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Vies sous occupation : « Ils ont décidé de me priver de la chance de prononcer le mot ’Papa’ »

vendredi 1er mars 2013 - 06h:00

PCHR Gaza

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Du haut de ses 11 ans, Jumana Alaa Shahada Abu Jazar est une petite fille au destin bouleversant. Elle avait à peine quatre mois lorsque sa mère décéda. Peu de temps après, son père Alaa’ (37 ans) fut arrêté sur son chemin vers Israël où il accompagnait son père pour des soins et fut détenu dans une prison israélienne. La dernière fois que Jumana a pu voir son père, elle était âgée de 2 ans seulement, depuis, elle est interdite d’entrer en Israël pour « des raisons de sécurité. »

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Jumana devant l’entrée de sa maison à Rafah

Restée seule, l’enfant est élevée par sa grand-mère Maryam (67 ans) et son oncle Ayman ; son grand-père Shahada est mort juste après l’arrestation de son fils car il a été empêché de voyager en Egypte pour y recevoir les soins nécessaires.

Dans ce nouveau foyer, Jumana avait appris à appeler sa grand-mère « maman » et son oncle « papa. » Un jour, en rentrant de l’école, elle a interrogé Maryam : « Maman, je veux te poser une question mais promets moi de ne pas mentir. Comment peux-tu être à la fois ma maman et la maman de mon père ? »

Jumana était alors âgée de 5 ans et c’était le jour où elle avait compris que sa mère biologique était morte quand elle était encore un bébé.

En février 2009, Ayman, l’oncle de Jumana a été tué par une frappe de drone près du domicile familial : il n’avait que 22 ans. Maryam décrit l’impact de l’incident et du choc sur Jumana : « Lorsque Jumana est retournée à la maison et que je lui ai appris la nouvelle, elle a commencé à s’évanouir en répétant trop, trop : ma mère est morte, mon père est en prison, mon oncle est mort : qui vais-je appeler « papa » maintenant ? »

En écoutant le récit de grand-mère, le chagrin était nettement visible dans les yeux de Jumana qui lance : « Mon oncle a été tué le jour de l’anniversaire de mon père ; le 2 février. »

Il y a quand même lieu de préciser que Jumana est une excellente élève et se classe toujours la première. Elle a également reçu un prix par la mosquée locale pour avoir été la plus jeune qui récite le Coran par cœur. Sa photo avec une copie du Coran est collée sur le mur du salon.

c’est également une fille assidue. Lorsque l’électricité est coupée, elle étudie avec une lampe torche. Toutefois, ses bons résultats et son succès à l’école semblent être vains, d’ailleurs, même ses professeurs se demandent pourquoi n’est-elle pas heureuse et satisfaite, ce à quoi elle répond : « Je ne peux pas être heureuse alors que ni mon père, ni ma mère, ni mon oncle ne sont à mes côtés. »

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Jumana assise à côté de sa grand-mère Maryam, tenant dans sa main un cahier décoré par son père

Maryam a été autorisée à visiter Alaa’ en prison une seule fois en 2012, c’était dans le cadre de la reprise des visites des prisonniers qui intervient à la suite de la signature, le 14 mai 2012, de l’accord d’échange des prisonniers. Pour rappel, cet accord, sous médiation égyptienne, avait pour objectif de mettre un terme à la grève de la faim initiée par les prisonniers Palestiniens et leurs familles. Cette rencontre a donc été la première depuis neuf ans de séparation.

Elle raconte : « J’étais vraiment épuisée et à bout à cause du temps qu’il m’a fallu pour arriver à la prison, en plus de la pression que l’absence de Jumana a causée. Je ne savais pas comment la représenter et comment faire pour transmettre ses messages et faire part de ses interrogations, sachant que je n’avais droit qu’à une demi-heure en compagnie de mon fils. En fin de compte, je me suis évanouie d’épuisement. »

Depuis, Maryam contacte chaque semaine la Croix Rouge pour savoir si elle peut, ou Jumana éventuellement, rendre visite à son fils dans les meilleurs délais : « Cette semaine encore j’ai été informée qu’aucune visite n’était programmée. J’ignore si nous seront interdites de le voir pour de bon, ou si un jour nous en seront autorisées. Je m’inquiète vu mon état de santé. Je suis à la fois hypertendue, diabétique et cardiaque. Tout ce que je souhaite c’est de vivre assez longtemps pour pouvoir m’occuper de Jumana jusqu’à la libération de son père. »

Une libération pourtant prévue pour l’an 2021, soit dans huit ans. Néanmoins, Jumana espère voir son père libre à temps afin qu’il assiste à sa réussite au baccalauréat.

