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Syrie : la guerre déchire le camp palestinien de Yarmouk

mercredi 13 mars 2013 - 06h:32

Moe Ali Nayel - E.I

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Il y a de cela vingt mois, le réfugié Palestinien Moutawali Abu Nasser, âgé de 38 ans, a renoncé à son travail d’enseignant et a suspendu son travail au théâtre pour se concentrer sur le camp d’al Yarmouk.

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Arrivée à la frontière libanaise d’une famille palestinienne qui s’est enfuie du camp de Yarmouk, à Damas

Moutawali Abu Nasser a ainsi voulu mettre ses compétences intellectuelles au profit du camp de réfugiés palestiniens de Damas afin de préserver le caractère neutre mais favorable aux vents de changements qui ont commencé à souffler sur la Syrie. Pourtant, à seulement 8 kilomètres du centre de Damas, al-Yarmouk s’enfonce de plus en plus dans le conflit.

Dans le passé, Abu Nasser n’était hanté que par une seule motivation : le retour à sa première maison, sa patrie la Palestine. En sa qualité d’instituteur et de scénariste, il se servait de la classe et du théâtre pour enseigner aux nouvelles générations l’histoire de la Palestine et de l’occupation, tout en défendant le droit au retour.

Mais pour l’instant, son second foyer al-Yarmouk a encaissé plusieurs coups depuis l’éclatement de la vague de changement et du conflit qui ravagent la Syrie depuis 2011. Abu Nasser s’est impliqué dans des organisations locales de soutien au peuple syrien à travers les médias, le travail humanitaire et la responsabilisation communautaire.

Depuis 1948, année de l’occupation de la Palestine par Israël, plusieurs intellectuels, hommes d’affaires, paysans et artisans avaient été contraints de quitter leur pays et de fuir pour la Syrie où ils avaient eux-mêmes construit al-Yarmouk. Ce camp a vu le jour en 1957, et il est devenu aujourd’hui un grand quartier urbain où habitaient jusqu’à 400 000 habitants, et le plus important centre pour les Palestiniens réfugiés en Syrie.

Ainsi, les Palestiniens ont mis en place un camp qu’ils ont transformé en un centre actif pour le commerce, les arts, les affaires et la politique. Le camp était considéré comme un havre de sécurité pour les réfugiés politiques et pour l’organisation de mouvements politiques clandestins qui entretenaient des relations tendues avec le régime Syrien.

Il existe aussi une autre particularité du camp d’al-Yarmouk. Il s’agit de l’influence de la scène culturelle palestinienne qui le caractérisait et qui drainait de nombreux Syriens vers le camp. Al-Yarmouk n’est pas resté sous sa forme initiale de camp ou de bidonville ; il a prospéré pour devenir une petite ville qui vibre dans le contexte Palestinien.

Aujourd’hui, presque deux ans après la sortie des Syriens dans les rues pour protester contre le régime, le camp s’est enlisé dans une guerre opposant les forces rebelles de l’Armée Libre Syrienne (ALS) et les forces de sécurité du gouvernement syrien. Cette situation a, selon Abu Nasser, conduit à l’exode de la majorité des Palestiniens vivant dans le camp ; leur nombre a encore chuté de 135 000 habitants à seulement 40 000.

Pour mettre la lumière sur la vie à al-Yarmouk qui a connu des mutations au cours de ces deux dernières années, Abu Nasser a accordé l’interview suivante à The Electronic Intifada à Beyrouth.

The Electronic Intifada : Pour commencer, pouvez-vous nous raconter comment était votre vie avant le déclenchement de la vague de protestations pacifiques en Syrie ?

Moutawali Abu Nasser : Je suis marié et père de deux enfants. J’étais enseignant en philosophie dans un lycée à al-Yarmouk. J’ai également travaillé dans le théâtre local en qualité de metteur en scène et de scénariste. En outre, j’ai joué plusieurs rôles dans des comités sociaux du camp, consacrant une partie de mon emploi du temps à des actions de bénévolat dans la préparation et la rédaction d’articles pour un journal local, publié et distribué dans les camps palestiniens établis partout en Syrie.

C’est ainsi que se résume ma vie jusqu’au début des protestations. Dans le passé, le régime syrien interdisait aux Palestiniens toute forme d’organisation. Nous n’avions pas le droit d’avoir nos propres syndicats, ni ceux pour les enseignants et les artistes.

