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Les réponses au sommet de Riyad risquent de n’être que de la cosmétique

mercredi 18 avril 2007 - 08h:41

Jean-François Legrain - Le Monde

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Le sommet de Riyad peut-il débloquer le conflit israélo-palestinien ?

L’inititiative de paix arabe est un événement important pour la diplomatie de l’Arabie saoudite, en quête d’un statut régional renouvelé. On a remarqué, depuis plusieurs mois, une présence active de sa diplomatie sur de nombreux dossiers chauds de la région : le conflit israélo-palestinien avec les accords de La Mecque, qui ont consacré la réconciliation entre le Hamas et le Fatah, et qui a débouché sur le gouvernement d’union nationale palestinien, mais aussi le Liban, l’Irak et les ambitions nucléaires iraniennes.

Cet activisme diplomatique saoudien doit être replacé bien au-delà du conflit israélo-arabe dans les équilibres régionaux, et témoigne de la crainte saoudienne face à la montée d’une implication iranienne dans les affaires arabes. Le fait que cette initiative soit importante pour les Saoudiens ne signifie pas qu’elle soit à même d’apporter une solution au conflit israélo-palestinien.

Il est à craindre, en effet, que les réponses positives apportées à cette initiative tant de la part de la communauté internationale que d’Israël ne soient que la cosmétique visant à masquer l’absence d’engagement réel à trouver une pareille solution.

Le plan de paix proposé au sommet de Riyad est-il le même que celui qui avait été proposé en 2002 à Beyrouth ? Israël a-t-il refusé une main tendue de la part des pays arabes ?

Le plan proposé en 2007 est l’exacte reproduction de celui de 2002. Il s’agit pour la Ligue arabe de réaffirmer son engagement pour une paix juste et globale en maintenant que la paix passe par la création d’un Etat palestinien indépendant et souverain sur l’ensemble des territoires occupés en 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, et par une solution équitable et agréée du problème des réfugiés.

La réponse d’Israël, dans un premier temps, a été un rejet complet de cette intitiative, considérant qu’il s’agissait d’un diktat. Dans un deuxième temps, vraisemblablement sous pression américaine, le premier ministre israélien a répondu en considérant que certains points positifs pouvaient être relevés dans cette initiative et qu’il répondrait favorablement à une invitation à tenir une rencontre avec le roi Abdallah et les leaders "modérés" arabes.

On peut considérer que cette réponse vise à contourner l’objet même de l’initiative arabe dans une volonté de ne pas apparaître comme celui qui aurait refusé la main tendue. L’inititiative arabe, en effet, n’est que la légalité internationale à laquelle les Etats arabes depuis 2002 ont affirmé se soumettre. On ne négocie pas la légalité internationale mais éventuellement seulement ses modes de mise en ?uvre. Or, pour Israël, il s’agit de négocier la légalité elle-même puisque le premier ministre a clairement dit qu’il refusait une partie de cette légalité, à savoir le droit des réfugiés au retour et l’évacuation de l’ensemble des territoires occupés en 1967.

Le gouvernement israélien annonce vouloir poursuivre des discussions avec un axe arabe modéré. L’Egypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite détiennent-elles seules les clés de la paix au Proche-Orient ? Qu’est-ce qu’un leader arabe modéré ?

Un leader arabe "modéré", dans la plupart des cas où ce terme est utilisé, n’est qu’un leader arabe se soumettant au diktat soit d’Israël, soit des Etats-Unis, soit de la communauté internationale. La notion de "modération" comme celle de "terrorisme" est une notion éminemment idéologique dans la plupart des cas.

La solution au conflit israélo-palestinien n’est pas, sans aucun doute, dans les seules mains des acteurs régionaux, mais avant tout le fruit d’une volonté de la communauté internationale de mettre en ?uvre ses propres résolutions et de prendre tous les moyens pour y parvenir, donc à en payer le prix. Un prix que jusque-là elle s’est refusée à payer.

