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Un célèbre chanteur palestinien arrêté risque une lourde peine de prison, sur des accusations très douteuses

jeudi 4 avril 2013 - 07h:39

Sandy Tolan - Ramallah Café

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Un chanteur palestinien de renommée internationale a été arrêté par les forces militaires israéliennes, accusé d’avoir jeté des pierres ; une accusation qui pourrait l’envoyer en prison pour dix ans ou plus.

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Oday Khatib, se produisant en France en 2012.
Photo par les "Musiciens pour la Palestine"




Oday al-Khatib, 22 ans, qui est né et a grandi dans le camp de réfugiés d’Al Fawwar près d’Hébron, a été arrêté le 19 mars par des soldats israéliens qui pourchassaient de jeunes lanceurs de pierres à proximité. Il est un chanteur vedette d’Al Kamandjati, cette célèbre école de musique basée à Ramallah et fondée en 2005 par Ramzi Aburedwan. Oday a enregistré et fait des tournées avec différents groupes musicaux arabes en France, en Belgique, au Liban, en Norvège, en Italie, en Palestine, à Dubaï, en Algérie et en Autriche. (Ramzi et Al Kamandjati sont l’objet principal de mon nouveau livre, et l’histoire d’Oday y figurera en bonne place).

Les circonstances apparentes de l’arrestation d’Oday mettent en doute les accusations. Oday, selon des entretiens avec ses parents, attendait un ami sur une colline à Al Fawwar et ne faisait pas partie du groupe de jeunes lanceurs de pierres. Jihad Khatibn, le père d’Oday, a déclaré au représentant local du groupe israélien des droits de l’homme, B’Tselem : « Alors qu’Oday était en train d’attendre, un groupe de gosses s’est mis à lancer des pierres sur quelques soldats qui se trouvaient dans le coin. Et quand les soldats ont fait la chasse aux enfants, il ne lui est pas venu à l’esprit que les soldats pouvaient s’en prendre à lui. Autrement, il serait parti sans attendre ». La mère d’Oday, lors d’un entretien avec Céline Dagher d’Al Kamandjati, et son père Jihad en parlant avec mon collègue Anan Abu-Shanab, ont souligné qu’Oday ne pensait pas qu’il serait la cible des soldats. Anan a entendu Jihad dire : « Oday n’a pas couru quand il a vu les gamins foncer vers les lui  », « et puis les soldats sont arrivés et l’ont arrêté ». La famille maintient qu’Oday attendait son ami sur la colline, avec qui il avait prévu de dîner, et que la lecture du téléphone portable d’Oday pourrait prouver qu’il a appelé son ami juste avant de quitter son domicile.

Peut-être plus important encore, les charges contre Oday semblent discutables car, jusqu’à présent, Oday n’a jamais été arrêté ou emprisonné, selon Céline. Pour beaucoup de Palestiniens, jeter des pierres sur des soldats qui ont envahi leur territoire entre dans une longue histoire d’une résistance légitime à une occupation militaire illégale de 47 années. Et si les frères d’Oday se sont affrontés à plusieurs reprises avec les soldats israéliens depuis au moins 2002 – après qu’un frère, Rasmi, ait été visé et touché à une épaule dans la cour de l’école d’Al Fawwar, et qu’il ait perdu son bras gauche -, Oday, lui, a trouvé sa résistance à l’occupation militaire d’Israël dans son chant. « Oday ne ressemble à aucun autre de mes fils  » a dit Jihad au tribunal militaire quand l’accusation a été portée contre son fils. « Il n’est pas intéressé par les jets de pierres ni pour s’y impliquer. Depuis qu’il a eu neuf ans, il est intéressé uniquement par la musique. Que vous gardiez Oday en prison constitue simplement une injustice ».