Dans le camp, nous étions plusieurs à éprouver un ressentiment envers le parti Baath [au pouvoir] pour avoir forcé le gel de notre activité politique, ce qui a fait naître et grandir le sentiment d’amertume envers le seul parti politique auquel je pouvais adhérer : le FPLP [le Front Populaire pour la Libération de la Palestine]. J’ai vraiment été déçu de constater que le Front ne faisait rien pour défier le régime.

A l’heure actuelle, j’entends des gens dire « Vous êtes Palestiniens alors vous n’avez rien à voir avec la Syrie et ses questions ne vous regardent pas, » chose que je désapprouve fermement car il s’agit d’un raisonnement trompeur. La différence qui existe entre les réfugiés Palestiniens au Liban et ceux en Syrie est que pour cette dernière, les Palestiniens sont des membres actifs dans la société, d’ailleurs, même les Syriens nous considéraient comme leurs concitoyens et ce, contrairement à la situation au Liban où les Palestiniens sont marginalisés et écartés du système libanais. En Syrie, le régime ne faisait aucune différence dans le traitement des personnes, qu’elles soient Syriennes ou Palestiniennes, et cela signifie pour moi que la solidarité est la moindre des choses.

EI : Pouvez-vous nous parler des relations, des sentiments et de l’attitude des habitants du camp d’al-Yarmouk envers le régime syrien et le soulèvement syrien ?

MAN : Lorsque la ville de Daraa [une ville au sud près de la frontière avec la Jordanie] a été assiégée par l’armée, ce sont les Palestiniens du camp de Daraa qui ont brisé le siège et ont fait introduire clandestinement le gaz et la nourriture à la population bloquée à l’intérieur de la ville.

En conséquence, sept d’entre eux ont été capturés et abattus sur place. Les Palestiniens d’al-Yarmouk étaient scandalisés et révoltés en apprenant la nouvelle qu’ils ont qualifiée de massacre. Les camps de réfugiés palestiniens établis en Syrie soutenaient une révolution avant même le début de la révolution. Jamais nous n’oublierons le massacre du camp de réfugiés de Tel al-Zaatar, perpétré en 1976 suite à l’invasion syrienne du Liban qui a permis aux milices de droite de tuer des milliers de Palestiniens. Nous n’oublierons jamais le rôle joué par l’ancien président Syrien Hafez al-Assad pour avoir saboté les camps et la résistance des Palestiniens au Liban.

Toutefois, al-Yarmouk est quand même resté neutre pendant la première année de la révolution syrienne. Je me souviens que vers la fin du mois de juillet 2001, nous avions, les membres des comités locaux du camp, décidé d’organiser une protestation et avions convenu de la tenir à l’extérieur du camp. Plus tard, nous avons constaté que plusieurs jeunes de notre camp s’étaient secrètement rendus dans des régions voisines pour protester en solidarité avec leurs amis syriens.

Les gens étaient alors conscients et avaient convenu que le camp devait être épargné et tenu à l’écart, et qu’il n’était pas facile de contenir la rage des jeunes qui ont perdu certains de leurs amis syriens dans des protestations en dehors du camp.

Ensuite, des familles syriennes déplacées ont commencé à affluer vers le camp afin d’y trouver refuge. A cet effet, nous avons commencé à travailler d’arrache-pied afin de coordonner des campagnes de secours pour les familles qui fuyaient les foyers des combats.

EI : Quelle était donc la contribution du camp d’al-Yarmouk puisqu’il a choisi de rester neutre et loin des protestations ?

MAN : Politisés depuis la naissance, les Palestiniens jouissent d’une grande expérience en matière d’organisation, notamment dans tout ce qui concerne les secours médicaux et l’aide humanitaire. Nous avons également mis à contribution notre expérience dans l’assistance pour les contacts avec les médias en créant la Tansequyat al-Yarmouk, c’est-à-dire les comités locaux de coordination.

