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Le paradoxe saoudien

vendredi 20 avril 2007 - 09h:38

Mohamad Bazzi - The Nation

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L’Arabie Saoudite est tiraillée entre le besoin de ménager le protecteur américain, la nécessité de faire pièce à l’influence de l’Iran, et le souci de rester en phase avec une l’opinion arabe qui juge les USA en position de faiblesse, et admire le courage de Téhéran et de son allié Hezbollah. Mohammed Bazzi analyse les contradictions auxquelles doit faire face la maison Saoud.

(Extrait)

(...)

Il y a des signes qui montrent que l’Arabie Saoudite poursuit désormais ses propres objectifs au Moyen-Orient. En février, le roi Abdallah a ?uvré en vue de l’accord entre le Hamas et le Fatah pour un gouvernement d’unité dans les Territoires palestiniens. Le roi a appelé à mettre fin au boycott européen et américain contre l’administration palestinienne - malgré l’insistance des USA et d’Israël pour la poursuite du boycott jusqu’à ce que le Hamas renonce à la violence et reconnaisse le droit à l’existence d’Israël. Les Saoudiens s’adressent aussi à l’Iran. Abdallah a récemment reçu le Président Mahmoud Ahmadinejad à Riyad, tandis que d’autres dirigeants saoudiens travaillent de concert avec les officiels iraniens pour mettre fin à la crise politique que traverse le Liban depuis cinq mois.

Mais pris ensemble, ces événements ne prouvent pas l’existence d’un tournant dans la politique saoudienne envers l’Irak ou l’administration Bush en général. Vers la fin de l’année 2006, après la victoire des Démocrates au Congrès et la parution du rapport de l’Iraq Study Group qui recommande un retrait par étapes, les Saoudiens se sont énormément inquiétés du fait que l’Amérique puisse quitter l’Irak. Nawaf Obaid, un conseiller à l’ambassade saoudienne aux États-Unis, a publié une tribune dans le Washington Post, avertissant que dans le cas d’un retrait américain, le gouvernement saoudien fournirait des fonds, des armes et un support logistique aux milices sunnites en Irak. (Bien qu’Obaid ait été plus tard démis de son poste de conseiller, ce texte est encore compris comme un mise en garde sur la manière dont les Saoudiens réagiraient à un retrait Américain.)

Pourquoi donc est-ce que les Saoudiens émettent des messages contradictoires ? L’Administration Bush est devenue si impopulaire que même ses alliés les plus loyaux essaient de s’en distancer publiquement. Et cette stratégie semble efficace pour les Saoudiens, à en juger par la réaction dans les médias américains et la rue arabe. Les Saoudiens couvrent aussi leurs arrières en courtisant à la fois les Américains et les Iraniens. L’invasion américaine et l’occupation de l’Irak qui a suivi ont alimenté une nouvelle vague de sentiment anti-américain au Moyen-Orient. Aujourd’hui, tout allié des États-Unis est regardé dans le monde arabe comme un traître, en commençant par le gouvernement à dominante chiite de Bagdad. « Les gens sont contre n’importe quoi ou n’importe qui associé à l’Amérique », dit Mohammad Salah, le chef du bureau du Caire du journal pan-arabe Al-Hayat. « Ils ne veulent plus d’ingérence américaine dans la région. »

La Maison des Saoud a une longue expérience des alliances contradictoires. Depuis les années 1930, la famille régnante a mené de pair deux alliances bancales : l’une comme allié et fournisseur majeur de pétrole aux États-Unis, et l’autre comme partenaire politique avec les religieux Wahhabites qui dominent la politique sociale et religieuse du royaume, et dont le clergé pratique depuis longtemps la vindicte de l’Amérique et de l’Occident. L’Arabie Saoudite qui détient un quart des réserves de pétrole connues du monde est le deuxième pays étranger fournisseur de pétrole aux États-Unis. Au total, l’Arabie Saoudite fournit approximativement 11% de la consommation annuelle de pétrole de l’Amérique, et utilise son influence à l’OPEP pour garder des prix de pétrole aux niveaux désirés par Washington et l’industrie pétrolière.

