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Le "serial agressor" reçoit la bénédiction de l’ONU

lundi 23 avril 2007 - 20h:24

Ed Herman & David Peterson - ZNet

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Bien au-delà de Munich : le Conseil de Sécurité des Nations Unies collabore au désarmement de la prochaine victime annoncée d’une agression U.S. (*)

Imaginez qu’à l’époque où Hitler menaçait d’envahir la Pologne après avoir avalé la Tchécoslovaquie - fort du soutien des autres grandes puissances occidentales cherchant à l’apaiser à Munich, en 1938 - la Société des Nations ait non seulement décidé de placer la Pologne sous embargo, limitant de facto la capacité de défense de l’imminente victime, mais qu’elle ait en outre accusé la Pologne elle-même d’être en réalité l’agresseur potentiel.

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Ed Herman

C’est ce qui ne s’est pas passé en 1939, mais en une formidable régression par rapport à cette époque « éminemment pacifiste », c’est en ce moment même qu’il se passe quelque chose de similaire.

Nous avons ici les Etats-Unis - toujours empêtrés dans une épouvantable guerre de conquête en Irak avec dorénavant l’aval officiel du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, et qui s’apprêtent ouvertement avec plans de campagne et menaces, à attaquer l’Iran afin d’y imposer un « changement de régime », disposant leurs porte-avions au large des côtes iraniennes, enchaînant d’ores et déjà les opérations de subversion et de collecte de données sur le terrain, entre autres incursions - et le Conseil de Sécurité des Nations Unies qui, loin de mettre en garde ou de menacer l’agresseur, met au contraire en garde, menace, et sanctionne même la future victime !

Mécaniquement, l’enchaînement est très simple. Les USA montent tout un pataquès médiatique alléguant une atteinte gravissime à leur sécurité nationale, et s’alarment bruyamment de ce qu’un autre Etat refuse de se soumettre à quelque résolution des Nations Unies, ou rechigne à en suivre strictement chaque consigne, notamment en matière d’inspections d’armement - et nul n’ignore combien les Etats-Unis et leur client Israël sont scrupuleusement attachés au respect du droit.

S’agissant de l’Irak, semblable raffut trouvait naturellement écho dans les médias, y était amplifié, faisait la une et les grands titres, décliné à satiété dans tous les éditos. Les élites non moins que l’opinion ne tardèrent pas à se polariser autour de : a) la croyance en l’existence à Bagdad d’une crise bien réelle autour des armes de destruction massive (ADM) ; b) l’idée que cette crise exigeait l’attention expresse du Conseil de Sécurité. Tout au long de cette crise, et jusqu’à l’agression des 19 et 20 mars 2003, l’Irak, à la merci d’une attaque imminente et totale, ne cessa de dénoncer l’absurdité de ces rumeurs et fit régulièrement parvenir au siège des Nations Unies ainsi qu’à son Secrétaire Général, des communiqués documentant abondamment les bombardements américano-britanniques quasi-quotidiens sur son territoire [1] et notamment les « pics d’activité » à partir de septembre 2002. [2] [ndt : Ces bombardements illégaux, qui violaient notamment la Charte des Nations Unies, les Conventions de Genève et le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP : les agresseurs étant nucléarisés contrairement à leur victime) étaient déjà des crimes de guerre au regard du droit international].

Les populations du monde entier et leurs gouvernements rejetaient aussi majoritairement cette propagande de guerre - y compris aux Etats-Unis où, des semaines avant l’attaque, les deux tiers de l’opinion (exception faite des élites), bien que littéralement bâillonnés par la presse, soutinrent fermement un dénouement multilatéral et diplomatique de la crise, dont l’aspect crucial était qu’il permettait la poursuite des inspections d’armement en Irak [3]. Mais tout comme aujourd’hui, le monde entier assista atterré au détournement du Conseil de Sécurité par les USA et l’Angleterre. Au lieu de la défense légitime de la cible même des menaces, on le vit servir stratégiquement les objectifs des auteurs de celles-ci (US & UK), qui se posaient en victimes potentielles de l’Irak.

Les préparatifs d’agression pouvaient alors commencer, comme c’est le cas actuellement, avec la collaboration de l’ONU et de la communauté internationale. Dans le cas de l’Irak, le Conseil de Sécurité se laissa complaisamment embringuer dans une relance du système des inspections d’armement, acceptant d’y voir une priorité bien plus cruciale que les préparatifs et menaces d’agression de deux superpuissances déjà sur le pied de guerre. Bien que le Conseil de Sécurité n’ait pas voté le déclenchement de l’attaque anglo-américaine, il favorisa sa mise en place en exagérant la menace irakienne et en évitant de lui comparer la menace réelle que représentaient les positions US/UK. Deux mois à peine après l’attaque « shock and awe », un vote du Conseil de Sécurité accordait à l’agresseur le droit de s’établir en Irak et d’y mener à bien tous ses projets, avalisant de facto rétroactivement une violation majeure de la Charte des Nations Unies.