Il faut par exemple se souvenir que la résolution 194 de 1948 qui mentionne entre autres le droit des réfugiés palestiniens au retour ou à des compensations figurait parmi les résolutions qu’Israël s’était engagé à reconnaître. Un engagement en échange duquel Israël est devenu membre des Nations unies. Or Israël, une fois devenu membre de l’ONU, s’est toujours refusé à répondre à cette exigence. Une exigence qui a été répétée plusieurs centaines de fois et est toujours demeurée sans réponse positive.

La position de l’Arabie saoudite sur Israël semble avoir évolué depuis quelques années. Est-ce bien le cas ? Quelles en sont, selon vous, les raisons ?

Le texte de 2007 n’est en rien nouveau mais ne fait que reproduire celui de 2002, qui lui-même formalisait des positions antérieures qui avaient été esquissées par celui qui, à l’époque, n’était encore que le prince héritier Abdallah. L’évolution de l’ensemble des pays arabes n’a pas eu lieu cette année mais bien avant, et a été exprimée en 2002.

Il faut se souvenir que lors des sommets arabes de la fin des années 1960, nous partions d’un refus du droit d’Israël à l’existence et du refus de toutes négociations, le principe d’une destruction d’Israël étant alors le mot d’ordre de l’ensemble du monde arabe. L’évolution a donc eu lieu tout au long des années 1970 et 1980, dans une prise en compte de la réalité des rapports de forces.

Quelles sont les relations entre Riyad et le Hamas d’une part et Riyad et le Fatah d’autre part ?

Lors du sommet de La Mecque en février dernier, l’Arabie saoudite a mis à profit ses relations anciennes avec le Fatah comme avec le Hamas pour parvenir à leur réconciliation. Les relations avec le Fatah étaient en fait avec l’Autorité palestinienne, dont le Fatah était la principale force. A la différence des relations avec le Hamas, qui n’était qu’une force politique d’opposition.

Mais les relations entre l’Arabie saoudite et le Hamas étaient anciennes, de nombreuses fondations privées comme, semble-t-il, publiques ayant depuis longtemps financé des activités associatives et caritatives de Hamas. Le renforcement des relations entre l’Arabie saoudite et le Hamas doit être lu dans le contexte général de cette crainte de voir l’Iran s’ingérer de plus en plus fortement dans les affaires arabes. Face au boycott financier international mis en place après la constitution du gouvernement Hamas en mars 2006, les Palestiniens s’étaient tournés vers l’Iran pour pallier l’absence de financement, demande à laquelle l’Iran avait répondu positivement. Le Hamas n’est pas devenu pour autant une marionnette de l’Iran ; mais l’Arabie saoudite, et les Arabes d’une façon générale, ont vu d’un très mauvais ?il cette nouvelle intervention de l’Iran dans ce qu’ils considèrent être leur pré carré.

Un gouvernement palestinien de coalition est-il susceptible de favoriser la reprise des discussions de paix ?

La reprise des négociations entre Palestiniens et Israël n’est pas du ressort des Palestiniens, qui la réclament depuis plus de sept ans maintenant. Or, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon, aucune négociation sur le fond n’a été engagée du fait du refus israélien et du désengagement des Etats-Unis de la question. Par ailleurs la négociation n’est en aucun cas du ressort de l’autorité palestinienne d’autonomie.

Conformément aux accords d’Oslo (en 1993), en effet, le cabinet n’est chargé que des affaires de l’autonomie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et l’Autorité palestinienne d’autonomie est privée de toute capacité diplomatique. Seule l’OLP, en tant que représentant légitime des Palestiniens reconnus comme tel par Israël en 1993 et par la communauté internationale depuis les années 1970, a en effet la capacité de négocier au nom de l’ensemble des Palestiniens et de signer des accords internationaux.

Lors de l’accord de La Mecque, à la base de la constitution d’union nationale actuelle, le Hamas et le Fatah se sont engagés, comme les autres membres de l’OLP, à réformer l’ensemble de ses institutions afin de les redynamiser. C’est là la priorité qui devrait être celle des Palestiniens dans la perspective d’avoir à trouver le consensus le plus large possible qui permettra d’engager la parole des Palestiniens dans une négociation sur le statut définitif de la Palestine.

La situation des Etats-Unis en Irak les rend-elle vulnérables à des pressions de l’Arabie saoudite ?

