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Couvrir Gaza

lundi 13 novembre 2006 - 15h:45

Jonathan Cook

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L’état d’Israël, effrayé par la vérité, continue de contrôler la couverture médiatique de son occupation brutale, écrit Jonathan Cook.

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Des enfants palestiniens de la famille Al-Ajuri jouent dans les débris de leur maison détruite à Beit Lahya, Gaza.

Une première et facile victoire pour Israël à Gaza a été obtenue dans sa bataille pour gérer l’information. L’invasion d’Israël est une guerre très privée contre la population de Gaza, à laquelle seuls les invités -les représentants de nos principaux médias- ont accès.

Pendant la dernière guerre d’Irak, les Etats-Unis ont créé un précédent en exigeant des reporters occidentaux d’ « embarquer » (embed) avec ses forces avant d’être laissés sur le champ de bataille. Israël prend la suite, adoptant des mesures similaires pour contrôler le flux de mauvaises nouvelles en provenance de Gaza.

Les restrictions sur qui peut rapporter et ce qui peut nous être dit expliquent en partie pourquoi plus de 2 semaines après qu’un soldat israélien a été capturé, presque tous les reporters occidentaux font référence à un « kidnapping » ; pourquoi la destruction d’infrastructures civiles vitales telles que la seule centrale énergétique de Gaza est décrite comme une « pression » plutôt que ce que c’est réellement - une punition collective, une violation de la loi internationale et un crime de guerre ; et pourquoi la mort d’un grand nombre de palestiniens, civils et militants, dans les attaques actuelles sont beaucoup moins couvertes que la mort des 2 soldats appliquant l’occupation qui a donné à Israël le prétexte de lancer son invasion.

Gaza - une gigantesque prison à ciel ouvert - ne pouvait offrir un environnement plus parfait pour un occupant voulant contrôler l’information. Israël contrôle les frontières et peut décider de qui est autorisé à entrer et de qui en est interdit. La liberté de la presse n’a pas de sens dans ces conditions.

Israël développa sa propre stratégie d’ « embarquement » pendant le désengagement de Gaza l’an dernier. Seuls des journalistes des grandes organisations de l’information ont été autorisés à entrer dans la Bande de Gaza, dans des bus spéciaux de l’armée qui sont allés directement vers les colonies. Ceux qui n’avaient pas obtenu d’accréditation des principales organisations de l’information, et ceux qui avaient déplu à Israël en raison de leurs précédents reportages, avaient peu d’espoir d’obtenir un droit d’entrée. Les journalistes refoulés étaient, sans aucun doute, supposés prendre note pour la prochaine fois et changer le ton de leur couverture.

Les grandes organisations de l’information n’ont aucun intérêt à révéler pourquoi elles ont l’accès spécial à Gaza et à quel prix elles ont acheté ce privilège. L’admettre reviendrait à reconnaître les pressions subtiles qui influencent déjà leurs reportages et pourrait remettre en cause l’arrangement confortable qui leur offre un monopole sur le flux d’information à un moment où elles sentent déjà la menace venant de l’émergence du journalisme sur Internet qui n’est pas sujet, lui, aux agendas de riches patrons ni des publicitaires.

Le système d’ « embarquement » israélien opère à 2 niveaux : il s’assure que de nombreux journalistes potentiels ne soient pas en mesure d’informer sur Gaza ; et il impose un ensemble de pressions sur ceux qui y sont.

Le retrait de ses colons et soldats de Gaza par Israël en août dernier fut une aubaine car il obtint ainsi le contrôle absolu des entrées et sorties de cette minuscule Bande de terre de la côté méditerranéenne. Le résultat : alors qu’à partir de ce moment il devint impossible aux palestiniens de sortir de Gaza, il fut quasiment aussi difficile aux étrangers d’y entrer.

Le scellage hermétique de Gaza entre dans un processus suivi par Israël ces dernières années pour décourager les étrangers de s’aventurer dans des endroits où ses soldats préfèrent s’affairer à l’abri des regards.