Mais à présent, quatre ans après les faits, le Conseil de Sécurité se surpasse littéralement. Non seulement il n’a pas jugé bon de condamner les menaces américano-israéliennes d’agression contre l’Iran (la simple menace constituant déjà à elle seule une violation de la Charte des Nations Unies [4] [ndt : et du TNP]), menace que l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, pays frontaliers de l’Iran, par les troupes américaines au cours de la dernière décennie rend d’autant plus réelle, et que la colossale concentration de bâtiments de guerre au large des côtes iraniennes - à un niveau jamais vu depuis l’invasion de l’Irak il y a quatre ans - ne fait que renforcer [5] ; mais le Conseil a en outre soutenu et cautionné ces agresseurs potentiels en adoptant au cours des huit derniers mois trois résolutions sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU, désignant toutes le programme nucléaire iranien comme une menace pour la paix et la sécurité internationales, et réservant au Conseil de Sécurité le droit de prendre « les mesures qui s’imposent », si l’Iran refusait d’obtempérer - c’est à dire de se soumettre, à la lettre, aux exigences des Etats-Unis [6].

Depuis le 31 juillet, le Conseil a exigé que l’Iran « suspende toute activité d’enrichissement et de transformation d’uranium, y compris celles de recherche et développement » [7] - bien que le droit de poursuivre ces activités soit garanti à l’Iran par le Traité de Non-Prolifération (TNP) [8]. Depuis le 23 décembre, il a complètement identifié le programme nucléaire civil iranien à de prétendues « activités nucléaires sensibles en matière de prolifération » [9] - bien que l’AIEA (l’Agence Internationale à l’Energie Atomique) n’ait jamais pu démontrer que le programme nucléaire iranien poursuive réellement des fins autres que pacifiques et civiles. Dans sa résolution du 23 décembre, le Conseil n’utilise pas moins de huit fois l’expression « activités nucléaires sensibles en matière de prolifération » pour qualifier le programme nucléaire iranien, l’allégation sans équivoque - et néanmoins parfaitement fausse - que recouvre ce terme, étant que le simple fait pour l’Iran de poursuivre son propre programme de recherche et d’enrichissement de combustible nucléaire serait en soi une violation des règles du TNP.

Mais le comble, c’est que la résolution du 24 mars interdit à l’Iran de vendre « aucune arme ou matériel du même ordre » à d’autres Etats ou à quiconque (paragraphe 5), et appelle tout Etat « à faire preuve de vigilance et de réserve » concernant la vente ou le transfert à l’Iran de toute une liste de systèmes « afin d’empêcher une accumulation d’armement déstabilisatrice... » (paragraphe 6) [10]. Comme l’observa immédiatement le journal The Hindu dans son éditorial, le premier terme est critique, « non que la république islamique ait jamais été un important vendeur d’armes, fut-ce au Hezbollah et au Hamas, mais parce qu’il offre aux USA une excuse pour intimider voire dérouter toute cargaison en provenance d’Iran au prétexte de ’’l’application’’ de cette résolution » [11]. Il en va de même du second terme, que Washington ne manquera pas d’interpréter - comme en semblable cas par le passé - comme un embargo total sur les livraisons d’armes à destination de l’Iran, privant de fait sa future victime, à la veille d’être agressée par une ou plusieurs puissances nucléaires, du droit de se voir offrir aucun moyen de se défendre, fut-il non-nucléaire.

Evidemment c’est par excellence depuis des décennies la technique classique des USA, y compris contre des ennemis lilliputiens comme le Guatemala en 1954 ou le Nicaragua en 1980, entre autres... Aujourd’hui, les USA se sont arrogé la collaboration du Conseil de Sécurité pour s’assurer que leur prochaine victime serait bientôt dans l’incapacité de se défendre. Dans ce cas véritablement kafkaïen, la victime désignée pour la prochaine agression (l’Iran) se voit même accusée par le Conseil de Sécurité d’être une menace majeure pour la paix et la sécurité internationales, sur l’ordre d’un agresseur en série [« serial agressor »] qui mobilise ouvertement ses forces pour attaquer ladite « menace » [12].