Les difficultés rencontrées par les Etats-Unis en Irak ont, à n’en pas douter, influé sur l’attitude qu’ils ont adoptée face à l’initiative arabe. Une initiative qui existait déjà depuis cinq ans et à laquelle les Etats-Unis, comme la communauté internationale et Israël, n’avaient prêté aucune attention.

Les Etats-Unis ont leurs difficultés en Irak, leur relations conflictuelles avec l’Iran et ont besoin d’une avancée ne serait-ce que symbolique sur le dossier israélo-palestinien. Mais il est à craindre que cette avancée ne soit que symbolique et que le changement d’attitude des Etats-Unis face à cette initiative arabe ne traduise en rien un changement sur le fond, à savoir un quasi-alignement sur l’unilatéralisme israélien.

Qui mène le jeu à trois entre Riyad, Tel-Aviv et Washington ?

Les initiatives diplomatiques saoudiennes actuelles traduisent, à n’en pas douter, une certaine prise d’indépendance vis-à-vis des Etats-Unis et de leur politique dans la région. En convoquant le sommet arabo-palestinien de La Mecque en mars dernier, l’Arabie saoudite a conféré une importance au Hamas à laquelle les Etats-Unis n’étaient pas prêts à souscrire.

Lors du discours d’ouverture du sommet de Riyad, l’Arabie saoudite n’a pas hésité à mentionner les occupations étrangères illégales de l’Irak. Au début de cette année, l’Arabie n’a pas non plus hésité à recevoir le conseiller à la sécurité nationale iranien pour aborder avec lui la relation entre l’Iran et le Liban.

L’ensemble de ces initiatives montre que l’Arabie saoudite, depuis l’arrivée au pouvoir du roi Abdallah, est décidée à prendre une certaine indépendance vis-à-vis de son tuteur américain, son image de fidèle ami des Américains dans la région risquant de lui coûter de plus en plus cher face à une opinion publique arabe de plus en plus anti-américaine.

Comment interpréter la controverse autour de la visite de Nancy Pelosi à Damas ? Est-ce la fin de la mise à l’écart de la Syrie ?

La Syrie, comme les autres Etats arabes, a apporté son soutien à la déclaration finale appelant à la réactivation de l’intitiative de paix arabe adoptée en mars 2002. La visite de la présidente de la Chambre des représentants américains peut être lue comme un intérêt manifesté vis-à-vis de cet engagement arabe. Un intérêt qui n’a pas été manifesté par le président Bush.

L’offre arabe de paix illustre-t-elle la fragilité politique des pays arabes ? Comment voyez-vous l’avenir du conflit israélo-palestinien ?

L’initiative arabe de paix traduit un consensus qui aura mis beaucoup de temps à se construire. Elle peut donc être considérée comme une manifestation d’une certaine force du monde arabe. Le paradoxe concernant le conflit israélo-palestinien réside dans le fait que tout le monde connaît les grandes lignes de sa solution mais que personne, faute de volonté, n’est décidé à mettre les moyens pour les réaliser.

La légalité internationale est sans aucun doute la moins mauvaise solution, et c’est à elle qu’il faut retourner. Et non pas se contenter de la feuille de route adoptée en 2003 par le Quartet (Etats-Unis, ONU, UE, Russie), qui constitue le refrain diplomatique de ces dernières années, et n’est qu’un alibi visant à surseoir à la mise en ?uvre de la légalité internationale.


Chat modéré par Gaïdz Minassian et Anne-Gaëlle Rico





Ancien chercheur à l’Institut Français d’Etudes Arabes de Damas (IFEAD) (1976-1977, 1986-1987), au Centre d’Études et de Documentation Économique, Juridique et Sociale (CEDEJ) au Caire (1987-1992) et au Centre d’Études et de Recherches sur le Moyen-Orient Contemporain (CERMOC) à Amman et Jérusalem (1992-1994), Jean-François Legrain est chargé de recherche au CNRS depuis 1990. Il a enseigné à l’Institut catholique de Paris (1979-1986) et à l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon (1995-2002). Il a fait partie du comité éditorial puis de la rédaction en chef du trimestriel Maghreb-Makrech (1995-2004).

Le Monde, le 6 avril 2007

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