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La Syrie révèle Israël

samedi 25 mai 2013 - 06h:55

Philippe Grasset

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La politique israélienne vis-à-vis de la Syrie représente un cas remarquable des erreurs des pays du bloc BAO, puisque effectivement nous incluons Israël dans le bloc BAO.

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L’invasion terrestre du sud-Liban par l’armée israélienne en 2006, s’était terminée de piteuse manière... Une nouvelle débâcle israélienne, face à la résistance libanaise, est aujourd’hui à nouveau possible en cas d’agression contre le Liban, voire contre la Syrie.

On devrait alors même préciser que c’est le cas le plus remarquable, le plus significatif du bloc BAO parce que ce pays est directement au contact de la Syrie et qu’il souffre (le verbe est à prendre dans son sens propre) d’une réputation d’une des meilleures capacités de renseignement au monde. Le problème d’Israël vient d’être illustré par un tournant stratégique qu’il semble avoir effectué la semaine dernière en passant brusquement d’une politique de contribution de plus en plus appuyée à la tentative de faire chuter le régime syrien, à l’affirmation d’une politique de désengagement, avec la précision semi-officielle (dans le Times du 18 mai) que le maintien au pouvoir d’Assad était préférable à la victoire des rebelles.

Tout cela repose sur cette réputation d’excellence proche de la perfection de ses services de renseignement, qui fait plutôt figure, à la lumière de diverses péripéties, de mythe fabriqué selon une tendance irrépressible à l’autosatisfaction. Comme le résumait en d’autres temps l’ancien Premier ministre et ministre de la défense Ehud Barak après la cinglante défaite israélienne de l’été 2006 face au Hezbollah, « Bien que nous ayons les meilleurs services secrets et les meilleures capacités d’anticipation du monde, il nous faut toujours un dreidel (toupie de Hanouka, ndt) pour comprendre comment le Hezbollah nous a eus ». Il apparaît donc, à côté de leur réputation d’exceptionnalité, que les services de renseignement et de sécurité israéliens montrent une constance remarquable dans l’erreur. Cette caractéristique fut notamment illustrée de façon spectaculaire et très dangereuse, qui amena Israël au bord de la défaite dans les trois premiers jours de la bataille, lors de la guerre du Yom Kippour d’octobre 1973. Le renseignement israélien avait catégoriquement annoncé que cette guerre n’aurait pas lieu, que ni l’Égypte ni la Syrie n’oseraient attaquer, ce qui donna naissance à une plaisanterie courante en Israël : « Chaque fois que les services secrets disent qu’aucune guerre n’est en vue, les vétérans de la guerre de Yom Kippur se précipitent à couvert. »

Mohamed Bdeir, dans Al-Akhbar English du 20 mai 2013, fait un historique des erreurs sans nombre du renseignement israélien, essentiellement des erreurs stratégiques que semblent dissimuler des victoires tactiques auxquelles il est fait une grande publicité. Il termine par la description de la situation actuelle en Syrie où, par son intervention armée du début du mois, Israël semble avoir provoqué une riposte inattendue et extrêmement préoccupante, qui est la réouverture du front du Golan après un apaisement de près de quatre décennies. Une telle perspective promet pour Israël une “guerre d’attrition” particulièrement épuisante...

« Mais Israël s’est retrouvé nez à nez avec une autre de ses erreurs de jugement quand la riposte du bloc Syrie-Iran-Hezbollah a été différente de ce à quoi il attendait. Israël a semblé l’emporter sur le plan tactique, mais a perdu sur le plan stratégique. Le problème en effet n’est pas simplement la menace extraordinaire d’Assad de fournir des armes à la Résistance syrienne, mais la décision stratégique d’ouvrir un front sur le Golan, ce qui ne signifie pas moins qu’une guerre d’attrition où Israël n’aura pas l’avantage.

 »Confronté à ce défi, Israël a joué à son jeu favori, la fuite en avant, en menaçant officiellement d’appliquer la politique des "lignes rouges", et de renverser le régime syrien s’il osait mettre en oeuvre sa décision d’armer la Résistance, d’ouvrir un front sur le Golan et de riposter militairement si Israël l’attaquait à nouveau.