Fin 2002 et en 2003 l’armée israélienne tua 2 militants pacifistes de l’ International Solidarity Movement, Tom Hurndall and Rachel Corrie. Ce fut un moyen de dissuasion très efficace pour d’autres militants - aussi bien que pour des journalistes indépendants qui pourraient être confondus avec des militants - qui envisageraient de venir vivre dans les territoires occupés.

Les étrangers arrêtèrent de s’ « embarquer » dans les régions palestiniennes, et par conséquence il y eut une diminution rapide du nombre de journaux personnels décrivant l’occupation qui créaient un « journalisme alternatif » embryonnaire mais utile.

Depuis, Israël est sur ses gardes concernant toute personne à ses frontières qu’il suspecte d’appartenir à des organisations pacifistes ou d’être recruté par des organisations palestiniennes. Les non-israéliens sont retenus pour de longs interrogatoires et généralement renvoyés si Israël les suspecte de vouloir entrer dans les territoires occupés, que leurs intentions soient légitimes ou non.

Ainsi, la Cisjordanie et Gaza sont désormais douloureusement privées des jeunes idéalistes et des journalistes plein d’espoir qui jadis voyageaient dans les territoires occupés.

Israël a prétendu que ces mesures avaient pour but de protéger ces personnes et ses propres soldats d’inutiles et dangereuses confrontations. Mais en pratique, Israël s’est assuré que les témoins indépendants - y compris ceux qui furent par le passé capables de décrire de première main et dans leurs nombreuses langues natives les horreurs infligées aux palestiniens - soient tenus à l’écart des territoires occupés.

A leur place des reporters « professionnels », basés en Israël, s’aventurent dans ces régions seulement après l’évènement, quand le mieux qu’ils puissent faire et de présenter les 2 versions des faits contradictoires : la version officielle israélienne et les déclarations des témoins palestiniens.

Depuis le désengagement, le processus d’isolement de Gaza s’est intensifié, assurant que seules quelques voix soient entendues - en pratique seulement celles de journalistes ayant la sensibilité de leurs patrons et qui se soucient de leur carrière.

Avec une clôture électronique entourant Gaza sur 3 côtés et la mer sur la quatrième, le seul moyen d’entrer dans la Bande est de passer par l’un des points contrôler par l’armée. Alors que les journalistes pouvaient par le passé arpenter les territoires occupés, rapportant les faits tels qu’ils les voyaient, ils doivent maintenant surmonter plusieurs obstacles avant d’être autorisés à entrer dans Gaza.

Comment les journalistes sont-ils « embarqués » par Israël ?

D’abord pour entrer dans Gaza un journaliste doit être en possession d’une carte de presse attribuée par l’Israeli Government Press Office (GPO). Toutes les autres cartes de presse - même les cartes internationales - sont sans valeur aux yeux du gouvernement israélien.

Pour être éligible à l’obtention d’une carte du GPO, les candidats doivent avoir une accréditation d’une organisation de l’information reconnue. Les reporters et photographes indépendants sont considérés comme des imposteurs à moins de pouvoir prouver qu’ils sont en mission pour l’une de ces organisations accréditées.

Le problème pour les journalistes indépendants est double. D’abord Israël décide quelles organisations sont accréditées et rejettera probablement tout media « alternatif » qui aura été trop critique vis-à-vis d’Israël dans le passé.

Ensuite Israël empêche les indépendants de faire à Gaza ce qu’ils feraient dans toute autre zone de conflit : observer sereinement ce qui se passe sur le terrain. Maintenant, le journaliste indépendant doit avoir une mission précise à l’esprit, et avoir un accord prédéfini avec une organisation de l’information pour poursuivre cette mission en son nom.