Cette coordination pour les médias a été conçue pour servir d’outil aux zones voisines qui protestaient. Nous avions essayé de garder le camp loin de toute implication directe, et nous nous étions uniquement axés sur la couverture médiatique et avons fait en sorte que les informations que nous communiquions étaient vérifiées et exactes. Plus tard, la tâche de coordination a changé lorsque des bombes ont commencé à tomber sur le camp. Après que nous ayons été bombardés, la coordination a dû élargir son rôle pour inclure une aide médicale, des logements et des unités de distribution de vivres dans le camp. Le camp avait un rôle logistique.

IE : Pouvez-vous parler, dans al-Yarmouk, de l’influence du FPLP-CG et d’autres factions palestiniennes soutenues par le régime ? [Le Front Populaire pour la Libération de la Palestine-Commandement général est une faction armée palestinienne proche du gouvernement syrien, et distincte du FPLP.]

MAN : La goutte qui a fait déborder le vase, contre le régime et ses alliés dans le camp a été l’incident [5 Juin 2011] de la commémoration de la Naksa qui a suivi la commémoration de la Nakba, le 15 mai 2011 [lorsque les réfugiés palestiniens ont tenté de rentrer chez eux en traversant la ligne de séparation, 10 d’entre eux étant alors assassinés par les soldats israéliens].

Lors de la Journée de la Naksa, nous sommes allés à la frontière, mais le pouvoir a politiquement profité de cette journée. Nous étions méfiants quant aux gens qui organisaient le voyage à la frontière. Il était évident que ces personnes avaient organisé les choses de façon à emmener les jeunes à la frontière d’une manière qui ne paraissait pas spontanée [comme] lors de la commémoration de la Nakba.

Ce fut une initiative que le régime allait exploiter en envoyant des gens mourir à la frontière. Nous avons exhorté les gens dans le camp à ne pas s’y rendre. Mais quand des nouvelles nous sont parvenues que des manifestants étaient tués, nous ne pouvions pas empêcher les gens d’aller vérifier sur place qui étaient à la frontière.

Les choses se sont tendues dans le camp quand ces personnes sont revenus et voulaient alors enterrer leurs martyrs. Il y a eu des affrontements avec le FPLP-CG, qui a répondu par des tirs lors des funérailles, tuant encore plus de monde. Par la suite, les gens sont descendus dans les rues, voulant nettoyer al-Yarmouk. C’est alors que le camp a commencé son propre « printemps » : les Palestiniens contre les corrompus, contre les factions opportunistes.

Il s’agissait d’un incident qui a sorti le camp de sa neutralité. Puis vinrent les bombardements aveugles d’avions MiG russes [faits] avant que les combattants de l’Armée Libre Syrienne (ALS) n’entrent dans le camp. L’ALS est officiellement entrée dans le camp le 15 décembre 2012.

Le FPLP-CG a rejoint le régime et a attaqué les lieux tenus par l’ALS dans al-Yarmouk. Au début, le FPLP-CG avait 2000 combattants palestiniens rémunérés dans le camp, mais maintenant il ne sont plus que [environ] 80.

L’ALS a décidé d’entrer dans le camp pour lutter contre le FPLP-CG, qui était soutenu par le régime et organisé en six groupes de combattants - des militants syriens avec un nombre réduit de Palestiniens - qui prenaient leurs ordres des services de renseignement de l’Armée de l’air. Ils ont contrôlé les entrées principales du camp. Les six groupes étaient lourdement armés de mortiers, de lance-roquettes et de munitions en nombre illimité. Ces six groupes ont assiégé les zones voisines (al-Hajar et Tadamon) alors qu’al-Yarmouk fonctionnait comme une bouée de sauvetage pour ces zones assiégées, assurant des fournitures médicales, du gaz de cuisine, de la nourriture et de l’eau.

EI : L’ALS a-t-elle coordonné son entrée dans le camp avec le comité local ?

MAN : Bien sûr, l’ALS s’est coordonnée avec les groupes locaux de militants dont le travail consistait uniquement à protéger le camp des voyous du régime. Et dès que l’ALS est entrée, il n’y eut pas de confrontation avec les six groupes liés au régime ou avec le FPLP-CG, dont les membres qui étaient payés ont fait défection tout de suite. L’ALS est entrée dans le camp en raison de son emplacement stratégique alors qu’elle tentait de s’emparer de Damas.

EI : Que pensent les habitants de l’entrée de l’ALS dans leur camp ? L’ont-ils approuvé ?