 »Que faut il en penser par rapport à la situation de fracture régionale ? Eh bien que nous allons assister à un nouvel épisode du syndrome israélien de mauvais calcul. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les alliés stratégiques de la Syrie (Russie, Iran et Hezbollah), qui ont interdit et empêché l’intervention armée directe souhaitée par le Conseil de Sécurité de l’ONU, l’OTAN, la Turquie et d’autres pays, ne resteront pas inactifs pendant qu’Israël tentera de mettre son projet à exécution. »

Un autre article virulent contre les erreurs israéliennes est publié par le journaliste israélien Shlomi Eldar, fameux en Israël où il travaille pour la télévision et qui a été couronné en 2007 par la plus haute distinction journalistique, le Prix Sokolov. Eldar décrit, le 19 mai 2013, pour Al-Monitor Israel Pulse, les errements israéliens vis-à-vis de la Syrie, couronnés par le tournant stratégique radical décrit plus haut, effectué la semaine dernière selon des sources officieuses. Nous donnons ci-dessous des extraits substantiels de cet intéressant article, qui permet d’avoir, d’une plume israélienne expérimentée, une bonne idée de la posture stratégique israélienne actuelle.

« Au cours des deux dernières années, il y a eu un certain nombre d’assomptions largement partagées en Israël sur ce qui allait finalement arriver en Syrie. A la fin de la semaine dernière ces assomptions se sont effondrées avec la violence d’un tremblement de terre. Nous voulons parler des opinions qui étaient considérées comme de pur bon sens par le public israélien et qui ont eu un impact considérable tant sur les décideurs politiques que sur les stratèges militaires pendant deux ans. Les voilà :

 »1. L’intervention internationale en Syrie est inévitable. Tôt ou tard, le monde libre sera obligé d’agir pour arracher la population civile du pays aux griffes du président Bashar al-Assad et de son armée.

 »2. Une attaque israélienne contre Assad le terrorisera et l’empêchera de transférer des armes au Hezbollah ou de contre-attaquer.

 »3. L’aide que le Qatar et la Turquie fournissent aux rebelles devrait en fin de compte changer l’équilibre des forces.

 »4. La pomme (Bashar) est tombée loin de l’arbre (l’ancien président syrien Hafez al-Assad). Selon cette assomption, Bashar a peur de son ombre et même la plus petite brise peut l’abattre et le déséquilibrer (c’est comme ça, d’ailleurs, qu’il est représenté dans la populaire série satirique télévisée “Eretz Nehederet,” mais on y reviendra).

 »5. Les services secrets israéliens brossent un tableau fidèle de la situation et leurs données doivent être à la base de toute décision sur la manière de répondre à la situation en Syrie.

 »6. “Le régime d’Assad sera renversé en quelques semaines” (l’ancien ministre de la Défense Ehud Barak le 11 déc. 2011).

 »Et tout à coup, en l’espace d’une semaine, tout le monde a réalisé que le paramètre le plus important n’avait pas été pris en compte dans les dernières analyses de la situation au Moyen-Orient en général et en Syrie en particulier... [...]

 »A la fin de la semaine dernière, [le 17 mai], 12 navires de guerre russes ont été envoyés en patrouille au large de la base navale russe de Syrie pour faire oeuvre de présence dans la région. Le message était clair. Il avait la taille d’une d’un porte avion russe. Ce que les Russes voulaient dire, c’est que personne ne devait envisager une seule seconde de décider de l’avenir de la Syrie et par extension d’Assad, sans prendre en considération les intérêts stratégiques de Moscou. Les Etats-Unis et Israël ont compris le message.

 »L’Union Soviétique a des intérêts stratégiques en Syrie depuis le milieu des années 1960. Il en est de même pour la Russie d’aujourd’hui. Sa base syrienne est la base la plus avancée que la Russie ait encore au Moyen-Orient et une personnalité telle que le président Poutine n’y renoncera jamais, en tous cas certainement pas pour des "raisons humanitaires", d’autant plus que les Russes trouvent la situation assez équilibrée du fait qu’ils considèrent Israël comme la plus importante base stratégique étasunienne de la région.

