte. L’initiale relation chaleureuse avec l’Iran et les efforts réalisés en commun pour négocier un règlement politique au conflit syrien furent de courte durée et suivis d’une volte-face du président Mohammed Morsi. Le 15 mai, un certain nombre de salafistes ont insulté les chiites au cours d’une manifestation pro-insurrection en Syrie à laquelle participait Morsi, « qui écouta silencieusement, tout en restant impassible ». Il n’est pas surprenant que beaucoup aient interprété cette absence de réaction comme un permis pour lyncher les chiites, considérés par de nombreux islamistes radicaux comme des hérétiques.

En Iran, il est fréquent de voir des fontaines d’eau au milieu des mosquées, un héritage symbolique de la façon dont l’Islam a éteint le feu zoroastrien. Si Morsi et son parti veulent vraiment éteindre le feu du sectarisme, ils doivent faire plus que simplement se contenter de condamnations verbales. L’ignorance et l’incitation anti-chiite doivent être combattues. Le régime islamiste de l’Égypte qui prétend avoir comme manifeste la renaissance, ne doit ni soutenir le tribalisme pré-islamique et l’arriération crasse, ni ressusciter la tragique période de la guerre inter-islamique. Nous devrions être fiers de notre héritage chiite, embrasser nos frères chiites et faire preuve d’une absolue tolérance - c’est-à-dire de ce qu’il y a de meilleur dans notre foi.

* Nervana Mahmoud est journaliste spécialisée sur les questions du Moyen-Orient. Sur Twitter : @Nervana_1

24 juin 2013 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach


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