En échange d’un approvisionnement stable en pétrole, les différentes administrations américaines ont protégé la famille des Saoud et lui ont assuré une assistance militaire chaque fois que des voisins agressifs, tel l’Irak, ont menacé le royaume. En 1990, quand Saddam Hussein a envahi le Koweït voisin, les États-Unis ont envoyé des centaines de milliers de soldats en Arabie Saoudite et ont utilisé ce pays comme base à partir de laquelle ils ont chassé les Irakiens hors du Koweït. Après la guerre, de l’ordre de 5 000 soldats américains sont restés dans le royaume à la base aérienne du Prince Sultan, et ce centre de commandement high-tech a servi de quartier général pour les frappes aériennes américaines sur l’Afghanistan en 2001.

La présence militaire américaine sur le sol saoudien a rendu furieux les radicaux islamiques qui ont fustigé la décision des Saoud de permettre la présence des forces « infidèles » occidentales dans le lieu de naissance de l’Islam. Oussama ben Laden était parmi ceux qui se sont retournés contre la famille régnante en 1990. Certains Saoudiens pensent que Oussama ben Laden a tout spécialement voulu que la majorité des pirates de l’air du 11 Septembre soient des Saoudiens y voyant une façon de semer la zizanie entre Washington et les Saoud. Aujourd’hui, le royaume du désert est couvert de gratte-ciels scintillants, de centres commerciaux dont les boutiques ont des noms de marque américains et des autoroutes ou circulent des Buick et Chevrolet. Les Saoudiens aiment la culture et les produits américains ; ils haïssent la politique étrangère américaine. Il est important pour la maison des Saoud de faire montre d’opposition à Washington dans la mesure où bien des Saoudiens ont le sentiment que l’Amérique exploite leur pays.

« L’Amérique doit cesser de ne voir en l’Arabie Saoudite qu’une station-service », m’a dit en 2003, à Riyad, un professeur de littérature à l’Université du Roi Saoud et réformateur saoudien de premier plan, Mojeb Zahrani. « Car c’est la raison pour laquelle existe depuis longtemps un rapport déséquilibré » entre les deux pays. La nouvelle stratégie de roi Abdallah vise aussi à faire oublier l’alliance renouvelée entre Washington et les régimes autoritaires sunnites arabes - Egypte, Jordanie, Arabie Saoudite et autres pays du Golfe Persique - qui essaient de contrecarrer l’Iran (qui est considéré comme le sommet du fameux de "croissant chiite" décrit par le Roi Abdallah de Jordanie, qui s’étire à travers l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban).

Chaque camp aide à alimenter une guerre par procuration en Irak, les régimes sunnites soutenant des militants sunnites et l’Iran des milices chiites. Gary Sick, un expert de l’Iran et membre du la précédente équipe du Conseil de Sécurité National, argue que cette nouvelle alliance, qui inclut Israël, vise à détourner l’attention de l’Irak pour la focaliser sur l’Iran en tant que menace principale de la région. « Le principe sous-jacent de la nouvelle stratégie est la confrontation et la contention de l’influence chiite-et spécifiquement de l’influence iranienne-où qu’elle apparaisse dans la région », déclare Sick, qui enseigne maintenant à l’Université de Columbia. « Les états arabes peuvent même faire passer au second plan leur hostilité envers Israël, au moins temporairement, du fait d’une peur encore plus grande de voir l’Iran dominer la région. » Bien que l’Arabie Saoudite ait une majorité sunnite, ses dirigeants craignent l’influence potentielle de l’Iran sur une population chiite assez nombreuse et quelque fois rétive concentrée dans la Province Orientale riche en pétrole du royaume. Au Bahreïn - un autre allié Américain clé au Golfe Persique - la majorité chiite se rebiffe devant les souverains sunnites qui craignent aussi l’influence de l’Iran.

A l’heure ou l’Irak s’enfonce de façon croissante dans le chaos et de sanglants affrontements confessionnels, les régimes arabes sunnites font pression sur l’administration Bush pour redémarrer des négociations de paix entre Israël et les Palestiniens. Lors de leur récent sommet, les dirigeants arabes ont repris leur offre datant d’il y a cinq ans - alors soutenu par Abdallah au sommet arabe de Beyrouth en 2002 - pour un accord de paix entre Israël et tous les états arabes. Ce plan demande le retrait israélien de toutes les terres arabes conquises pendant la guerre de 1967, la création d’un état palestinien englobant Jérusalem-Est, et une « solution juste » au problème de plus de 4 millions de réfugiés palestiniens. Mais Israël rejette le retrait de Jérusalem-Est et de l’ensemble de la Cisjordanie, ainsi que le « droit au retour » pour les descendants des Palestiniens qui ont fui ou ont été expulsés de leurs maisons quand Israël a été créé en 1948. Bien qu’il s’agisse de progrès limités, les efforts de paix pourraient fournir une excuse diplomatique pour les états arabes sunnites afin de coopérer plus étroitement avec Israël - et travailler pour isoler l’Iran encore plus.