 »Oui, la Russie a des intérêts stratégiques personnels en Syrie ce qui rend la démarche du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu auprès de Moscou la semaine dernière encore plus ridicule. Le premier ministre a essayé de dissuader Poutine de vendre des missiles S-300 [anti-aériens] à Assad, au motif que cela pourrait avoir de graves répercussions sur l’armée de l’air israélienne. Netanyahou s’est-il vraiment imaginé qu’un entretien à coeur ouvert avec le leader russe le ferait renoncer à soutenir Assad ?

 »A la fin de la semaine dernière, la réalité semblait indiquer que l’affirmation des services secrets israéliens selon laquelle Assad était sur le point de tomber, était pour le moins prématurée. De plus, selon une source israélienne citée par le London Times (18 mai 2013), dans les circonstances actuels, Assad est en fait une bonne chose pour Israël : "Il faut mieux un démon que nous connaissons que les diables auxquels il faut s’attendre si la Syrie sombre dans le chaos et que les extrémistes de tout le monde arabe s’y installent." la vraie question est : "Où étaient-ils avant ?" Je veux parler de ces "décideurs israéliens" et ces "officiels de haut rang" que la presse mentionne.

 »Quand un correspondant politique, diplomatique ou militaire se trompe, il fait surtout du tort à sa propre réputation ou à la réputation du média qu’il représente. Les commentateurs et les journalistes s’appuient sur des informations publiques et souvent sur des fuites intentionnelles des partis en présence.

 »Le changement du tout au tout de l’attitude d’Israël envers Assad de la semaine dernière soulève de sérieuses questions sur les gens qui décident de notre stratégie de défense. Aucun d’entre eux ne savait-il donc avant la semaine dernière ce qu’Assad répète depuis longtemps, à savoir que son pays est devenu le repaire d’organisations terroristes ?

 »Au lieu de s’en assurer, d’analyser la situation et de se préparer pour le pire scénario, Israël a préféré se moquer d’Assad. Les parodies d’Assad (comme celles mentionnées plus haut dans “Eretz Nehederet”) le présentent comme un lâche et un peureux, une "lopette" pour parler familièrement, incapable de résister à la pression. On l’assimile à d’autres leaders arabes autrefois respectés comme l’ancien président d’Egypte, Hosni Mubarak, l’ancien leader de la Libye, Mouammar Kadhafi. Mais c’est peut-être ça le problème. Les gens vont trop vite en le comparant aux anciens dirigeants de l’Egypte et de la Libye qui ont été renversés assez rapidement. Je ne veux pas croire que les leader israéliens soient influencés par les satires de la télévision.

 »Comme nous l’avons déjà noté, c’est dans la déclaration d’Ehud Barak en 2011 qu’on trouve la raison principale de l’échec d’Israël à comprendre ce que se passe en Syrie. A l’époque, Barak a donné à Assad quelques semaines avant d’être renversé. Il y a de cela un an et demi. Depuis, Barak a été "renversé" tandis qu’Assad est toujours au pouvoir. La personne qui a le mieux exprimé cela est l’ancien chef des services secrets israéliens, Uri Sagi, dont la voix s’est élevée avec la force d’un prophète qui crie dans le désert, pour demander : "Qui sommes-nous pour décider ? Quels moyens avons-nous de déterminer qui dirigera la Syrie voisine et comment ?" »

Nous proposons d’ajouter à cette bordée de critiques contre le renseignement et la stratégie israéliennes plusieurs faits qui se détachent de ces deux seules questions. Cela permet d’élargir le tableau et d’introduire une appréciation générale de la posture actuelle d’Israël.