Oday, bien sûr, n’est que l’un des milliers de Palestiniens enfermés par Israël. Selon B’Tselem, depuis février, il y avait 4713 Palestiniens détenus dans les geôles israéliennes, dont 169 en « détention administrative », laquelle autorise Israël à arrêter et garder en détention les Palestiniens indéfiniment, sans inculpation. La peine pour le jet de pierres peut, dans certains cas, excéder les dix années, et elle peut être infligée à des jeunes dès l’âge de 14 ans, selon un rapport de l’UNICEF.

Oday a longtemps été connu à Al Fawwar comme un chanteur de chansons de la résistance palestinienne. En 2003, il a été « découvert » par Ramzi et un groupe de musiciens français en tournée qui organisait des ateliers en Palestine pour préparer le terrain pour une école de musique, école qui s’est ouverte en 2005. Cette année-là, Oday a commencé les tournées avec Ramzi et son groupe, Dalouna, enthousiasmant le public français par sa présence charismatique, un keffieh autour du cou, et chantant de sa voix puissante de soprano.

Oday avait à peine 14 ans quand il est monté sur une scène française pour la première fois, à l’affût derrière le rideau pour voir qu’un millier de personnes attendaient pour l’entendre chanter. Les membres du groupe rappellent qu’il a n’a eu aucun problème pour se servir de sa voix pour transcender le tablâ, l’oud, la clarinette et le bouzouki. Il a chanté l’Étranger, sa chanson fétiche, scrutant la foule pour voir s’il était en phase avec elle. « Ramzi m’a dit que la chanson me venait du cœur », m’a confié Oday alors que je l’interviewais l’été dernier. « Je voulais leur faire comprendre ma vie. Je les ai regardés dans les yeux, avec une émotion particulière. Ils ont vraiment écouté. De la façon dont je les regardais, je pouvais dire s’ils aimaient ou non ».

«  Il a créé un calme étonnant dans la salle », se rappelle Ramzi. « Les gens se tenaient là, bouche bée. Et ceux qui comprenaient l’arabe se sont mis à pleurer. Même une jeune fille française, qui percevait la tristesse, pleurait  ».

Le 13 mars, six jours avant son arrestation, Céline a vu Oday chanter en direct à la télévision de Naplouse. C’était à l’occasion du Prix Mahmoud Darwish, du nom du regretté poète palestinien. « Nous regardions la télé avec Ramzi et je lui ai dit, c’est étrange, Oday ne change pas comme d’habitude aujourd’hui  », se rappelle Céline. Après le concert, Oday est rentré à Al Kamandajti à Ramallah. Il a dit à Ramzi qu’il n’avait pas réussi à se concentrer sur la chanson, parce qu’il n’arrêtait pas de penser à son ami Mahmoud Altiti, d’Al Fawwar, qui avait été abattu par un soldat israélien la veille, durant une échauffourée dans le camp. Peu de temps avant, son ami Mahmoud avait remarqué que sa famille et celle d’Oday ajoutaient chacune un étage à leur maison à Al Fawwar. Mahmoud avait prédit devant Oday qu’un jour prochain, les deux hommes allaient être pères, et que « nous aurons tous les deux nos gamins à courir autour du camp ».

« C’est à cela qu’il pensait alors qu’il chantait » raconte Ramzi.

C’est la dernière fois que Ramzi et Céline ont entendu Oday chanter. Son jugement par l’armée est prévu pour le 3 avril. Les risques de condamnation dans ce genre de procès, selon un article récent du New York Times Magazine, ont été de 99,745 % en 2010 ; ce qui veut dire que seulement un accusé environ sur 400 est jugé innocent. Si lui est reconnu coupable de jets de pierres – sur des soldats engagés dans une occupation militaire reconnue internationalement comme illégale – Oday Al Khatib, le célèbre chanter connu dans toute la Palestine et l’Europe, pourrait rester jusqu’à dix ans ou plus dans une geôle israélienne.


Anan Abu-Shanab a contribué à la rédaction de ce récit.

31 mars 2013 - Ramallah Café - traduction : Info-Palestine/JPP


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