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L’intervention du Hezbollah en Syrie risque d’entraîner tout le Liban dans la guerre

mardi 28 mai 2013 - 07h:39

Robert Fisk

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C’est potentiellement le plus grand danger auquel fait face le peuple du Liban, depuis la guerre civile de 1975 à 1990.

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25 mai 2013 - Des partisans du Hezbollah libanais écoutent le discours télévisé de leur dirigeant Hassan Nasrallah dans le village de Mashghara dans la vallée de la Bekaa

Sayyed Hassan Nasrallah a franchi le Rubicon.

Le même dirigeant du Hezbollah à avoir déclaré il y a exactement 13 ans que son mouvement de résistance ne franchirait pas la frontière israélienne - que c’était aux Palestiniens de « libérer » Jérusalem - nous dit aujourd’hui que le Hezbollah a franchi la frontière syrienne. Non seulement cela, mais Nasrallah a déclaré ce week-end qu’il se battrait « jusqu’au bout » pour protéger le régime du président Bachar al-Assad. Le Hezbollah, a-t-il encore dit, entrait dans « une phase complètement nouvelle. » Il ne peut dire mieux.

Je me trouvais sur un toit dans la ville de Bint Jbeil, au Sud Liban, quand j’ai entendu cette promesse de Nasrallah il y a tant d’années. Le Hezbollah ne poursuivrait pas sa progression jusqu’en Palestine. Nous avons tous poussé un soupir de soulagement. Que s’était-il passé ? En ces jours, Nasrallah était comparu en personne, debout au milieu de ses combattants en adoration et de leurs familles. Maintenant, il vit caché. Est-il sous l’emprise de cette clandestinité ? Il a dit avoir reçu des lettres de familles le priant de laisser leurs fils combattre en Syrie. Une vision hors des réalités, peut-être ?

C’était, bien sûr, inévitable. Le mois dernier, j’ai rencontré un des hommes du Hezbollah « protégeant » la mosquée de Sayda Zeinab, dans le sud de Damas. « Ne dites pas que vous m’avez vu ici, » me dit-il. Une bonne âme qui avait épinglé une photo de Nasrallah et de Khamenei, le guide suprême d’Iran au mur de son bureau, qui venait de cette même ville de Bint Jbeil.

Deux jours plus tard, le Hezbollah a admis que ses hommes « gardaient » le sanctuaire en première ligne. Puis nous avons appris que 12 d’entre eux avaient été tués. Je ne sais pas si mon interlocuteur était parmi eux. Depuis plusieurs mois, le Hezbollah avait discrètement admis que ses combattants « protégeaient » également les villages chiites à l’intérieur de la Syrie dont les habitants étaient libanais. Puis les corps ont commencé à rentrer chez eux. Un d’abord, puis six, puis ils sont venus par dizaines.

Une fois que le Hezbollah s’est engagé dans la bataille pour Qusayr aux côtés des troupes syriennes, un porte-parole de cette organisation la plus efficace et et la plus radicale, a prétendu que ses combattants étaient en réalité en route vers le sanctuaire à Damas, mais qu’il y avait eu une erreur et qu’ils se sont retrouvés pris dans une fusillade dans le no man’s land. Une histoire possible. Qusayr - juste à côté de l’autoroute reliant Lattaquié à la côte syrienne - est à bien plus de 150 kilomètres de Damas. Puis 30 autres corps sont rentrés au Liban. Et Nasrallah a dit ce qu’il avait à dire. Il a beaucoup parlé de la Palestine et de la mosquée al-Aqsa. Mais ses hommes sont pendant ce temps en route vers l’est de la Syrie, et non pas vers le sud de la Palestine, et Histoire jugera Nasrallah sur ce discours.

Il a parlé, bien sûr, du danger des « extrémistes » qui tentent de renverser Assad, affirmant qu’ils étaient aussi un danger pour le Liban, la Syrie d’Assad étant un pilier du Hezbollah « et la résistance ne pouvant pas rester les bras croisés tandis que son dos est brisé ».

Ce qu’il n’a pas dit, c’est que ses combattants chiites se battaient contre des sunnites syriens - dont les coreligionnaires représentent environ 30% de la population du Liban. C’est pourquoi la bataille entre les sunnites et les chiites alaouites dans la ville libanaise de Tripoli au nord a éclaté avec tant de férocité après que le Hezbollah ait pris part aux combats dans Qusayr aux côtés des soldats d’Assad.

Tout simplement, c’est potentiellement le plus grand danger pour le peuple du Liban - pour ne pas parler de sa souveraineté - depuis la guerre civile de 1975 à 1990.

« Si la Syrie tombe entre les mains de l’Amérique, d’Israël et des takfiris [extrémistes sunnites], la résistance sera assiégée et Israël entrera au Liban et imposera sa volonté. » C’est ce que Nasrallah a dit samedi soir, sur l’écran géant érigé dans la ville de Mashgara, le jour du 13e anniversaire de la libération du Sud Liban de l’occupation israélienne. Ce qu’il voulait dire, c’est que si Assad tombe, le soutien politique et l’armement venu d’Iran dont dispose le Hezbollah, viendront à leur fin. Et il n’y aura alors plus de Hezbollah pour chasser les Israéliens quand ceux-ci reviendront.

Rappelons-nous simplement que la destruction de la République islamique d’Iran - comme État théologique créé par l’ayatollah Khomeini en 1979 - est actuellement l’alpha et l’oméga de la politique américaine et israélienne à l’égard de ce pays autrefois appelé la Perse. La guerre israélienne de 2006 contre le Hezbollah était une tentative de détruire un allié chiite libanais de l’Iran. La bataille contre Assad - une guerre soutenue par les États-Unis, l’Union Européenne et ces merveilleuses dictatures du Golf tant éprises de démocratie, est une tentative de frapper le seul allié arabe de l’Iran. La guerre des rebelles en Syrie, soutenue par l’Occident, est donc une guerre par procuration contre l’Iran.

Si - comme Nasrallah le dit avec insistance - le Hezbollah est vraiment un mouvement de « résistance », comment se fait-il qu’il n’appuie pas la résistance contre Assad ? Par ailleurs, si le Hezbollah est une création purement libanaise - et là encore, c’est ce sur quoi Nasrallah insiste - quel droit a-t-il d’envoyer des centaines, voire des milliers de ses hommes participer aux batailles d’Assad ?

Officiellement, le Liban s’est « dissocié » lui-même de la Syrie. Mais si les combattants de sa plus grande communauté musulmane sont allés se battre pour Assad, que reste-t-il de sa prétention à la neutralité politique ? Nasrallah peut être le premier dirigeant du Hezbollah, mais il n’est pas le président du Liban. C’est pourquoi le président Michel Sleiman a averti juste un jour avant que Nasrallah ne fasse son discours, que le Hezbollah ne devrait pas permettre que le Liban soit plongé dans une guerre sectaire. « Comment une nation peut-elle offrir un si merveilleux exemple de résistance et de sacrifice, » a-t-il demandé, « tout en encourageant les divisions sectaires ? » Bonne question.

Dans son discours, Nasrallah a promis à ses partisans « une nouvelle victoire. » Macbeth n’aurait pu mieux dire. Le sang appelle le sang, disent-ils.

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* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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26 mai 2013 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib


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