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Nouveau pas de danse

mardi 17 avril 2007 - 13h:41

Samar Al-Gamal - Al-Ahram Hebdo

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Washington semble avoir mis le holà à sa campagne pour amener les pays arabes à plus de démocratie, préférant obtenir leur soutien pour ses desseins dans la région.

Ce n’est pas être plus royaliste que le roi, mais c’est presque autant. « Si l’on s’arrête pour faire le point, on constate une tendance générale à la réforme politique, à une plus grande ouverture politique, à une correspondance plus directe entre les aspirations, les espoirs et les besoins du peuple et les actions des responsables élus ». C’est ce qu’a déclaré Sean McCormak, le porte-parole du département d’Etat américain à la veille du référendum sur les amendements de la Constitution en Egypte. Des mots qui pouvaient émaner du parti au pouvoir même ou de ses défenseurs les plus zélés. Il faudrait vraiment aller chercher entre les lignes pour retrouver une quelconque timide critique de l’Administration Bush contre le déroulement de la démocratie dans le pays le plus peuplé du monde arabe. C’est d’ailleurs à partir d’ici, que les Américains espéraient créer l’effet domino dans la région. Une sorte de démocratie contagieuse qui s’étendrait du Caire à Bagdad.

Si officiellement Washington, et par la voix du locataire de la Maison Blanche, continue à affirmer sa volonté de poursuivre la stratégie de promotion de la démocratie au Proche-Orient, il semble cependant que ces très modernes cow-boys admettent l’idée de Shelley Berkly. Cette Congress Woman, lors d’une session d’audience au Congrès en mai dernier, sur l’aide américaine à l’Egypte, affirmait : « Je commence à croire que la démocratie n’a aucune chance au Proche-Orient aussi bien qu’un homme sur la lune ». Sa campagne avec son collègue Tom Lantos, voulant rendre cette assistance, qui depuis 1979 a atteint 25 milliards de dollars, tributaire d’une réforme démocratique, semble avoir reçu une fin de non-recevoir, même de la part de l’Administration américaine. Car « les Etats-Unis ne peuvent pas dicter à l’Egypte comment procéder », comme l’a précisé, de manière si significative, Rice lors de son escale à Louqsor pour rencontrer ses homologues du Quartette arabe. Un nouveau realpolitik américain, qui pousse Mlle Condi à dresser un « tableau contrasté mais dans l’ensemble positif », d’une Egypte vue « comme le fer de lance régional de la démocratisation », écrit le département d’Etat sur son site.

Mais de manière plus concrète, pour les Américains, soutenir la démocratie, c’est soutenir les Frères musulmans en Egypte, le Hamas en Palestine. « Instaurer un modèle de démocratie même en Irak est devenu plutôt un modèle de tragédie. Là où ils interviennent, le résultat est soit la montée des islamistes, soit le chaos destructif », explique le politologue Wahid Abdel-Méguid. D’après lui, l’échec politique et sécuritaire en Irak a poussé Washington à remettre à sine die ses projets proche-orientaux, même si sa volonté d’hégémonie sur la région reste inchangée. L’ordre des priorités est juste remanié. Preuve en est sa réaction trop mitigée face au changement démocratique en Mauritanie, le premier dans un pays arabe. « Cette réussite pleine de promesses fait de la Mauritanie un modèle démocratique aussi bien pour l’Afrique que pour le monde arabe », se contente de déclarer l’ambassade américaine à Nouakchott dans un communiqué.

Aucune autre réaction d’un pays qui est censé promouvoir de « nobles idées » de démocratie. Aucune réaction non plus sur l’arrestation massive et perpétuelle dans les rangs de la confrérie égyptienne des Frères musulmans ou sur la répression des opposants les plus libéraux. Après de vives réactions sur l’arrestation et l’emprisonnement d’Aymane Nour, c’est le mutisme total. La seule véritable critique a porté sur la condamnation d’un blogueur. La collaboration prend le dessus sur la démocratisation. La dernière ne sert pas l’intérêt des Américains, la première oui. « Ils veulent sortir du bourbier irakien, c’est désormais le premier objectif qui va de pair avec la crise iranienne », précise Abdel-Méguid. Changement de rythme donc et nouveau pas de danse. De plus, seraient-ils en train d’embrigader les pays arabes « modérés », dans leur confrontation avec l’Iran.