• Il y a d’abord le fait symbolique de la concentration en cours d’un flotille russe de Méditerranée, avec 5-6 navires initialement, qui devrait passer à huit unités en déploiement constant. Les USA, eux, ont entamé le mouvement inverse avec le retrait d’un porte-avions de la zone. Ce mouvement de décroissement de la présence militaire US devrait se poursuivre avec le retrait de forces aériennes d’Europe, tout cela étant dû aux contraintes de la séquestration qui coupent les budgets de fonctionnement. Parallèlement, la rumeur de la présence de SS-26 Iskander en Syrie est à nouveau identifiée dans divers textes (par exemple, voir sur PressTV.com, Gordon Duff le 22 mai 2013). L’ensemble fait peser encore plus le poids stratégique de la Russie sur la crise dans ses ramifications géographiques autant que sur la psychologie de sa perception, – et l’on sait que cette présence n’est pas favorable aux écarts et aux foucades israéliennes, et passe par une ferme protection de la légitimité et de la souveraineté en Syrie.

• On peut suivre, sur DEBKAFiles, une chronique féroce des déboires israéliens. Ce site, qui est connu comme une des voix des services de sécurité israéliens, a pris une posture suivie de mise en cause radicale de la politique du gouvernement Netanyahou, – si tant est qu’on puisse parler de “politique”. DEBKAFiles ne cesse de tresser des couronnes aux performances des Syriens avec le Hezbollah, s’ouvrant une voie vers le Golan pour établir leur “front” et, d’une façon générale, sur le comportement de l’armée syrienne. Voyez par exemple ce rapport du 22 mai 2013 :

« L’armée syrienne en plus de deux ans de guerre civile a prouvé qu’elle avait un haut niveau de professionnalisme, de résistance à la pression et surtout de discipline. Pas une seule fois, au cours de ce conflit brutal, il n’y a eu d’initiative personnelle d’une unité locale ou d’un commandant. Tous les mouvements ont été dirigés depuis le palais présidentiel à Damas par le général d’état major. Même quand les troupes syriennes ont essuyé des revers, elles se sont repliées en ordre. Depuis plusieurs mois on n’entend plus parler de désertions de masse dont les chiffres avaient d’ailleurs été grandement exagérés par l’opposition.

 »Par conséquent, la prise de position d’Israël, communiquée à des correspondants de l’armée mercredi 22 mai par des membres anonymes de la Défense israélienne, selon laquelle il fallait attendre de savoir si l’attaque syrienne sur la Golan avait été ordonnée par Assad ou si c’était une initiative locale, n’était pas seulement hors de propos mais dangereuse : elle a donné l’impression que les décideurs israéliens ne savaient pas comment réagir à la ferme résolution du leader syrien soutenu par l’Iran et le Hizballah de faire du Golan divisé le prochain "front de résistance" contre Israël... »

... Le paradoxe de cette situation, avec ces événements qui se précipitent, et avec cette activité intense de la communication, est certainement le rôle qu’y a joué Israël, notamment avec son attaque du début mai qui semble désormais ne devoir plus être perçue que comme une sorte de deus ex machina déclenchant une dégradation inutile de la situation à un des pires moments, opérationnellement et diplomatiquement, pour le bloc BAO, et donc pour Israël. Il y a un mois et demi, le 18 avril 2013, nous pouvions reprendre ce commentaire d’un analyste israélien, qui est sans aucun doute le contraire d’un libéral et d’un peacenik, Guy Bechor, consultant pour l’armée et la police israéliennes, et pour le ministère des affaires étrangères, classé parmi les nationalistes intransigeants... Bechor protestait contre le rapprochement avec la Turquie, elle-même engagée dans le guêpier syrien, et développait une conception naturelle et impérative en faveur du maintien d’Israël dans une position neutre et attentiste : « Nous avons réussi à échapper aux troubles qui s’aggravent depuis deux ans en Syrie. Les liens que nous avons renoués avec la Turquie pourraient nous entraîner dans une guerre mondiale entre les Sunnites et les Shiites, et entre la Russie et les Etats-Unis. [...] Pourquoi nous mettons-nous dans un tel pétrin ? Nous ferions mieux de rester à l’écart. Nous n’avons aucune raison de nous mêler de cette guerre qui ne finira jamais. Pour la première fois de notre histoire, nous ne sommes pas en ligne de mire, nous sommes spectateurs. Pourquoi nous impliquer ? »