Force est de constater que le traitement du programme nucléaire iranien - de même que la position du Conseil de Sécurité dans cette affaire - est le summum de l’application systématique d’un « double standard » [politique de deux poids, deux mesures] imposé par une superpuissance insatiable, désormais ouvertement hypocrite et criminelle. Seuls les Etats-Unis et leurs alliés peuvent disposer d’armes nucléaires. Eux seuls peuvent menacer d’y avoir recours. Eux seuls peuvent en améliorer constamment la puissance ou la portée. Seuls leurs clients peuvent s’ils le désirent rester indéfiniment - à l’instar d’Israël - indifférents au TNP sans encourir la moindre sanction. Les Etats-Unis peuvent bien, si bon leur semble, ne tenir aucun compte des exigences du TNP qui leur imposent d’ ?uvrer à un désarmement nucléaire général. Ils peuvent même renier leur engagement solennel à ne jamais recourir aux armes nucléaires [ni menacer d’y recourir] contre des Etats qui en sont démunis, qu’est-ce que ça change ? Le seul droit du plus fort leur garantit qu’aucun état ne puisse sans leur aval, disposer d’un tel arsenal ni même - comme le montre l’actuelle crise iranienne - user simplement de son « droit inaliénable » à utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, tant que les USA y trouveront à redire.

À ce stade de la crise qui ébranle actuellement système international d’après-guerre, un agresseur en série [« serial agressor »] peut désormais exiger du Conseil de Sécurité - qui a originellement vocation à garantir la paix et la sécurité internationales - qu’il déclare que l’Etat qui se trouve dans sa ligne de mire constitue une menace pour la paix, et qu’il permette à l’agresseur de le désarmer à loisir avant de l’attaquer. Ça, ça va incontestablement bien au-delà de Munich.


Edward S. Herman est professeur émérite de finances à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l’économie, l’économie politique et les médias, au nombre desquels : The Real Terror Network, Triumph of the Market et Manufacturing Consent (avec Noam Chomsky).

David Peterson est chercheur et journaliste indépendant.

Notes :

* Une version abrégée de ce commentaire, au format tribune libre, a été très largement diffusée et soumise à la plupart des plus grands titres de la presse écrite U.S. Elle s’est avérée 100 % impubliable.

1. Pour une liste extensive de la documentation remise à l’ONU par le gouvernement irakien, entre le 29 août 2001 et le 26 mars 2003, cf. David Peterson, "No Memo Required," ZNet, 1er juillet 2005.
2. Voir David Peterson, "’Spikes of Activity’," ZNet, July 5, 2005 ; et David Peterson, "British Records on the Prewar Bombing of Iraq," ZNet, July 6, 2005.
3. Voir Steven Kull et al., Americans on Iraq and the UN Inspections, Program on International Policy Attitudes, 21-26 janvier 2003.
4. Charte des Nations Unies, Chapitre I, Article 2 : "Tous les membres devront s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’usage de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’aucun autre Etat, ou de quelque autre manière allant à l’encontre des objectifs des Nations Unies" (par. 4).
5. "USS John C. Stennis Now Operating in Persian Gulf," Navy Newsstand, March 27, 2007 ; "Russian intelligence sees U.S. military buildup on Iran border," RIA Novosti, March 27, 2007 ; and Michael R. Gordon, "U.S. Opens Naval Exercise in Persian Gulf," New York Times, March 28, 2007.
6. Voir Chapitre VII. - il nous semble indispensable de bien comprendre que, pour le Conseil de Sécurité, adopter une résolution sous le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies signifie fondamentalement que vient d’être commis un acte qui menace la paix, la brise ou constitue une agression ouverte. Sans quoi le Conseil n’a aucune raison légitime de recourir aux fonctions et prérogatives dudit Chapitre VII. Quoi que les autres Etats membres puissent penser de l’instauration des résolutions iraniennes, leur aval sur ce point assure aux Etats Unis un formidable outil de coercition, aussi puissant que dangereux.
7. Résolution 1696, 31 juillet 2006, parag. 2.
8. Cf. Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, Préambule et Articles I, II et IV.
9. Résolution 1737, 23 décembre 2006, parag. 2.
10. Résolution 1747, 24 mars 2007, parag. 5 et 6.
11. "Stepping towards the precipice," Editorial de The Hindu, 27 mars 2007.
12. Cf. Edward S. Herman et David Peterson, "Hegemony and Appeasement : Setting Up the Next U.S.-Israeli Target (Iran) For Another ’Supreme International Crime’," ZNet, 27 janvier 2007.

Ed Herman & David Peterson - ZNet, le 31 mars 2007
Traduit de l’anglais par Dominique Arias


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