Le sénateur démocrate Bill Nelson, au terme d’une visite dans 8 pays de la région en décembre dernier, cité par Taqrir Washington, affirme que « dans chaque capitale arabe, la menace iranienne était en tête de l’agenda des responsables, et à vrai dire, les qualificatifs identiques concernant le danger iranien n’ont été prononcés que par Benyamin Netanyahu, le chef du Likoud, et Abdallah, le roi d’Arabie saoudite ». La mobilisation contre l’Iran et les chiites bat son plein, du moins selon Seymour Hersh, journaliste de renommée et bête noire de Bush. Et donc ne cesse de revenir sur les lèvres des responsables américains, « la crainte arabe de l’influence iranienne, de l’agenda de Téhéran dans la région ». La scission entre « radicaux et modérés » au Proche-Orient encourage davantage les Américains. Des consultations de haut niveau, des rencontres ici et là dans les capitales arabes et une coopération non dissimulée en matière de renseignements.

Mais les Arabes sont encore loin de répondre favorablement aux espoirs de l’Oncle Sam, du moins selon le politologue égyptien, « car leurs appréhensions sont bien différentes, et les Américains croient naïvement qu’ils sont les mêmes ». Du coup, un terrain de véritable entente peine à être établi.

La visite en Egypte de l’ex-président iranien Mohamad Khatami est-elle l’un des indices de ce manque d’entente ? Le président réformateur s’est, en fait, vu réserver un accueil impressionnant jamais accordé à un responsable iranien depuis la révolution de 1979. Un entretien avec le président Moubarak, et un petit-déjeuner en son honneur en présence de plusieurs ministres égyptiens. Un événement au vrai sens du terme, mais qui n’a trouvé aucun écho dans les médias occidentaux. Une harmonie irano-égyptienne augure mal du plan américain dans la région et encore plus à Israël.

Un jeu d’équilibriste

Ne serait-il cependant pas naïf de croire que les alliés traditionnels de la Maison Blanche rompront leur pacte ? Ne serait-il pas absurde de croire que les autorités des pays arabes « modérés » sont en train de mettre des bâtons dans les roues du projet américain ?

Il est vrai que les idées de grand Moyen-Orient ou de nouveau Moyen-Orient avaient suscité l’hostilité et la méfiance des amis de Washington. Pour la première fois, on a vu le président égyptien, aussi exacerbé, s’envoler en direction de Riyad pour critiquer avec le chef du royaume « l’imposition de l’extérieur d’un type spécifique de réformes ». Mais pour ne pas déranger l’ami américain, un plan saoudien, plus tard arabe, de paix avec Israël sera lancé. « Ils sont convaincus que la résolution de la question palestinienne mettra un terme à tous les maux de la région », déplore le politologue. Jusqu’à preuve du contraire, cette question s’avère la plus difficile à régler. C’est vrai, la Palestine est le détonateur qui peut faire exploser la situation, mais d’ici à résoudre ce problème de manière radicale, il y a des hésitations.

Le sort d’Israël reste la chose fondamentale pour Washington. « Les Américains, dans leur ensemble, voient Israël comme la victime potentielle d’une mobilisation éventuelle du monde arabe », comme le soutient Guillaume Parmentier, spécialiste des Etats-Unis à l’Institut français de recherches internationales. Du coup, d’après lui, Bush manifeste une position de soutien quasi inconditionnel à Israël même si cela remettrait en cause le processus de paix. Une identification politique et stratégique avec l’Etat hébreu. Paradoxalement, l’électorat juif est en grande majorité du côté des Démocrates, et ces derniers n’ont pas hésité à dépêcher la présidente du Congrès en Syrie qui, d’ailleurs, appartient à « l’axe du mal », selon Bush. Au Caire, le chef de la majorité au Congrès, le Démocrate Steny Hoyer, a rencontré le chef du groupe parlementaire des Frères musulmans, Mohamad Saad Al-Katatni. Changement de cap de la part des Américains, ou concurrence entre Républicains et Démocrates ou bien encore simple rencontre de routine qui ne devrait avoir de répercussions majeures sur la politique de l’Amérique dans le monde arabe ? La réponse pourrait se situer à cheval entre les trois. C’est ce que les plus critiques appellent l’attitude schizophrène des Américaines et qui se résume en fait par l’image aussi négative dont jouit Bush dans cette région.

Une reconquête est plus que jamais nécessaire pour les Américains : un nouveau lifting pour améliorer l’image de leur pays et reconquérir les esprits des habitants du Proche-Orient. Mais comment le faire alors qu’ils soutiennent inconditionnellement Israël et jouent la carotte ou le bâton avec les Arabes ? Une schizophrénie partagée d’ailleurs. Les Arabes font face à cette difficulté de tenter de rester des alliés stratégiques de Washington, sans trop heurter le sentiment national et irriter davantage une population anti-américaine. Un jeu d’équilibriste de part et d’autre mais où l’un excelle et l’autre ne cesse de se casser le cou.

Samar Al-Gamal - Al-Ahram Hebdo, semaine du 11 au 17 avril 2007, n°657


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