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Benghazi et la “doctrine Ponce-Pilate” d’Obama

lundi 11 février 2013 - 21h:21

Philippe Grasset

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Le secrétaire à la défense US Léon Panetta, les traits de plus en plus ravinés, sans doute par l’exercice du pouvoir et la bénédiction papale malgré tout accordée, a été entendu par le Congrès le 7 février, sans doute pour la dernière fois ès qualité.

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Dans le meurtre de l’ambassadeur étasunien en Libye, B. Obama et Clinton ont été mis en cause pour leur incapacité à anticiper les évènements - Photo : Reuters

Et sans doute (bis) est-ce la raison pour laquelle il s’est un peu laissé aller à ce dangereux penchant de ne pas dissimuler la vérité, ou dans tous les cas la réalité des faits. Le sujet de cette audition était l’attaque de l’ambassade des USA à Benghazi, le 11 septembre 2012, ayant abouti à l’assassinat de l’ambassadeur Stevens.

Le témoignage de Panetta a éclairé d’un jour singulier le comportement du président Obama pendant cette crise opérationnelle d’urgence, consistant en fait à l’application d’une doctrine qu’on pourrait qualifier de “doctrine Ponce-Pilate”. Panetta vit un quart d’heure le président, au début des troubles, et n’eut ensuite plus aucun contact avec lui durant les cinq heures que durèrent les manifestations, l’attaque, l’attentat contre Stevens et son assassinat. Le président, qui avait d’autres occupations, lui avait donné carte blanche...On ajoutera la précision, également intéressante, selon laquelle ni lui (Panetta) ni son chef d’état-major général, le général Dempsey, n’eurent le moindre contact pendant toute la crise avec la secrétaire d’État Hillary Clinton ; il n’est pas question non plus de contacts avec la CIA... (Extraits du Washington Times du 7 février 2013.)

« Le Secrétaire à la Défense des Etats-Unis, Leon E. Panetta, a révélé jeudi qu’il avait personnellement informé le président Obama que l’ambassade de Benghazi en Libye était attaquée l’année dernière — mais qu’il n’avait plus parlé au président pendant le reste de la nuit où s’est déroulée l’attaque. Monsieur Panetta a dit que lui et Obama, ainsi que Martin E. Dempsey, le chef d’état-major interarmées, avaient parlé de l’attaque pendant 15 minutes dans le Bureau Ovale au cours de l’après midi du 11 septembre et qu’ils avaient aussi abordé la question des émeutes anti-étasuniennes qui avaient éclaté le même jour contre l’ambassade étasunienne au Caire.

 »Dans son témoignage devant le Comité du Sénat des Services Armés, Monsieur Panetta a dit que le président lui avait dit de "faire ce qu’il fallait pour protéger nos ressortissants en poste là-bas", mais pour ce qui est des modalités le président "nous en a laissé la charge". Les républicains se sont étonnés que les officiels responsables du Département de la Défense et Monsieur Obama n’aient plus communiqué au cours des six heures suivantes pendant lesquelles deux attaques ont causé la mort de quatre Etasuniens, dont l’ambassadeur J. Christopher Stevens.

 »"Est-ce qu’il vous a demandé combien de temps il fallait pour déployer les moyens nécessaires, y compris les avions de guerre, dans la zone ?" a demandé Kelly Ayotte, sénatrice républicaine du New Hampshire.

 »"Non", a répondu M. Panetta.

 »"Il ne vous a pas demandé de quelles capacités vous disposiez dans la zone ni ce qu’on pouvait faire ?" a demandé Mme Ayotte.

 »"Non", a répondu à nouveau M. Panetta. "C’est à dire, il nous faisait confiance à tous les deux ... à moi comme au général Dempsey. Il sait ce qui est déployé dans la zone d’une manière générale ; nous le lui avons dit dans d’autres briefings."

 »Le général Dempsey, qui témoignait en même temps que M. Panetta, a alors ajouté que le personnel de la sécurité nationale de la Maison Blanche avait suivi les opérations pendant toute la nuit. Plus tard, dans un autre échange, M. Panetta a dit aussi que ni lui ni M. Dempsey n’avaient communiqué avec Mme Clinton pendant la nuit de l’attaque… »

…Peut-être cela sera-t-il peu relevé mais il faut admettre que Panetta nous fait un beau cadeau d’adieu, en quelques mots, dont pas mal de “non”. Ce qu’il décrit, en effet, c’est l’antithèse du gouvernement moderne des USA aux prétentions impériales, le contraire du fonctionnement du National Security State installé en 1946-1947 sous la présidence Truman. C’est aussi la confirmation éclatante, pour cette partie du pouvoir, des constats de Harlan K. Ullman, la confirmation du diagnostic résumé par la phrase fameuse “Le système est fichu" (The system is broken).