Cette sensation d’incertitude de l’orientation stratégique, voire d’affrontements de tendances qu’on ressent au sein de l’appareil de sécurité nationale israélien, nous rappelle d’une façon assez significative la confusion et les nombreuses querelles qui déchirèrent ce même appareil en Israël durant et après la catastrophique campagne de l’été 2006, après qu’il fût apparu que le Hezbollah se battait bien et que les forces israéliennes se battaient de moins en moins bien face à cet adversaire. (Voir divers échos de querelles, d’incompréhensions, de divergences, etc., au sein de l’appareil israélien le 28 juillet 2006, le 2 août 2006, etc.) Cette confusion et ces querelles impliquent évidemment des accusations implicites croisées sur la responsabilité d’une situation de moins en moins satisfaisante... Disons que, cette fois, on s’y prendrait un peu à l’avance par rapport à 2006, avant même qu’un conflit réel ait commencé, ou bien est-ce que, depuis 2006, le malaise n’a jamais vraiment cessé au sein de l’appareil de sécurité nationale israélien.

L’ombre de l’été 2006

Revenons un peu en arrière... Le mythe de la puissance paradoxale d’Israël illustré par l’image biblique de David contre Goliath a été construit sur de solides réalités initiales, essentiellement sur la période de la guerre d’indépendance à la Guerre des Six Jours, avec les deux foudroyantes victoires de 1956 et 1967, et jusqu’au rétablissement in extremis d’octobre 1973. Comme on le comprend, ce mythe n’en était alors pas un, illustrant une réelle puissance d’Israël malgré un volume de capacités extrêmement réduites. Nous avons déjà décrit, dans plusieurs analyses, le tournant entamé en 1967-1973 et réalisé immédiatement après 1973, lorsqu’Israël fut intégré dans l’ensemble américaniste et mis complètement sous influence des méthodes et de l’esprit américanistes, essentiellement par le biais des liens avec le Pentagone qui furent alors établis. On peut se référer à ce propos à des textes d’analyses de l’époque de la défaite israélienne de 2006 face au Hezbollah, notamment les analyses du 17 juillet 2006 et, surtout, du 7 septembre 2006. Dans cette dernière analyse, nous concluions, faisant allusion aux fameux neocons à Washington non comme à des inspirateurs et à des manipulateurs, mais comme à des outils, éventuellement à des “idiots utiles” de cette puissance anthropotechnologique qu’on pourrait juger comme quasiment autonome et douée d’une stratégie spécifique qu’est le Pentagone... (Et le Pentagone, certes, comme une des représentations les plus puissantes et le “bras armé” par excellence du Système.)

« Dès les années Reagan, ce groupe d’idéologues extrémistes était déjà dans les rouages de l’administration. (On y trouvait notamment Perle et Wolfowitz, tandis que Powell occupait des fonctions politico-militaires. Rumsfeld avait été secrétaire à la défense entre 1975 et 1977.) C’est eux, et avec eux le nouveau courant de pression qu’ils exprimaient, qui instrumentèrent la complète “annexion” d’Israël à ce complexe bureaucratique de puissance qu’est le Pentagone. Ce n’était pas un “complot” dans le sens humain du terme. Ils ne faisaient qu’exprimer la puissance extraordinaire du Pentagone et de sa culture, qui avaient définitivement mis la haute main sur la politique de sécurité nationale des Etats-Unis. En ce sens, c’est bien le Pentagone en tant que tel, en tant que puissance autonome et incontrôlée, qui imposa à Israël, dès les années 1980, une main-mise qui bouleversa complètement les conceptions et les structures de Tsahal, et qui réduisit d’autant, jusqu’à l’inexistence totale, la souveraineté nationale d’Israël.