MAN : Les habitants du camp ne voulaient pas que l’ALS y reste. Personnellement, j’étais contre leur entrée dans le camp. Le camp avait un rôle humanitaire, et y porter la guerre était une erreur.

En fin de compte, nous avons convenu que l’ALS ne ferait que traverser le camp, et n’y stationnerait pas. Nous leur avons dit : « passez à travers pour vous rendre à votre prochaine embuscade mais ne restez pas dans le camp. »

La situation a commencé à se détériorer, six jours après leur entrée dans le camp. Il n’y avait plus de pain, [et] une pénurie de toutes les fournitures médicales nécessaires aux quatre hôpitaux de campagne du camp.

Avant que l’ALS ne soit dans le camp, la guerre était pour nous une question humanitaire : les loyers restaient peu élevés, il y avait beaucoup de nourriture, et le soutien médical fourni par le camp avait sauvé de nombreuses vies. Seuls les islamistes du camp étaient en faveur du maintien de l’ALS dans al-Yarmouk.

Des avions de chasse du régime ont bombardé le camp de jour et le nombre des martyrs a augmenté. À une occasion, 20 personnes sont mortes en un seul jour. Les gens doivent comprendre que les bombardements aveugles du camp par le régime - tuer des gens innocents, des enfants dans leur aire de jeux - rendent l’idée de l’ALS plus acceptable pour les habitants du camp. Plus les MiG bombardaient le camp, plus les gens voulaient que l’ALS reste.

IE : Quelle est la situation de Yarmouk en ce moment ?

MAN : La situation dans le camp a rendu la vie impossible, c’est atroce. Il reste encore environ 40 000 personnes qui ne peuvent pas se sauver. Beaucoup de Palestiniens de al-Yarmouk sont dispersés autour de la Syrie, et au plus fort des bombardements leur nombre a grimpé à 70 000. Beaucoup ont fui au Liban, mais le Liban n’est pas un lieu accueillant pour les Palestiniens.

À l’heure actuelle en Syrie il y a des restrictions et à des arrestations au niveau des entrées du camp. Les prix des produits alimentaires ont atteint un niveau record, un sac de pain est vendu pour l’équivalent de 4 dollars US maintenant alors qu’avant il était à moins de 1 dollar. L’armée syrienne a imposé des ordres stricts de contrôle sur la nourriture qui entre dans le camp. Ils ouvrent tous les sacs de pain et chaque boîte de conserve. Par conséquent des quantités importantes sont endommagées avant qu’elles ne parviennent aux gens à l’intérieur du camp.

Al-Yarmouk a été transformé d’une bouée de sauvetage en un corps criblé de balles, perdant son sang.

EI : Comment voyez-vous votre rôle, maintenant que vous êtes en exil au Liban ? Comment pouvez-vous aider à partir d’ici ?

MAN : C’est ironique. Même si je suis au Liban, je me sens plus Palestinien que quand j’étais en Syrie. Je suis en train d’écrire dans les journaux locaux libanais qui tentent de faire la lumière sur la question des réfugiés, et je consacre aussi la plupart de mon temps de travail aux services de secours dans les camps. Il y a beaucoup d’aide qui parvient au Liban pour être distribuée parmi les réfugiés syriens, mais à peu près rien n’est distribué aux Palestiniens venant de Syrie.

En décembre dernier, le régime a donné aux habitants du al-Yarmouk huit heures pour quitter le camp. Un chaos s’ensuivit et comme nous n’avons pas réussi à convaincre les gens de rester, nous avons fini par fuir avec eux vers le Liban. Après les humiliations et les tentatives vaines à la frontière, ceux qui pouvaient payer les frais de visa de 17 dollars sont finalement entrés. Heureusement, j’ai réussi à contacter un ami de Beyrouth qui m’a envoyé 600 dollars à distribuer aux gens qui ne pouvaient pas payer ces droits d’entrée au Liban.

Ce jour-là une réalité déprimante m’a frappé, comme une brique sur la tête : les Palestiniens sont humiliés dans les pays où ils devraient se sentir les bienvenus et comme chez eux.

* Moe Ali Nayel est un journaliste freelance qui vit à Beyrouth au Liban. On peut le suivre sur Twitter : @MoeAliNay.

26 février 2013 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction : Info-Palestine.eu - CZ & Niha


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