Le National Security State, c’est un regroupement hyper-centralisé autour du président de tous les moyens de direction de la sécurité nationale. Il y a d’abord le NSC (National Security Council), qui est le mini-gouvernement de sécurité nationale de la Maison-Blanche, et une liaison nécessaire essentiellement avec, comme “premier cercle”, le département d’État, le département de la défense et la CIA. En cas d’une “crise opérationnelle urgente”, qui nécessite un suivi heure par heure en temps réel pour des décisions les plus rapides possibles, il faut la réunion momentanée ou au moins le contact constant de coordination et d’action intégrée des grands organismes et ministères du domaine. Au pire peut-on imaginer cet ensemble ramené au cœur du système, c’est-à-dire au président et à son NSC, – comme ce fut souvent le cas avec Nixon, qui se méfiait horriblement du département d’État et de la CIA, et un peu moins du département de la défense. Mais, dans tous les cas, le président doit rester le centre de tout, suivre la “crise opérationnelle d’urgence” lui-même, et lui-même décider. Ce que nous montre Panetta, c’est le président qui part à la pêche en laissant au Pentagone le soin d’assurer l’essentiel de la responsabilité et des décisions dans cette crise, portant sur la sécurité des personnes menacées à l’ambassade de Benghazi selon le jugement du seul Pentagone, sans même s’assurer d’une coordination avec le département d’État, qui a nominalement la responsabilité directe de la chose, comme il l’a sur toute ambassade, et par conséquent de sa sécurité. Quant à la CIA, elle bidouille de son côté, et dans une mesure importante dans le rayon “interrogatoire hard (tortures) de suspects ou prétendus tels, comme on l’a appris depuis pour Benghazi.

Benghazi, était-ce une “crise opérationnelle d’urgence” ? Sans nul doute, comme on l’a vu après avec l’écho de cette affaire, et placée dans la dynamique redoutable d’une sorte de “relance” du “printemps arabe” à forte tonalité antiaméricaniste qui était en plein démarrage avec l’affaire du “documentaire” The Innocence of Muslims. D’ailleurs, la réunion de 15 minutes entre Obama, Panetta et Dempsey à la Maison-Blanche, au début des troubles de Benghazi, et avec des informations alarmistes comme on a appris qu’il y avait eues, montre que tout le monde appréciait l’événement de cette façon, comme une priorité de “crise opérationnelle d’urgence”. L’attitude d’Obama est d’autant plus révélatrice. L’ensemble nous le montre également comme correspondant aussi bien aux constantes psychologiques qu’on connaît désormais, – notamment le caractère détaché et assez indifférent du président-cool, – en y ajoutant ce qui paraît bien être un certain désintérêt pour les affaires pressantes, les affaires de sécurité nationale, les décisions d’une autorité décisive. Il y a également une mise en évidence de plus de l’éclatement du pouvoir en divers centres sans coordination ni même relations, chaque centre veillant à ses prérogatives et à ses intérêts.

Une telle situation encourage également la réserve, le refus du risque parfois nécessaire dans les situations d’urgence, etc., avec les conséquences qu’on comprend, comme on a vu avec Benghazi. Il est probable que l’affaire du général Carter Ham, chef d’African Command lors de l’affaire et mis à pied sans doute à l’occasion de cette affaire de Benghazi, et sans doute pour avoir voulu intervenir (voir le 30 octobre 2012), est née de la prudence de Panetta laissé à lui-même et refusant d’envisager une implication de forces terrestres US de secours sur le sol libyen, de crainte d’une implication terrestre de plus dont il savait que le président a horreur.

Les réseaux du système de la communication ont fait grand cas de la photo montrant tous les chefs des services et de ministère de sécurité nationale, avec Obama, suivant en direct, à partir d’une caméra des soldats qui intervenaient, l’attaque contre ben Laden et sa liquidation. Depuis, on a su que cette photo avait été truquée en partie, et montée pour des besoins de communication. Les détails rapportés par Panetta confirment cette impression de “toc” née de cet épisode. Le président Obama est un “président en toc” à cet égard, même pas une “marionnette” comme le désignent ses détracteurs car on attend d’une marionnette qu’elle fasse bien les actes, les mouvements, etc., pour lesquels elle est manipulée.

Obama n’est même pas un homme de communication, pour n’avoir pas senti, disons d’instinct, combien il était nécessaire qu’il apparaisse présent, au centre du dispositif, aux commandes du gouvernement, dans cette affaire de Benghazi. Il a été bon là où il excelle en général, pour faire un discours, évidemment les larmes aux yeux, pour le rapatriement aux USA du corps de l’ambassadeur Stevens assassiné à Benghazi. Le “président en toc” est bien un président de son temps, en pleine dissolution derrière son apparence ripolinée, totalement étranger à la notion de responsabilité, avec une intelligence certaine qui n’a aucun emploi constructif et structurant, et lui-même avec cette distance psychologique qui le caractérise, qui devient presque indolence opérationnelle et absence d’autorité ; très mauvaise “marionnette”, très étrange président, Obama... Quoi qu’il en soit de sa personnalité, il reste qu’il correspond complètement à la situation politique de Washington et nous fait comprendre que la voie actuelle de la dissolution va se poursuivre au même rythme.

11 février 2013 - Dedefensa - Pour consulter l’original :
http://www.dedefensa.org/article-be...
Traduction des parties en Anglais : Dominique Muselet


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