 »Le conflit avec le Hezbollah de juillet-août 2006 a confirmé de façon éclatante un état des choses où les capacités guerrières, les équipements, les tactiques, mais aussi la culture fondamentale des forces armées israéliennes se sont révélés comme complètement transformés, — transmutés, sans aucun doute, — par rapport aux conditions originelles de l’Etat d’Israël... »

Bien entendu, cette “transmutation” culturelle et psychologique, dans le sens de l’américanisation disions-nous à l’époque, dans le sens-Système disons-nous aujourd’hui, s’est réalisée dans le sens du pire. On constate, à la lecture des appréciations recueillies plus haut, que rien n’a changé depuis 2006, et que les choses se sont même aggravées. On retrouve paradoxalement dans les services de renseignement ce même travers que les anciens chef du Shin Bet dénonçait récemment dans le chef des directions politiques israéliennes, que nous mentionnions dans notre texte du 23 mars 2013 : « Alors aux commandes, Yaakov Peri estime n’avoir reçu durant les six ans de son mandat aucune consigne des gouvernements successifs. Ou bien il a cette formule, dont les termes sont partagés par ses collègues : Israël remporte la plupart des batailles, sans gagner la guerre. “Nous ne savions pas dans quelle direction aller, résume Peri. C’était toujours de la tactique, jamais de vision stratégique.” »

Dans ce texte cité du 23 mars 2013 et basé sur le précédent fondamental de la bataille de la Marne avec l’échec allemand du plan Schlieffen représentant l’“idéal de puissance” (retrouvé aujourd’hui dans son stade terminal dans le chef du bloc BAO), nous observions : « Le schéma de la bataille de la Marne est symboliquement intéressant parce qu’il restitue ce moment où la dynamique de surpuissance est à son maximum et passe en dynamique d’autodestruction dès lors que la clef stratégique s’effrite, que la direction des forces centrales disparaît. » La “clef stratégique” était une circonstance somme toute anodine, – l’effondrement psychologique du grand chef de l’armée allemande, von Moltke, – mais cette “circonstance anodine” ne représentait que le moyen effectivement de circonstance d’une destinée écrite dans le concept de l’“idéal de puissance” représentant une théorisation du Système dans sa fureur de surpuissance se transmutant en autodestruction... La destinée, elle, est l’essence même du phénomène, et elle est retrouvée aujourd’hui, intacte dans sa fatalité qui est comme une inversion de la Providence, dans des conditions moins assourdissantes, moins dramatiquement claires que la Grande Guerre, mais beaucoup plus spécifiques à la crise générale que nous connaissons.

« Ce qu’on observe, à partir de notre analogie, c’est que le Système pullule aujourd’hui de Moltke divers et de différentes factures, plus ou moins bien fardés en grands chefs réduits à la volubilité de communication. Obama est un Moltke, comme le sont les différents Premiers ministres israéliens. Comme l’enjeu national et la pression d’une situation de guerre massive n’existent pas en vérité, les exécuteurs des tactiques nécessaires sont beaucoup plus libres et mesurent de plus en plus l’absence (au propre et au figuré) de leurs Moltke, et ils s’interrogent de plus en plus furieusement sur cette situation où des développements tactiques sans fin ne sont nulle part chapeautés, orientés, inspirés par le moindre but stratégique. Ils en viennent donc au soupçon central qui est de se demander : la stratégie existe-t-elle encore ? Puis, rapidement : a-t-elle été complètement détournée par le Système à son profit, ce qui entraîne tout le monde dans une folie autodestructrice ? »