La guerre[américaine] en Irak a déclenché des haines sectaires qui seront difficiles à contenir, même si Washington et ses alliés arabes s’avèrent capables de détourner l’attention vers l’Iran. À part l’Irak, les tensions sectaires sont très réelles au Liban où des confrontations sanglantes ont eu lieu en janvier dernier entre les partis politique sunnites appuyés par les USA et le Hezbollah, la milice chiite appuyée par l’Iran. Pendant la guerre civile du Liban qui a eu lieu entre 1975 et 1990, le fossé religieux existait entre musulmans et chrétiens. Cette fois le conflit est principalement entre sunnites et chiites. C’est aussi une extension de la guerre par procuration en cours en Irak - mettant en scène l’Iran contre l’alliance arabe sunnite et américaine. « Les Arabes observent les événements au Liban et s’inquiètent d’une contagion venue d’Irak », dit Diaa Rashwan, un chercheur de haut rang au Centre pour les Études politiques et stratégiques Al Ahram au Caire. « La guerre de religion pourrait s’étendre. »

Les centres de pouvoir traditionnels du monde arabe sont extrêmement nerveux au sujet de l’influence croissante de l’Iran : ses ambitions nucléaires, son influence sur le gouvernement irakien et les milices chiites, son appui au Hezbollah et au Hamas et son alliance avec la Syrie (que certains régimes arabes accusent d’être un traître à la cause arabe). Contrairement à une impression répandue, les leaders arabes ne sont pas inquiets du fait que l’Iran puisse exporter les aspects culturels et théologiques du chiisme ; ils ont plutôt peur que le chiisme politique gagne le monde arabe par l’intermédiaire de groupes comme le Hezbollah. Le succès militaire du groupe contre Israël pendant la guerre de l’été dernier a électrifié la rue arabe, et il est en opposition radicale avec la politique d’apaisement des dirigeants arabes envers les États-Unis. Les régimes arabes craignent que leurs populations sunnites soient séduites par l’Iran et le message de renforcement des dépossédés du Hezbollah - créant un mélange nouveau et puissant d’arabisme et d’identité chiite.

Il existe un certain précédent à cela. Après la révolution islamique de 1979 en Iran, l’Ayatollah Khomeini - et l’ensemble du courant iranien hostile au Chah appuyé par les Etats-Unis - a stimulé le zèle révolutionnaire des nationalistes de l’ensemble du monde arabe. Les répercussions de la révolution ont été ressenties pendant longtemps au Moyen-Orient, poussant, indirectement, à l’émergence de quelques mouvements militants sunnites et chiites et inspirant les chiites au Liban et en Irak. Nulle part cette influence n’a été ressentie plus profondément qu’au Liban, où l’Iran a aidé à créer le Hezbollah après l’invasion israélienne de 1982.

Nous pourrions être témoins d’un moment historique semblable, les événements en Iran et en Irak entraînant des conséquences profondes pour le cours du monde arabe. Et c’est pourquoi les dirigeants saoudiens adoptent soudainement un langage sévère contre l’Amérique. Menacés par ce nouveau défi qui peut voir les chiites devenir les porte-drapeaux de l’arabisme, les Saoudiens essaient de réaffirmer leur rôle de leaders du monde Arabe et, au sens large, musulman. Dans un discours prononcé lors du sommet de la Ligue Arabe, Abdallah a insisté sur le fait que ce n’est que lorsque les chefs arabes s’unissent qu’ils « sont capables d’empêcher les pouvoirs étrangers de façonner le futur de la région » - une référence claire aux États-Unis et à l’Iran. Il a alors ajouté une critique rare envers lui-même et d’autres souverains arabes : « Nous sommes les véritables personnes à blâmer, nous, leaders de la nation arabe, pour nos disputes incessantes, et notre refus de nous unir », a-t-il déclaré. « Tout cela a fait que la nation arabe perde confiance en notre crédibilité et perde l’espoir. »


Mohamad Bazzi, chef du bureau du Moyen-Orient du quotidien américain Newsday.

Mohamad Bazzi - The Nation, le 10 avril 2007 : The Saudi Paradox
Traduction : Karim Loubnani, Contre Info


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