Ces conditions limitent sérieusement la liberté des reporters et photographes indépendants de trouver des histoires qui ont échappé aux organisations de l’information. En pratique, si un journaliste indépendant parvient à obtenir une telle mission (en soi une tâche difficile), il est probable que ce soit pour une histoire que son bureau, à des milliers de kilomètres, juge importante : c’est-à-dire les mêmes histoires que le reste des médias pourchasse. L’innovation et la différence de point de vue sont exclues dès le début.

Ces journalistes qui parviennent à obtenir une carte du GPO doivent surmonter un deuxième obstacle : ils doivent signer une « décharge » exonérant Israël de toute responsabilité s’ils sont blessés pendant leur séjour dans la Bande de Gaza, y compris suite à des actions de l’armée israélienne.

L’effet de cette décharge est d’imposer une lourde charge financière aux journalistes indépendants. Alors que les organisations de l’information fournissent à leur personnel une assurance de guerre, une voiture blindée et un gilet et casque pare-balle, ils ne se sentent pas les mêmes obligations envers les indépendants, même envers ceux en mission pour eux.

Ceci met les reporters et photographes indépendants dans une situation peu enviable : soit ils se protègent à un coût personnel énorme qu’ils ont peu de chance de couvrir avec leur reportage, soit ils risquent des blessures pour lesquelles personne ne peut être tenu responsable ni redevable.

Même s’il peut être prouvé qu’un soldat israélien a effectué un tir malveillant comme ceux qui ont tué le réalisateur James Miller et l’officiel de l’ONU Iain Hook ou ravagé le visage du militant Brian Avery, les journalistes indépendants et leurs familles n’auront pas droit à un centime de compensation.

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James Miller, tué le 2 mai 2003 à Rafah (sud de la bande de Gaza).

On peut supposer que cette mesure seule a été une sérieuse dissuasion pour de nombreux journalistes indépendants qui auraient envisagé, sinon, de se faire un nom en couvrant la ligne de front à Gaza.

Et il y a ce troisième obstacle, le plus problématique. Les reporters qui reçoivent une carte du GPO doivent se soumettre à l’obligation de soumettre tout reportage touchant « à la défense et à la sécurité » à la censure militaire israélienne. Bien qu’en pratique peu de reporters occidentaux fassent référence à la censure, le fait de savoir qu’ils enfreignent les termes de l’accord - et pourraient se voir retirer leurs privilèges - a pour but de les encourager à se restreindre eux-mêmes.

Tant que les reportages des journalistes n’attirent pas trop d’attention des autorités israéliennes, ce terme de leur contrat a peu de chance d’être appliqué. S’ils baissent la tête, et restent dans le groupe, il n’y a pas de danger qu’ils soient repérés. Au contraire, l’audace et l’originalité de la part des journalistes est le moyen le plus sûr pour encourir la colère de l’ Israeli Press Office et des plaintes à l’éditeur du journaliste.

L’aspect le plus choquant de cet embarquement des médias avec l’armée israélienne est le silence des journalistes eux-mêmes, de leurs employeurs et de leurs fédérations. Nul n’a essayé de s’opposer aux restrictions imposées par Israël à ceux qui souhaitent informer sur la situation dans les territoires occupés.

La piètre qualité des reportages pendant l’invasion de Gaza a montré à quel point un club douillet de journalistes bien payés sont protégés par ces arrangements et le peu d’énergie qu’ils manifestent à faire des vagues avec Israël ou leurs éditeurs. En conséquence, le discours israélien en arrive à dominer la couverture médiatique.

L’invasion de Gaza n’est pas la fin de cette histoire de complicité des médias. Alors que la construction du mur autour de la Cisjordanie est quasiment achevée, le contrôle des médias par Israël s’étendra aussi bientôt là-bas. Ainsi, sans aucun doute, nos médias « embarqués » produiront des reportages toujours plus lâches.

Jonathan Cook est un journaliste basé à Nazareth, il est l’auteur de “Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish and Democratic State », publié en juin 2006 chez Pluto Press (langue anglaise).

Traduit de Al-Ahram Weekly Online par YC :
http://weekly.ahram.org.eg/2006/803...


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