Ces dernières questions nous ramènent à l’Israël d’aujourd’hui, dans le cadre des erreurs décrites à propos de la Syrie. Ce que nous montrent les textes cités comme le cheminement de la “pensée stratégique” de la direction israélienne réduite à des à-coups tactiques peinturlurés du triomphalisme de la communication, c’est une situation pathétique où l’Israël si souvent décrit comme habile, décidé, voire machiavélique par ses partisans comme par ses adversaires, se révèle au même degré zéro d’imagination, de liberté de jugement, et chargé du même épuisement psychologique à force de s’abîmer dans ses narrative que ses compères du bloc BAO. Certes, nous disent les commentateurs cités, les erreurs d’aujourd’hui confirment celles d’hier, mais elles sont bien plus désolantes, bien plus basses encore. Il n’y a même pas eu de conflit, d’affrontement, de cette sorte d’urgence qui peut expliquer les faux-pas, pour Israël dans ce cas ; il y a eu simplement la croyance dans sa propre narrative de suffisance et d’irréalité, sa croyance aux jugements du niveau des satiristes et des people de talk shows (du type “Assad le méchant” ou “Assad la brute”, qu’on retrouve aussi dans les cénacles intellectuels parisiens), avec confirmation des services de renseignement eux-mêmes influencés par les exigences de cette communication complètement grotesque.

Le système de la communication utilisé pour le renforcement de l’inversion des jugements et la dissolution des psychologies, jusqu’à une pensée aussi ferme “qu’un éclair au chocolat” (comme la colonne vertébrale du président McKinley, selon son vice-président Teddy Roosevelt), triomphe en alimentant l’arrogance et la suffisance, en confirmant les aveuglements qui font prendre les victoires tactiques de communication pour une stratégie décisive. Combien de fois l’Israël des Netanyahou, Barak & Cie s’est-il cru triomphant et prêt à frapper décisivement l’Iran, et nous attendons depuis huit ans cette attaque annoncée chaque jour et fleurie d’innombrables descriptions de manigances et manœuvres complotistes diverses. Cette fois, il y a de l’action : le fracas des bombes israéliennes autour de Damas fait croire, communication et narrative à l’œuvre, à une irrésistible puissance stratégique. La visite piteuse de Netanyahou à Poutine, à Sotchi, enchaîne sur la révélation (?) qu’il ne s’agissait que d’une péripétie tactique enluminée par la communication, donnant des effets pervers bien préoccupants, et que la stratégie, elle, se règle face au président russe, et l’on sait bien dans quel sens. Effectivement, il s’agit bien d’une défaite stratégique à partir d’impulsions tactiques magnifiées par leurs effets de communication, et interprétées faussement comme des actes stratégiques.

Comme le bloc BAO dans son ensemble, Israël est complètement prisonnier du système de la communication, de ses narrative et de ses illusions, de ses obsessions et de son étrange affectivité, transformant les erreurs courantes depuis l’américanisation de ses forces armées qui portaient essentiellement sur le contexte et les conditions de l’engagement, en des dérives catastrophiques qui portent désormais, en plus, sur l’exécution et l’opérationnalisation. Cette évolution, qui a été engagée avec la catastrophe de l’été 2006 est désormais la marque de l’activité de cet Israël américanisé, devenu depuis un Israël-Système, qui semble n’avoir même plus besoin de s’engager vraiment dans un conflit pour le perdre, – comme il semble pouvoir envisager de le faire avec la Syrie. Recette aussi parfaite après tout que celle des prévisions erronées des meilleurs services de renseignement du monde : Israël n’a plus besoin de faire une guerre pour la perdre.

La spécificité d’Israël a complètement disparu dans la phase finale de la constitution du bloc BAO depuis l’automne 2008, avec sa psychologie réduite à une opérationnalisation faussaire et trompeuse. Le résultat concret, pour ce pays, est une situation où l’on pourrait dire que la défaite de l’été 2006 contre le Hezbollah suivant l’américanisation de ses capacités et de ses conceptions militaires ressemblerait, pour les structures financières, économiques et bureaucratiques du bloc BAO, à la crise financière d’effondrement de l’automne 2008. L’analogie s’énoncerait alors de cette façon : puisque le Système, – l’américanisation militaire pour Israël, les structures bancaires ultra-libérales pour l’appareil financier du bloc BAO, – ne marche pas, c’est donc qu’il faut plus que jamais poursuivre sur cette voie et l’appliquer plus que jamais. Des deux côtés, la consigne est suivie et appliquée à la lettre.

22 mai 2013 - Dedefensa.org - Pour consulter l’original :
http://www.dedefensa.org/article-la...
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet


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