En 2011, la famille Abu Jazar espérait que son fils fasse partie des 477 prisonniers Palestiniens libérés dans le cadre de l’accord d’échange des prisonniers, et de la libération de Gilad Shalit, mais leurs espoirs se sont vite dissipés, comme l’explique Jumana : « J’ai commencé à rêvasser du retour de mon père. Je voulais faire appel à un orchestre folklorique et partir l’accueillir à la frontière. Je voulais préparer un CD où je regrouperais toutes les chansons que j’ai écrites pour lui, les chanter et lui réciter les poèmes écrits pour lui. »

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La boîte à bijoux de Jumana où elle range les colliers et bracelets confectionnés par son père en prison. Des photos de Shahada, le grand-père de Jamana, et de son oncle Ayman

Pourtant, Jumana ne se souvient pas vraiment de son père, n’étaient-ce les histoires que sa grand-mère raconte sur lui et dont elle fait son propre univers quotidien. En effet, Jumana raconte à son père, à travers ses photos, ses journées à l’école, lui parle de ses amis et de ses résultats scolaires, bien qu’au fond, elle a une forte envie de discuter avec lui en chair et en os.

Alaa’, quant à lui, ne manque pas une seule occasion pour envoyer des petits cadeaux à sa fille avec des prisonniers libérés partant pour Rafah. Il lui confectionne des colliers et des bracelets avec des perles colorées. Il lui a également envoyé deux cahiers dont les marges sont ornées de ses propres œuvres où il dessine des fleurs, des oiseaux et des mains humaines se libérant de leurs chaines.

Depuis sa première année à l’école, lorsqu’elle a appris à lire et à écrire, Jumana a commencé à remplir les pages de ses cahiers avec ses pensées, ses souvenirs, ses espoirs et les poèmes qu’elle compose. L’an dernier, elle a écrit le poème ci-après en hommage à son père qui, à l’instar de nombreux prisonniers, avait entamé une grève de la faim de grande envergure. Jumana n’a pas seulement traduit sa solidarité en vers, elle a également jeûné pendant 22 jours, refusant tout type de nourriture, excepté l’eau et le yaourt.

Le jour se lève et voilà que tu commences ta grève de la faim
Un matin où je ne sais plus quel espoir entretenir
Un matin synonyme de chagrin et de douleur

Papa, je garde quand même espoir
Même si je n’ai jamais vraiment ressenti le vrai bonheur
Résiste papa, sois fort car c’est de ta force que je m’inspire
Tu es le seul espoir qui me reste
Tous mes proches sont partis, ils m’ont abandonné
Ma mère, mon oncle, mon grand-père,
Tous sont très loin aujourd’hui

Ils m’ont arraché le droit de toucher ta main et d’embrasser ton front
Ça me cause beaucoup de peine et de chagrin
Ils me privent du droit de dire le mot « papa »
Ça me manque d’appeler papa

Quand est-ce que je pourrai le dire, je me le demande
Je veux que tout le monde m’entende dire papa
Tous les enfants autour de moi appellent papa
Sauf moi, je n’ai jamais eu la chance de le dire

Papa, quand reviendras-tu ?
Je t’accompagnerai partout où tu iras
Je dormirai dans tes bras et je marcherais à tes côtés
Je te présenterai au monde entier
A mes amis et à mes voisins
Et je leur demanderai : « Avez-vous un papa comme le mien ? »

Papa, en cette nouvelle journée de ta grève de la faim
Quand serais-je en mesure de te voir ?
Papa, je suis ce que tu es
Car sans toi, mon existence n’aura aucun sens
Chaque jour je t’embrasse sur la photo
Mais je reste convaincue que le jour souhaité viendra
Ce jour où tu m’enfermera dans tes bras.

En vertu de l’Article 37 de l’Ensemble des Règles Minima édictées par l’ONU en matière de Traitement des Détenus, ces derniers « doivent être autorisés sous la surveillance nécessaire, à communiquer avec leur famille et ceux de leurs amis auxquels on peut faire confiance, à intervalles réguliers, tant par correspondance qu’en recevant des visites. »

Ce droit est également étayé par le Principe 19 de l’Ensemble des Principes pour la Protection de Toutes les Personnes soumises à une Forme Quelconque de Détention ou d’Emprisonnement qui stipule que « Toute personne détenue ou emprisonnée a le droit de recevoir des visites, en particulier de membres de sa famille, et de correspondre, en particulier avec eux, et elle doit disposer de possibilités adéquates de communiquer avec le monde extérieur. » De plus, l’Article 9 (3) de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant (CNUDE) stipule que « Les Etats parties doivent respecter le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. »

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06 février 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha


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