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Vie et mort aux barrages militaires israéliens en Cisjordanie

vendredi 13 avril 2007 - 09h:06

Patrick Saint-Paul - Le Figaro

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Grand sujet de frustration des Palestiniens des territoires, les multiples points de contrôle installés par Israël pour dissuader le terrorisme asphyxient l’économie et le tissu social.

Palestine al-Kaïsi ne s’approche plus du barrage militaire israélien de Hawara, qui filtre les entrées et sorties de Naplouse, la plus grande ville de Cisjordanie. Cette jeune femme, âgée de 18 ans, dit sa peur d’y « commettre une bêtise ». Chaque jour, quelque 5 000 Palestiniens, ayant eu le privilège d’obtenir un permis israélien, attendent des heures à ce point de contrôle et y subissent les humiliations infligées par les soldats.

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(Photo : Machsom Watch)

Les machsom (« barrage » en hébreu), les restrictions de circulation et leurs effets pervers, sont devenus le principal sujet de frustration des Palestiniens. Ces barrages, qui asphyxient l’économie et le tissu social, occupent l’essentiel de leurs conversations. Car la vie ou la mort peuvent aussi s’y décider.

Pour le père de Palestine, Taysir al-Kaïsi, ce fut la mort. Le 18 janvier, la stricte application du manuel militaire israélien a abouti au décès de cet homme âgé de 45 ans, atteint d’un cancer du foie. « Lorsque j’ai appris que les soldats ont interdit à mon père d’entrer à Naplouse et qu’ils l’ont laissé mourir au machsom, j’ai voulu aller les frapper et les insulter, raconte Palestine. Depuis ce jour, je n’ose plus m’approcher d’eux. »

Lorsque Taysir al-Kaïsi découvre la gravité de son cancer, fin décembre, il décide de se rendre dans un centre spécialisé d’oncologie, à Jérusalem. Mais il faudra une semaine pour obtenir le précieux permis autorisant Taysir et son cousin, Hussein al-Kaïsi, chargé de l’accompagner, à se rendre dans la Ville sainte. Les autorités militaires lui ont accordé deux jours, pour subir une batterie d’examens, voyage aller-retour compris.

Taysir arrive épuisé à l’hôpital Augusta Victoria de Jérusalem. Les cancérologues décident de l’hospitaliser quatre jours. L’administration israélienne accorde une extension d’un mois de son permis, mais seulement une journée supplémentaire pour son accompagnateur. La tragédie se met en place, suivant une logique implacable. « Nous avons fait des pieds et des mains, mais les Israéliens ont refusé de prolonger mon permis d’accompagnateur, explique Hussein. Taysir n’était pas en état de voyager seul. Alors je suis resté avec lui. »

Au quatrième jour, les médecins renvoient Taysir à Naplouse avec une ordonnance, pour suivre son protocole de chimiothérapie auprès de sa famille. À la sortie de l’hôpital, Taysir et Hussein cherchent un taxi, pour Ramallah, où ils espèrent trouver une ambulance pour Naplouse. Le permis d’Hussein étant périmé depuis un jour, aucun taxi n’accepte de les accompagner. En cas de contrôle, le permis de conduire du chauffeur transportant un passager « illégal » est confisqué. « Nous avons marché 150 mètres pour prendre un bus, puis 150 mètres supplémentaires, pour en prendre un second. Taysir se traînait », raconte Hussein.

« Retourne d’où tu viens »

Arrivés à Ramallah, Taysir est à bout de forces. Pas d’ambulance. Ils se contentent d’un autre taxi acceptant de les conduire à Naplouse. Torturé par les douleurs, Taysir est livide. « Tu t’occuperas de mes enfants, comme s’il s’agissait des tiens », fait-il promettre à son cousin. Une heure plus tard, le taxi s’immobilise devant le soldat israélien au barrage de Hawara. Le soldat examine les papiers, puis ordonne à la voiture et aux passagers de faire demi-tour. Hussein tente d’expliquer la situation au militaire.

Mais il est en infraction : son permis est périmé. Quant à Taysir, son permis n’est pas valable pour passer le barrage en voiture. Le soldat lui ordonne de traverser à pied. Il n’est pas en état. Hussein implore. « Retourne d’où tu viens », se fâche le jeune appelé avec un geste méprisant. La voiture se rend sur le parking de Hawara, transformé en aire d’attente pour les taxis, où Hussein se met en quête d’une voiture autorisée à entrer dans Naplouse. En vain.

Les chauffeurs lui conseillent d’appeler une ambulance à Na- plouse. « Il a fallu 45 minutes, pour qu’elle arrive au barrage, se souvient Hussein. Les soldats ont mis 20 minutes à fouiller le véhicule. Hussein titubait de douleur à l’arrière. Je lui ai dit : tiens bon cinq minutes, je vais chercher l’ambulance. À mon retour, il était assis à l’arrière de la voiture, mort. » Les ambulanciers ont rapporté le corps dans le camp de réfugiés d’al-Aïn, où se trouve la maison familiale.

Hussein considère son cousin comme un « martyr civil de l’occupation ». « Dieu choisit le moment de notre mort, mais c’est toujours un événement qui le provoque. En l’occurrence, il s’agit de l’intransigeance de ce soldat, du mépris pour nos vies infligé par le système israélien d’occupation », dénonce Hussein.

Combien de temps Taysir aurait-il survécu sans ce périple éprouvant ? « Ce n’est pas le problème, répond sa fille Palestine. Il aurait passé ses dernières heures ou ses derniers jours dans la chaleur de sa famille. Au lieu de cela, il est mort seul, dans le froid à l’arrière d’une voiture. »

Certains meurent au point de contrôle, d’autres y naissent. Comme Raghad Hanani. Il était 20 h 50, le 7 décembre 2006, lorsque sa mère, Roba, a eu ses premières contractions. À cette heure-là, les portes de Beit Furik, le village voisin de Naplouse, où elle réside, sont déjà fermées depuis près de deux heures. Jusqu’au petit matin. Les soldats interdisent l’entrée à l’ambulance du Croissant rouge. Derar Hanani installe sa femme, Roba, à l’arrière d’une voiture et la conduit au barrage israélien. L’ambulance attend de l’autre côté, pour la transporter à la maternité de Naplouse. Mais la voiture est bloquée par une barrière à 150 mètres du point de contrôle.

Naissance derrière un bloc de béton

« Les soldats étaient barricadés dans leur tour, raconte Derar. Ils ont mis 20 minutes à voir nos appels de phares et à entendre nos klaxons. » Derar n’ose pas approcher, de peur d’essuyer des tirs. Finalement une voiture de patrouille arrive. Derar tente, en vain, de négocier le passage en voiture. Roba perd les eaux. Rien à faire, elle devra marcher jusqu’à l’ambulance. Derar porte sa femme dans ses bras jusqu’au barrage militaire, où l’attend l’ambulance. Elle accouchera à l’hôpital. Ses parents, qui habitent le village voisin, situé à 10 minutes en voiture, n’ont pu lui rendre visite qu’une seule fois. Faute de permis.

Roba a eu « de la chance ». De nombreuses femmes ont accouché aux barrages israéliens. Certaines y ont perdu leur enfant. Telle Rula Ashateya, qui, lasse de négocier le passage au barrage de Beit Furik, fin 2003, avait fini par se cacher derrière un bloc de béton, pour donner naissance. Son mari faisait office de sage-femme, sous le regard des soldats. L’enfant s’est brisé la nuque en frappant le sol, la tête la première contre un rocher.

Patrick Saint-Paul, envoyé spécial à Naplouse - Le Figaro, le 12 avril 2007

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